Consommation de satiété

Publié le 16 septembre 2010 par Doespirito @Doespirito
Côté choses que j'adore, j’ai des goûts très particuliers : la bière et le cake aux fruits confits. J’en suis dingue. Il fut un temps où, mon activité ne me permettant pas de me rémunérer suffisamment, je devais me contenter d’une tranche de cake (d’une tronche, aussi, si vous voulez, oui, oui, c’est très drôle…) pour tout déjeuner à midi. Je me suis habitué, et j’en ai presque regretté de retrouver le chemin des bénéfices… Mais il en est du plaisir comme du cake aux fruits confits : il se tarit assez vite. Je vois avec horreur le restant du gâteau se diviser et diminuer au fur et à mesure de mes coupes sombres, jusqu’au talon misérable qui me procure une dernière sensation bénéfique, mêlé à la profonde tristesse de savoir que c'est maintenant terminé. Et qu’il faut se prendre par la main pour en acheter ou en faire un autre.
Allez, je l’invente. En entrée, un bac à farine. Un bac à beurre, réfrigéré. Idem pour les œufs, avec un système pour les casser sans dommage, une sorte de robot avec deux mains mécaniques recouvertes de gants à la Mickey. Un bac à sucre. Un réservoir à fruits confits, une forme beurrée pour le gâteau. Un four avec un petit tapis roulant, terminé. Le cake sort doucement tout cuite au bout, tic tic tic... Une sorte de fil à couper le beurre descend et trancher un morceau bien droit.. Et juste après, le cakomètre se recale avec un bruit d’horlogerie pour vous présenter la prochaine tranche.
De temps en temps, on remplit les bacs. Mais pas à chaque fois, justement : une fois tous les 15 jours, au minimum. Finie, l’angoisse du talon de cake. Et j’en mange quand je veux. Plein si je déprime. Pas beaucoup si je suis au régime après avoir trop déprimé. Et si j’attends trop longtemps, hop, un distributeur de film en plastique enveloppe automatiquement la pâtisserie pour garder la coupe fraiche. C’est quand même pas compliqué. Quoi, vous n’aimez pas le cake ? Remplacez les ingrédients et vous satisferez votre addiction au far breton, au tiramisu suédois ou à l’os en gelée californien. Et vous m’en direz des nouvelles.
Je ne comprends pas qu’on n’ait pas inventé ça. Des systèmes à fournir indéfiniment un truc qui nous plait à mort. Juste des choses auxquelles on tient le plus, une fois qu’on a enlevé tout le reste. Je me souviens d’une très vieille pub où ou voyait un homme s’approchant d’une tasse à café dix fois plus grande que lui, pendant qu’une voix off lui sussurait «Vous aimez le café ? Eh bien buvez !». Et le gars soulevait la tasse et se mettait à ingurgiter ce caoua gargantuesque. Un coup à se taper une pancréatite carabinée. Moi, je n’aime pas le café à ce point-là. Mais chacun ses goûts, après tout.
Vous vous pâmez devant un diabolo menthe ou le champagne Grand siècle ? Va pour la piscine verte et à bulles, à boire sans paille, en brasse coulée ou en papillon. Ou pour la baignoire avec robinet et douchette Grohe débitant au cube la Veuve Cliquot millésimé, où on s’immerge la tête pour se rincer la luette au lieu de se rincer les cheveux. C’est vrai, au début, elle doit être froide, mais après, c’est trop bon, on peut se faire une douce violence et rentrer progressivement. Oui, je sais, ce n’est pas écologique ni développement durable, tout ça. Mais parmi toutes les machines à gaspiller ou à polluer qui existent, si j’en avais une seule pour mon plaisir à satiété, ça ne serait pas non plus un drame pour les ours blancs. Ils ne seraient pas les derniers à faire trempette dans le liquide rafraîchissant, d’ailleurs.
Côté bière (ou vin, ou coca zéro…) c’est pareil ! Pourquoi il n’existe pas un robinet à bière à côté du robinet d’eau chaude et celui d’eau froide ? Hein, je vous le demande ? Pourquoi se compliquer la vie ? Vous vous rendez compte, la trace carbone, quand vous achetez en magasin, le temps passé au magasin, le transport, l’attente, l’énervement, le mal au dos, les baffes à donner aux mômes trop chiants, le livreur à domicile qui bloque la rue… Tout ça pour siroter 25 cl en deux temps trois mouvements. Pour peu que votre moitié passe à ce moment-là, elle vous en siffle une lampée vite fait bien fait pour ta gueule, directement sur la bouteille, histoire de se rincer les amygdales, et en laissant une trace de rouge à lèvres en guise de provocation à la haine labiale. Alors que 25 cl, c’est juste pile le nombre de gorgées pour être à peu près désaltéré. Une de moins et c’est la frustration assurée.
Non mais quel gâchis ! Alors qu’on peut très bien transformer un peu les circuits d’eau de mon immeuble, on stocke quelques barils d’Affligem sous pression au sous-sol, on ajoute un robinet spécial sur l’évier, et voilà le travail. 

Pour l’amour, si vous voulez mon humble avis, je dirais même topo. Il faudrait un truc qui tienne la distance pareillement, un sex-toy à l’échelle 1/1 branché sur secteur, en 3D, d’humeur égale, le sourire toujours avenant, la cuisse altière du 1er janvier au 31 décembre, 7/7 et 24/24, la fesse éternellement généreuse et le désir sans arrêt à fleur de peau, une épée de matelas perpétuelle, un(e) amant(e) disponible, infatigable, renouvelable, avec démarrage au quart de tour et iTunes de série. Un dessert à se goinfrer sans la moindre espèce de modération.
Un peu comme un pot de Häagen-Dazs caramel-noix de pécan qui serait à double fond, vous imaginez ? Ou des tablettes de chocolat au mètre pour les soirs de gros vague à l’âme. Mieux que le cake aux fruits, le cake «La durée», toujours prêt quand on veut s’en payer une bonne tranche. Mieux que la tireuse à bière, le tireur d’élite. Et sans film plastique, s’il vous plait ! Et avec une coupe (de cheveux) toujours fraiche. Oui, tout ça, et pas un truc qui se fatigue, qui veut se reposer, qui doit recharger ses batteries, se détendre, lire, discuter, sortir le chien, aller sur Facebook, ranger ses fringues, checker ses mails, appeler sa mère, finir de regarder Arsenal-Chelsea(«Ah mais c'est un match important!»), ou Desperate Housewives («Ah mais c'est un épisode à ne pas rater!»)... Non, même pas un zozo qui veut poster des notes sur son blog avant de consentir à penser à quelque chose qui ressemble vaguement à la bagatelle.