Il y comme ça des jours où on sent de la résistance, des grains de sable dans les engrenages du destin, une invisible présence néfaste qui s'ingénue à parasiter le quotidien. Mais ne dramatisons pas. Il n'y a rien de grave. Nous ne sommes pas détenus en Colombie comme Ingrid, éclatés en mille morceaux dans une rue pakistanaise, déportés par les torrents furieux provoqués par le réchauffement climatique. Non, on a un problème de chocolat. Oui, nous avons un karma chocolat. Depuis quelque temps, nous avons constaté que dans nos vies antérieures, nous avons fauté. Faisions-nous partie de ces aventuriers qui exploitaient les graines de cacao dans le cadre d'un commerce non équitable? Toujours est-il que de passage à Deauville, l'un de ces étés derniers, nous avons tenté de pénétrer dans le magasin de chocolat "Au duc de Morny", situé au 59 de la rue Désiré Le Hoc. Nous aimons bien citer certains négoces. On renouvelle ainsi le genre, après l'illustre Gabin qui hurlait dans le film la "Traversée de Paris", le nom et l'adresse du commerçant - alias De Funès - qui excellait dans le marché noir. Ah! le "Duc de Morny". Rien que le nom de ce demi-frère de Napoléon III, qui a fondé la bonne ville de Deauville, aurait du nous alerter. Pensez, un marchand de biens qui a racheté les terrains et les immeubles de la ville de Paris pour les revendre à prix d'or au baron Haussmann pour ses futurs boulevards.
Mais trêve de spéculateur, revenons à notre confiseur chocolatier. Nous ouvrons la porte de ce magasin cossu quand une dame digne et bien de sa personne nous en refuse l'entrée parce que "les roues du fauteuil roulant vont salir la moquette qui vient d'être changée". Que dire? Que faire? Se rend-elle compte vraiment qu'elle pourrait finir devant les tribunaux pour discrimination et refus de vente? - Même pas. Elle pense à sa moquette, à ce petit mètre carré qu'on rêve de voir brouté par une chèvre corse et rebelle, en cet instant précis! Ou bien une armée de handicapés en fauteuil qui, tels des cavaliers de l'Apocalypse, partent à l'assaut de la boutique et, ne pouvant accéder au comptoir trop haut, s'agrippent avec leurs doigts crochus pour tenter l'ascension de la vitrine réfrigérée, de la marchande de cacao, de la caisse encore intacte mais plus pour longtemps. Gling! Trop tard, le magot est pris, les ballotins glissent sur de fiers coursiers dans les rues de Deauville, la vile. Non, nous avons signalé l'indélicate commerçante à l'office du tourisme. Il nous reste un goût de chocolat amer dans la bouche, comme les enfants qui ont ravalé leurs larmes de crocodile. Et voilà qu'on tombe dans le mélo (Delarue, au secours!). On vous le dit, c'est ce damné karma.
Autre exemple, ces jours-ci, dans la ville si paisible d'Aulnay sous Bois! Cesarina sort de sa séance d'ostéopathie et quoi de mieux qu'un plein de magnésium. Il y a une marche pour accéder à la boutique "Léonidas", 10, boulevard de Strasbourg. Impossible en fauteuil électrique. Mais, Eureka!, les vendeuses se précipitent pour proposer leur aide. C'est là qu'il ne fallait pas en rajouter: "j'apprécie votre aide mais ce serait bien s'il y avait un plan incliné en bois pour accéder à votre magasin. Imaginez si à chaque fois que vous entrez chez un commerçant, vous deviez solliciter l'aide de quelqu'un." Et bien, la suggestion n'est pas passée. "Comment ça, on les aide et ils ne sont pas encore contents?" La patronne a surgi de son comptoir et elle s'est justifiée de manière consternante : "On a bien une pente en bois, mais uniquement pour l'appareil à glaces l'été!". Conclusion interrogative : faut-il attendre le réchauffement climatique total de la planète pour bénéficier chez Léonidas du plan incliné hiver comme été? Non, ça ne chauffe pas tant que ça dans les banlieues!
Philippe Barraqué
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