Une petite histoire des colonnes....

Publié le 16 septembre 2010 par Venetiamicio
"Le charme de Venise contente tout caprice. Et moins l'on sait où l'on va, plus l'issue a de grâce, le plaisir s'y parant de la surpise." André Suarès
©Catherine Hédouin

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©Catherine Hédouin

...Nous venions de quitter notre paquebot ; notre merveilleuse croisière s'achève ici.
(Il n'est pas interdit de rêver). Nous avons pris place dans notre motoscafo--nous aurions préféré une gondole--et notre "barcarol "des temps modernes nous emmène vers la Piazzetta. Il aborde en face des colonnes de granit où Saint Théodore, du haut de son antique belvédère, nous regarde débarquer, l'oeil protecteur. Le dicton populaire nous revient brusquement à l'esprit : " Guardati dall' intra colunnio ! " Garde-toi de passer entre les deux colonnes ! Cela porte malheur. C'est vrai que nous sommes au pays de la "iettatura" et qu'il ne convient pas de plaisanter sur le chapitre des malédictions...

Nous éviterons donc de franchir l'espace qui sépare le lion du crocodile mais ce ne sera pas sans mal : la foule, ici, est serrée. Et nous regarderons, horrifiés, ces légions d'ignorants qui, insouciants de la menace qui pèse sur eux, vont et viennent en zone maudite. A ceux qui désirent vivre longtemps, nous raconterons cette autre anecdote. Authentique...

Les deux grandes colonnes de granit ramenées d'Orient gisaient oubliées sur la grève depuis un demi-siècle quand le doge Sebastien Ziani invita les plus célèbres architectes de son temps à les dresser sur leurs piédestaux. L'habileté de tous fut infructueuse, ils échouèrent à la peine. Un Lombard, Nicolas Barattieri, homme de mauvaises moeurs, reprochant durement aux Vénitiens leur incapicité, s'écria qu'il ne voulait pas d'autres cabestans que ceux dont ils s'étaient servis et, à leur grand désespoir et aux acclamations du Doge, de la noblesse et du peuple, il les éleva rapidement. Ziani fit venir le Lombard et lui promit pour récompense tout ce qu'il exigerait.-Doge, repartit Barattieri, je n'ignore pas que les jeux de hasard sont punis à Venise des peines les plus sévères, mais je suis joueur et je te demande pour toute faveur que le jeu soit à jamais toléré entre les deux colonnes que j'ai été assez heureux d'élever devant ton palais.L'austère Ziani avait donné sa parole et, quoi qu'il lui en coutât, il accepta. Depuis ce jour, l'extrémité de la Piazzeta fut encombrée de grands seigneurs masqués, d'escrocs, de fripons, de gens de toute condition qui venaient s'y ruiner, s'y déshonorer, et le plus souvent ils ne quittaient les colonnes que pour aller se battre au Lido, pour être noyés dans les lagunes ou passer le funeste pont des Soupirs...(Extraits de Villes d'Art - Venise- textes de Georges Renoy- copyright ©1987 by Artoria-Editions Artis-Historia, Brussels)