"Quand il rentrait, cette odeur odeur étrangère dans leur lit. Dans leur intimité. Mer, sueur et parfum mêlés. Ces marques sur la peau. Quand elle le découvre, comme toujours, il quitte la pièce. Plus que des indices, elle a des preuves. Notes d'hôtel, chambre double, billets d'avion. Destinations dites "de rêve". Mensonges. Désolation. Mettre un nom sur les choses. Savoir. Comprendre. Même si le cœur s'arrête. Savoir pour comprendre. Se sentir tout au bord de mourir. Évacuer sa vie par tous les pores de sa peau. Ce sable dans la bouche. Ce goût de cendre. En finir. Mais ce n'est pas encore l'heure de mourir. D'autres attaches vous lient. Des enfants. Il faudra bien lutter. Se relever. Continuer. Il va falloir s'immoler pour ne plus sentir cette douleur. Combien de temps pour se consumer ? Combien de temps pour cette terrible crémation ? On pense aux misérables au fond des cachots. Aux torturés. Aux écorchés vifs. Combien de temps pour renaître ?"
François Lefèvre, Un album de silence, Mercure de France, 2008 (p125)
François Lefèvre vieillit, perd la mémoire et ses repères, les enfants ne roulent plus autour d'elle lors de ses promenades à vélo et c'est comme si le paysage entier avait disparu, remplacé par un autre. Et aussi, au détour, Françoise Lefèvre évoque la trahison et comment on vit avec, sans la dépasser, puisqu'elle perd la mémoire, mais ce mal reste là.
Et à lire ses mots, j'ai spontanément pensé à Emma Thompson dans Love Actually. Je hais ce titre mais pas le film, qui est très bien. A priori on pense que ça va être quelque chose, va être une comédie romantique, et ça l'est, mais le film vieillit autrement, en profondeur, comme les rides de sourire dans les visages.
Plus on rit, plus on ride dans la vie. Et c'est bien.
Il n'y a pas très longtemps, à Bruxelles justement, on m'a demandé quelle était ma scène préférée, et je ne sais pas pourquoi, je ne me l'explique pas : j'ai menti. J'ai cité la scène que je trouve la plus faible ou presque. Je me suis auto-flagellée en le disant, pensant intérieurement : "Mais pourquoi tu dis ça ?!". Et encore maintenant je me demande ce qui m'a pris, mais bon tant pis.
Le fait est que ma scène préférée, celle que je trouve la mieux écrite et la mieux jouée est à la fin, après que Karen ait découvert que ce n'est pas à elle que le collier acheté par son mari était destiné, c'est une suite en deux parties : la première à la maison sur fond de Joni Mitchell et la seconde au spectacle de noël des enfants. Je n'arrive pas tellement bien à décrire mais le fait est que c'est minutieusement construit, de la musique dominant la première partie behind closed doors, à la non-bande son de la seconde, en public, avec les interruptions sociales au sourire forcé et la réalité violente avec laquelle Karen réplique à son mari, étalant à ses yeux l'acte et ses conséquences de la manière la plus claire et profondément blessée qui soit, et ce mouvement nerveux du sourire et des bras ouverts vers les enfants, comme l'effondrement inaperçu face à son frère quelques temps avant.
Bref, Emma Thompson est parfaite, comme toujours.
"People are talking about your woman-scorned performance in ''Love
Actually.'' Does her reserve reflect how you would have responded to a
similar situation?
I think I would have done something similar, especially with
children involved. I think we're very practiced at thumping our
emotions down, particularly in England. Had I been Italian, I might
have gone into the kitchen, taken a knife, and stabbed him in front of
the children. It's much more like an Englishman to go upstairs with a
broken heart, stick it back together with anything you can get your
hands on, wrap an elastic band around it, and go back downstairs -- and
then later go and sit in a corner somewhere and really cry." (itw 2007)
Il y a d'autres scènes, et personnages remarquables, Laura Linney a un rôle excessivement réel également.
Et là je me rends compte que je ne trouve réelles que les situations dramatiques du film. Non, non, il doit y avoir des happy ends aussi dans la vie. Non ?