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Obscurité (48)

Publié le 16 septembre 2010 par Feuilly

On s’expliqua ou plutôt on tenta de s’expliquer. L’arrivée tardive hier au soir, les tentes montées en toute discrétion et bien dissimulées, afin de ne gêner personne, l’intention de repartir le lendemain matin, et puis cette tempête imprévue, qui les avait obligés à changer leurs plans. C’est que ce n’était pas de gaieté de cœur qu’ils étaient restés. D’ailleurs ils avaient eu plein de dégâts. Il voulait les voir ? Il les avait sous les yeux : une tente complètement hors d’usage, une autre en partie déchirée, et puis tous ces vêtements trempés qu’on faisait sécher au plus vite. Mais l’autre ne voulait rien entendre. Agent des eaux et forêts, pompier, garde-chasse, on ne savait pas trop quel était son statut en fait, mais ce qui était certain, c’est qu’il s’énervait vite. Ce n’était d’ailleurs plus parler qu’il faisait, mais crier. Ils ne comprenaient rien ! La tempête ne justifiait pas leur présence ici et ce qui était interdit était interdit, point final, il n’y avait pas à en sortir. D’ailleurs, s’ils n’avaient pas campé illégalement à cet endroit, leurs tentes seraient toujours intactes, non ? Bref, finalement, ils avaient un peu cherché ce qui leur était arrivé et il n’allait pas les plaindre. Certainement pas ! Au contraire, il allait dresser un procès verbal qu’ils signeraient et ensuite ils auraient un quart d’heure pour lever l’ancre.

Un quart d’heure ? Il fallait négocier ! On demanda un délai un peu plus long, on montra les vêtements, déjà en partie secs, le soleil qui revenait et qui allait sécher tout cela bien vite… Rien à faire, l’homme se montrait intraitable. L’enfant le regarda avec de grands yeux incrédules. Cet idiot parlait maintenant de feux de forêts, de touristes imprudents, de pinèdes dévastées. On voyait bien qu’il n’avait pas été sous l’orage, lui et qu’il n’avait pas dû affronter cette tempête ! Du feu sous de pareilles trombes d’eau ! Il était complètement fou. En plus, pour ce qui était des dégâts à sa belle forêt, il n’avait qu’à regarder autour de lui, il n’arriverait pas à compter les arbres tombés au sol. Et cela, ce n’était qu’en même pas le fait d’un trio de campeurs.

L’enfant avait donc fort envie de répondre et de dire ses quatre vérités à ce fonctionnaire qui se promenait toute la journée dans son quatre-quatre bien confortable. S’il avait un peu d’humanité, il comprendrait que leur situation devenait désespérée et il les laisserait tranquilles. Mais la mère, prudente, lui mit la main sur l’épaule et le pinça un peu, pour lui faire comprendre qu’il fallait garder le silence. C’est que dans le délire verbal de l’homme, elle avait surtout retenu les mots « procès verbal » et cela, c’était une chose qu’elle voulait éviter à tout prix. Elle tenta donc de parlementer avec le représentant de la loi car même si on ne savait toujours pas trop bien quel organisme il représentait, il était clair qu’il avait le droit et tout le code civil de son côté. Elle promit de partir aussi vite que possible, disons dans une heure et suggéra qu’on ne perdît point de temps à remplir des paperasses par ailleurs bien inutiles. Malheureusement, l’autre ne voulait toujours rien entendre. Voilà même qu’il parlait de départ immédiat, maintenant ! La mère alors lui fit remarquer la contradiction qu’il y avait dans ses propos. Il était impossible de partir là, tout de suite, et en même temps de se mettre à remplir des rapports interminables. Le représentant de la loi resta interloqué devant autant de bon sens. Afin de ne pas perdre la face, il hurla, tout en se dirigeant vers son véhicule, qu’ils avaient un quart d’heure pour disparaître, un quart d’heure exactement et pas une minute de plus. Il roulait déjà qu’on l’entendait encore vitupérer, malgré le bruit que faisait son gros moteur diesel. Qu’ils prennent garde, il allait repasser. S’il trouvait encore quelqu’un là, c’est les gendarmes qu’il allait appeler.

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Bon, nos pauvres amis n’avaient plus trop le choix. Il fallait bien obéir s’ils voulaient éviter de gros ennuis et tant pis si cela ne leur plaisait pas trop. On ramassa le linge qui traînait un peu partout, on embarqua le réchaud Campingaz, on bourra les tentes ou ce qu’il en restait dans un coin du coffre, sans même les replier, et on démarra bien vite. Onze minutes exactement après le signal du départ, ils longeaient l’océan en direction du Sud. Ils roulèrent comme cela pendant une bonne demi-heure. Personne ne parlait. Dans le fond, ils étaient unpeu tristes car ils étaient bien, là, finalement, dissimulés au milieu des troncs. S’ils n’avaient pas dû étaler leurs vêtements pour les faire sécher, jamais cet empoté de garde ne les aurait trouvés et en ce moment ils seraient tranquillement en train de préparer leur dîner. « On n’a même pas pu aller se baigner ! » fit remarquer Pauline. Tiens, c’est vrai, cela, ils ne s’étaient même pas baignés. Il faut dire aussi que le temps ne s’y prêtait guère, mais bon… Il n’empêche que venir voir l’océan et ne pas mettre un pied dedans, c’était quand même un comble. Et l’océan, il était là, à côté de la route, si proche qu’on aurait pu le toucher. Après avoir traversé quelques localités, ils se retrouvèrent de nouveau dans un endroit désert, avec la forêt sur leur gauche et une belle grande plage sur leur droite. C’était trop tentant. Alors, sans rien dire, la mère arrêta subitement la voiture sur le bas-côté. Les enfants se regardèrent étonnés. L’instantd’après, ils couraient déjà sur la plage en direction de la mer.

Il y avait là une espèce de dénivellation dans le sable où l’eau de la dernière marée était restée prisonnière. Comme le soleil chauffait fort, maintenant, cette eau avait une température agréable, beaucoup plus agréable que celle de l’océan proprement dit. C’est donc là que le frère et la sœur décidèrent de se baigner. Le problème, c’est qu’ils n’avaient pas de maillot. Pauline regarda à droite et à gauche et comme il n’y avait absolument personne, il ne lui fallut pas trois secondes pour se déshabiller entièrement et entrer dans l’eau. Elle barbotait déjà depuis un bon moment dans cette espèce de piscine naturelle que l’enfant, lui, hésitait encore à enlever ses vêtements. C’est qu’il était plus grand et se méfiait davantage des regards indiscrets. Mais bon, il n’y avait effectivement personne et bientôt il se retrouva lui aussi à l’eau et dans le plus simple appareil. Il regarda sa sœur, dont le corps gracieux et nu le troubla. Elle plongeait, nageait, se redressait, sautait sur place, riait, s’ébrouait. C’était un vrai plaisir de la voir ainsi, heureuse et insouciante. Il avait l’impression étrange d’avoir déjà vécu cette scène, mais il ne se souvenait plus ni où ni quand. Peut-être était-ce dans un rêve finalement. Mais à côté de ces images de bonheur, il percevait comme une menace indistincte, impossible à définir. Pour chasser cette impression funeste, il plongea à son tour dans l’eau. Qu’est-ce qu’elle était bonne ! Déjà il nageait et ne s’inquiétait plus de rien.

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La mère, elle, arriva bien en retard. Elle se contenta de s’assoir prudemment sur le sable et de regarder sa progéniture s’ébattre dans l’eau. Cela la faisait sourire de les voir ainsi et elle pensait qu’elle avait quand même eu raison de fuir le domicile conjugal, même si parfois elle avait des doutes sur le choix qu’elle avait fait. Mais pendant qu’elle réfléchissait ainsi, lamarée montait, et elle dut reculer. D’abord une fois, puis deux, puis trois. Les enfants commençaient à se trouver bien loin du bord et elle s’apprêtait à leur en faire la remarque quand l’espèce de digue de sable qui formait la cuvette céda, minée par la marée montante. Aussitôt, il se forma un courant tourbillonnant car le petit bassin naturel se vidait comme une vulgaire baignoire. L’instant d’après, Pauline était emportée vers lelarge. Quand il entendit ses cris, l’enfant tenta d’aller la secourir, mais lui aussi fut emporté par le courant, qui était vraiment très fort. En nageant, il parvint cependant à la rejoindre, mais son aide n’était pas d’un grand secours puisqu’il était lui-même en difficulté. Comme il était impossible de rejoindre le rivage, ils se laissèrent emporter vers les eaux profondes. Ils voyaient au loin leur mère qui faisait de grands signes d’impuissance.

Heureusement, quand ils furent à une bonne distance du rivage, ils ne perçurent plusla force du courant, soit parce qu’ils étaient éloignés de sa source, soit tout simplement parce que la cuvette avait fini de se vider. Ils se mirent donc à nager lentement en direction du bord, en ménageant leurs forces. Il fallait surtout éviter de céder à la panique, aussi l’enfant tenta-t-il d’ironiser sur leur situation, afin de distraire sa sœur.

Mais le rivage était loin. Fort loin, même. A un moment donné, ils durent s’arrêter et rester immobiles sur le dos, afin de se reposer et de reprendre leur souffle. Puis, lentement, ils se remirent à nager. N’ayant aucun point de repère autour d’eux, ils avaient l’impression de ne pas progresser, aussi Pauline commença-t-elle à s’agiter. « On n’y arrivera jamais ! On va couler là et se noyer ! » gémit-elle. « Mais non », lui répondit son frère, qui n’était pourtant pas beaucoup plus rassuré qu’elle, « calme-toi et mets-toi de nouveau sur le dos afin de te reposer. Ferme les yeux, ne pense plus à rien. » Ils se laissèrent donc bercer par les flots un bon moment et quand enfin ils rouvrirent les yeux, ils virent que la plage s’était mystérieusement rapprochée. « C’est la marée montante » dit l’enfant. « Elle nous pousse vers le bord même si on ne bouge pas. Il suffit de se laisser faire. Ou il y a peut-être un autre courant, contraire celui-là, qui nous ramène vers la terre ferme! ». Cette bonne nouvelle les calma tous les deux et ils reprirent lentement leurs mouvements de brasse.

Quand ils ne furent plus qu’à une centaine de mètres, leur mère, qui, de son côté, s’était jetée à l’eau quasi tout habillée, les rejoignit enfin. Pauline s’accrocha aussitôt à sa taille et après quelques minutes ils parvinrent enfin sur la grève. Ouf ! Voilà en tout cas une aventure qu’ils n’étaient pas près d’oublier. Ils restèrent un petit moment étendus sur le sable, les enfants complètement nus et la mère empêtrée dans ses vêtements mouillés. Comme le soleil commençait à descendre à l’horizon et que la chaleur diminuait, ils regagnèrent la voiture pour se sécher et s’habiller. Plus personne n’avait envie de reprendre la route et de se mettre à la recherche d’un camping. De toute façon, une des deux tentes était complètement inutilisable et l’autre était en partie déchirée. On gara donc la voiture dans un petit chemin à l’écart et là, à l’abri des regards, on réchauffa deux boîtes de cassoulet. Ils auraient bien mangé davantage, mais c’est en vain qu’ils farfouillèrent dans le coffre de la Peugeot : il n’ y avait plus rien d’autre, sauf un bout de baguette. Alors, avec ce dernier morceau de pain, ils essuyèrent méthodiquement la sauce tomate qu’il y avait à l’intérieur des boîtes de conserves vides et ce fut un vrai régal. Puis la nuit tomba subitement et ils se réfugièrent dans la voiture pour dormir. Vers deux heures du matin, la lune se leva, resplendissante. Sils n’avaient pas été endormis, ils auraient pu voir une horde de sangliers traverser le chemin non loin de leur voiture. Au loin, les vagues se retournaient inlassablement sur la plage, dans une rumeur monotone.

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