Pourquoi la gauche est en déclin ? Sous ce titre, j’avais déjà évoqué sur Fugues, il y a un an, les thèses intéressantes du professore Raffaele Simone, linguiste à l’Université de Roma III. Raffaele Simone n’a pas fait débat en Italie, mais il l’a heureusement fait en France. Moins à gauche qu’au centre-gauche - hors partis ! - via la revue de Pierre Nora ‘Le Débat’. Ce qui a forcé les démagos du parti socialiste à récupérer la question pour que les militants s’y amusent – faute d’autres idées à moudre. Il Professore a été l’invité des ‘Matins’ de France-Culture mercredi 15 septembre et vous pouvez l’écouter une heure ou le voir treize minutes en vidéo.
- celui de droite va vers la facilité, le moi, l’égoïsme, les rituels et traditions ;
- celui de gauche demande un effort, il va vers les autres, tente d’inventer un avenir commun aux ressources partagées.
A ce niveau anthropologique, l’enfant de deux ans est « de droite », égocentré, voulant prendre tout pour lui au détriment des autres, avide que tout le monde et surtout sa mère soit à son service exclusif. On voit bien tout ce que les incantations Royal ont de ce tempérament, ces temps dernier… Tout l’effort « de gauche » va être d’éducation et d’ouverture : sortir de soi, partager et rendre service, explorer le neuf. On se demande alors où est la gauche en France. J’ai déjà évoqué sur Fugues ces tendances des tempéraments de droite et de gauche.
Les conquêtes politiques et sociales depuis la fin du XVIIIe siècle sont d’ailleurs « de gauche » : fin des privilèges et égalité en droit, suffrage universel et (même) vote des femmes, liberté d’expression, sécurité sociale, droit du travail, etc. Ce sont toutes des conquêtes de la gauche politique, que la droite a accepté progressivement. Mais c’est désormais une habitude, parfois grignotée ici ou là, mais plus un combat pour aller plus loin. Et c’est bien là le problème de la gauche aujourd’hui en Occident, selon Simone : conserver les zacquis, se crisper sur un âge d’or, refuser tout changement.
Le débat politique à gauche, dans toute l’Europe, reste épidermique, émotionnel et superficiel. Les revendications se contentent d’être tranquillement « réactionnaire », crispée sur ce qui est à conserver, niant le changement, refusant d’inventer l’avenir. Ayant déserté son public populaire : classe ouvrière et syndicats, comment la gauche pourrait-elle désormais « penser » ? Le blocage idéaliste de la gauche française, voire un certain « terrorisme » intellectuel qui permet de se sentir entre soi à bon compte, empêche de penser le réel au profit des incantations rituelles et fusionnelles. Ce qui aboutit donc à ce qui a le plus vieilli à gauche : le socialisme. Car, dit Raffaele Simone, il ne faut pas confondre tempérament de gauche et idéologie socialiste. Le socialisme, dans l’histoire européenne, a été très important, mais il a vécu. Le communisme « réel » l’a tué en tant qu’utopie, l’étatisme démagogique et dépensier des sociaux-démocrates autoritaires n’est plus en phase avec le monde qui se globalise, ni avec une société qui s’individualise. Seule la proposition de retraite “à la carte” va dans ce sens, mais après combien de mois de tergiversations et de silence ?
Cela ne condamne en rien la gauche comme tempérament. Mais il n’est pas vraiment représentée en politique. Les ouvriers en Italie, analyse Raffaele Simone, soit votent pour les groupuscules d’extrême-gauche, soit se rallient à la facilité Berlusconi faite de paillettes et de consumérisme. Ils ont déserté les partis de gauche traditionnels, trop bourgeois, trop confits dans leurs convictions antiques, trop impliqués dans le marigot politicien pour oser autre chose que de conserver leurs positions.
Car ce qui manque à la gauche politique aujourd’hui, selon Raffaelle Simone, est de réfléchir aux problèmes concrets qui se posent à la société. Ils sont pour lui trois :
• la construction européenne dans un monde qui se globalise,
• l’immigration croissante due à cette globalisation et les questions qu’elle pose au vivre ensemble,
• la financiarisation incontrôlée du capitalisme mondial.
Sur ces trois situations concrètes, que dit la gauche politique ? Rien de neuf : que des incantations qui datent du modèle marxiste, élaboré au siècle avant le dernier.
- L’étatisme jacobin se heurte aux négociations nécessaires au niveau européen.
- L’immigration est traitée comme une question philosophique et non comme une suite de cas concrets : tout le monde il est beau, tout le monde il a droit, on est tous fils de Dieu.
- La finance et son krach de la raison pure sont laissé aux compromis vaseux entre lobbies, surtout sans débat européen ni dans les forums mondiaux : les egos sont tellement plus satisfaits de s’entre-regarder en France et de clamer des yakas « si jamais » ils revenaient un jour au pouvoir.
Pourtant, il existe des idées modernes de gauche. La ‘troisième voie’ de Tony Blair et le ‘pacte social’ allemand se sont dilués dans l’économie et c’est en France, plus particulièrement qu’on les trouve (et peut-être en Suède, sans le dire, par la pratique) :
• Une mondialisation de gauche avec Hubert Védrine.
• Une analyse des libertés à gauche avec Monique Canto-Sperber.
• Une démocratie renouvelée à gauche avec Pierre Rosanvallon.
• La société contemporaine pensée à gauche – mais pas par la gauche de parti avec Daniel Cohn-Bendit.
• Un projet social-démocrate repensé et adapté en Allemagne avec Ernst Hillebrand.
La gauche politique devra probablement se débarrasser du socialisme pour repenser le réel. Le monde change et exige une pensée changée. Daniel Cohn-Bendit, avec l’intuition qui est la sienne, voit loin lorsqu’il veut ouvrir la pensée de gauche à l’écologie. Ce n’est malheureusement pas la pâle fille de niveau Troisième avec ses longs cheveux et ses rabâchages laborieux qui peuvent porter le mouvement. Restent les intellectuels : pour l’instant ils se regardent, se demandant qui va dégainer le premier. Ah, si Dominique Strauss-Kahn était candidat, un corps de doctrine renouvelé est tout prêt à être pensé. Si Ségolène Royal voulait, si Martine Aubry pouvait, si…
Mais pendant ce temps, tandis que les bons esprits s’abîment dans les songes, le tempérament de droite agit sur les consciences. Chaque jour et chaque heure, un petit peu à la fois. C’est la dérision injurieuse des soi-disant « humoristes (dont l’humour est à l’original anglais ce que les gros sabots sont aux escarpins vernis), ce sont les bonnes consciences « associatives » qui se « mobilisent » pour brailler dans les rues (sans proposer des réponses concrètes aux cas concrets du vivre ensemble compromis), c’est la pub et son objet du désir, les bluettes anesthésiante comme si elle était plus belle, la vie – telle qu’elle est. Ce pourquoi la gauche va perdre.
Il faut que la remise en cause vienne d’ailleurs. Celle-ci vient d’Italie, ce laboratoire où la droite soft englue les consciences dans le consumérisme et le divertissement. Raffaele Simone invite à penser : chiche ?
Raffaele Simone, Le monstre doux : L’occident vire-t-il à droite ?, septembre 2010, Gallimard Le Débat, 180 pages, 16.63€
Raffaele Simone en écoute dans Les Matins de France-Culture au 15 septembre
Droite et gauche anthropologique en France sur Fugues