Si The Roots scandaient en 1994 Do You Want More ?!!??!, titre de leur second opus, ceux-ci ne s’attendaient probablement pas à ce que le public en demande à son tour toujours plus. Bénéficiant d’une discographie irréprochable - chose assez rare pour être soulignée - qui relève autant du génie créatif que d’une remise en question permanente, le band de Philadelphie a su séduire par son rap orchestral et son velouté jazzy au point d’assurer tous les jours le fond musical du Late Night With Jimmy Fallon. Une expérience éreintante vécue comme une aubaine par le groupe obligé de s’astreindre à une rigueur quotidienne qui a bouleversé la vie de certains membres.
Emmenés par l’indéfectible duo Black Thought-Questlove, après avoir été amputés au passage de Malik B et Benn Kenney, ces dignes héritiers de la conscience noire américaine des années 1960-1970 (Amiri Baraka, Marthin Luther King, Malcom X etc.) et du Philly Sound (The Stylistics, Billy Paul, The Delfonics, Teddy Pendergrass, MFSB etc.) ont toujours su injecter une dimension politique dans leur musique, à l’instar de Phrenology ou Rising Down véritable brûlot teinté d’une noirceur corrosive à l’égard du gouvernement Bush. Autre temps, autre album, la venue du nouvel hôte à la Maison Blanche a semble-t-il été en partie responsable d'une nouvelle donne dans la direction artistique de ce nouvel album placé sous le signe de l'espoir et du doute, sentiments matérialisés sous la forme d'une expression musicale qui flirte avec leurs premières amours.
Dépouillé de toutes fioritures baroques, How I Got Over revient à une formule simple, renouant avec cette envergure élégante que l'on retrouve jusque dans la sobriété des costumes cintrés de ce band harmonieux. Comme toujours, la frappe du batteur à l'éternelle afro reste ferme et précise, conférant aux morceaux une assise rythmique propice au flow cristallin de Black Thought ("The Fire" et "Walk Alone" réinterprétant respectivement les mesures de "Momma Miss America" de McCartney et de "Whole Lotta Love" de Tina Turner). L'orchestration quant à elle, prolonge un peu plus cette finesse diffuse sur des titres comme "Dear God 2.0" porté par la voix de falsetto de Jim James sur un sample des Monsters Of Folk, ou "The Day" et son air insouciant de balade enfantine. Entourés d'une jolie brochette d'artistes familiers triés sur le volet (John Legend, Dice Raw, Blu, Truck North, P.O.R.N, Phonte…), les Roots déclinent leur rap orchestral avec une habileté fabuleuse sur d'entêtantes bouffées d'air frais ("Radio Daze", "Doin' It Again" et son sample de John Legend ). L'association soul-jazz de son côté fait des merveilles, se dissolvant dans un sorte de bouillon "pop" mesuré, sans jamais verser dans la condescendance ("How I Got Over", "Now Or Never"). How I Got Over délivre ainsi un sens musical distingué, sublimant le sample en le faisant glisser de manière naturelle sur un boom-bap exalté ("Right On" et son refrain emprunté au titre "The Book Of Right On" de Joanna Newsom), ou en invoquant les hooks nu soul de John Legend ("The Fire") avant de s'égarer sur des titres à la dimension plus composite ("Web 20-20", "Hustla").
Joignant l'adresse de l'exécution à la conviction, les Roots affichent un panache intact. Après le torturé Rising Down composé sous un ciel cafardeux, How I Got Over signe un retour aux racines en guise de nouveau départ. Une ligne artistique qui ravira aussi bien les nostalgiques de Things Fall Apart et The Tipping Point, que les inconditionnels de cette discographie qui ne cesse de côtoyer la perfection.