Parce que la voix du chanteur donne dans les graves de baryton, et dans un registre plutôt tourmenté, on pourrait les prendre pour des Joy division mais émasculés, mais un peu lisses et proprets, un peu affectés, un peu prog. En fait, High Violet vous rentre dedans, et ne vous lâche plus. Ce n'est certes pas un album de guitares, fût-il post-punk. C'est hyper mélodieux, c'est parfois trés orchestral, mais le mix préserve quelque chose de percussif. Plutôt un album de voix et de rythmes, mixés trés en avant, parties immergées d'un chaos mental que le disque se propose de décrire.
"Des émotions, des états d'âmes, qui se succèdent sans narration, principalement à fonction cathartique", confie le chanteur Matt Berninger . "Terrible Love", "Sorrow", "I'm afraid of everyone", etc., tout ça n'est pas trés gai mais la catharsis joue à plein, et nous débarrasse des scories de la boursouflure, de la complaisance et du glauque. L'époque n'est pas plus gaie que les seventies finissantes, qui ont vu Curtis se pendre en écoutant The Idiot, mais The National a de la ressource. Car derrière le registre baryton idoine, la frontalité des rythmiques, s'épanouissent de discrets arrangements luxuriants, qui convoquent toute une gamme de timbres, anches, cordes, cuivres et piano. Quand une guitare apparait on l'entend ! Comme dans ce "Afraid of everyone", où sur un mode épileptique, elle dialogue, de façon inattendue, avec une clarinette.
Ca commence fort avec un "Terrible love" qui hausse progressivement le ton, pour échouer dans un fracas rythmique étourdissant. Difficile d'être insensible à "Sorrow", à cette proximité de la voix, cette intimité troublante, magnifiée par un roulement de toms. "Anyone's ghost" cogne dur d'entrée, en manière de "Disorder", et basculera sans prévenir, un bref instant, dans des sonorités trés cold wave. Un rythme industriel ouvre le morceau le plus beau de l'album, "Little Faith". Puis Voix, double basse en contrepoint, cuivres discrets, et baguettes tressaillantes. Là encore difficile de trouver musique plus expressive, attachée à rendre les mille et une nuance du sentiment, sans pour autant être lyrique. Une scie plaintive en ouverture du flippé "Afraid of everyone"? Pourquoi pas, mais quelques secondes seulement, comme pour conjurer le mélo, et ces chœurs, qui pourraient être un peu trop hantés. A l'image de cette scie, ce n'est que par touches pointillistes que The National procède, et compense la surenchère instrumentale.
Au final, on est secoué, et admiratif devant cette noblesse de la voix, cette dignité dans la débandade affective, cette grandeur d'âme, "magna anima", "magnanimité" disaient les latins. Autrement dit, cette absence totale de vulgarité. "Rien n'est moins au pouvoir de l'homme que de maîtriser et contrarier ses affects", disait un philosophe. Certes, mais il peut les mettre en musique, ce qui est déjà peut-être une première mise à distance, et un premier pas vers la sagesse.
En bref : une voix. Des rythmes. Tout un univers sonore qui s'agite en arrière plan. Des émotions magnifiquement dites et contenues. Un des albums les mieux faits de l'année ?
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