Toujours chez Gwen, la récration du mercredi fait son apparition.
Le thème d'aujourd'hui :
Le cœur régulier. Le premier mot. Retour aux mots sauvages. Antoine et Isabelle. Apocalypse bébé. L’insomnie des étoiles. Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants. La carte et le territoire. Naissance d’un pont. La vie est brève et le désir sans fin. Une année chez les Français. Une forme de vie. Le testament d’Olympe. Six mois, six jours.Ces titres vous disent quelque chose? C’est normal. Il s’agit là de la sélection du Prix Goncourt des lycéens. Je vous propose d’en choisir une dizaine parmi eux et d’écrire une courte histoire avec.
Ce qui donne :
-Gigi, tu descends mon lapin ? Tu vas être en retard pour l’école !
Un garçon brun, sac à dos sur les épaules et mine renfrognée descend de l’escalier fraichement ciré.
-Eh ben, qu’est ce qu’il y a mon cœur ?
Le premier mot qu’il lui vient à l’esprit est ferme-là mais comme il est bien élevé, il se contente de dire :
-Rien ! Je voudrai juste que tu arrête de m’appeler Gigi, c’est tout… c’est franchement nul !
-Oh, mon petit garçon n’a pas assez dormi, allez en voiture !
Gigi a à peine le temps d’attraper son manteau que sa mère est déjà installée au volant. La radio est allumée et Isabelle chantonne.
-Tu entends mon lapin ? c’est Gigi Goldman ? Ah, la journée s’annonce belle, je te le dis.
Son Gigi s’est blotti à l’arrière avec sa console de jeux en main, il s’active à son jeu préféré au nom d’Apocalypse Bébé où le héros n’a que la carte et le territoire pour faire face aux méchants. Et que je te dégomme des monstres et des chanteurs des années 80!
La mère d’Isabelle n’avait qu’un crédo : la chanson pour être heureuse ! Et Isabelle a hérité de cette manie. Pas une journée se passe sans qu’elle fredonne ou ne chante. Ce n’est pas rien pour rien que ses enfants se prénomment : Jeanne, pour Jeanne Mas, Claude pour Claude François et Jean-Jacques dit Gigi pour Jean-Jacques Goldman.
Elle est heureuse de vivre Isabelle. Pétillante, une vitamine C sur jambes qui ne se plaint jamais. D’ailleurs, elle le dit à qui veut l’entendre « il faut voir la vie en rose et de pas s’apitoyer sur soi. La vie est brève et le désir sans fin ». Agée de 42 ans, elle a la vitalité d’une fille de 20 ans. Antoine et Isabelle sont mariés depuis 22 ans et jamais leur couple n’a jamais battu de l’aile.
Arrivée devant l’école, elle accompagne Gigi bien qu’il soit en CM2, lui flanquant deux grosses bises bien sonnantes, papote un peu avec quelques mères et repart aussi sec. Antoine est commercial et souvent absent de la semaine et Isabelle gère tout. C’est bien simple, tout le monde l’admire de la boulangère, à ses voisins en passant par ses amis. Sa maison est un modèle de propreté à faire pâlir de jalousie Monsieur Propre.
Mère au foyer, elle ne voit pas le temps passer. Son emploi du temps est réglé à la minute près entre Gigi à amener et à chercher à l’école, les activités extrascolaires, les courses, le linge… et ses deux ados : Louise 17 ans et Claude 14 ans. Sitôt rentrée, elle s’active à la cuisine : débarrasser la table du petit-déjeuner. Louise a renversé la moitié de son verre de jus d’orange à côté de la table, Claude a laissé derrière lui une armée de céréales sortant d’un paquet éventré sauvagement? Ce n’est pas grave ! Elle essuie, elle range en écoutant l’émission "Une année chez les Français "à la radio . L’émission traite des problèmes actuels : crise, chômage mais aussi d’autre sujets sur l’infidélité, les enfants qui battent leurs parents. A chaque fois, Isabelle soupire en se disant qu’elle a vraiment de la chance ! Puis, elle passe un coup de balai et en profite pour muscler ses fessiers Et une, deux, trois, on contracte….Aucune raison de se laisser aller !
Au contraire, passée la quarantaine, il faut s’entretenir encore plus. Etre plus vigilante vis-à-vis du carré de chocolat, du morceau de gâteau qui s’incrustera dans les hanches ou dans les cuisses. Puis, elle s’affaire dans les chambres et la salle de bains, range après ses enfants en chantant. Elle récupère la chaussette sale qui traîne sous le lit, le mouchoir en papier tombé à côté de la poubelle et en étant toujours de bonne humeur.
Elle nettoie, elle débusque du coin de l’œil le grain de poussière que personne n’a remarqué sauf elle. Ses enfants ne font aucun effort. Pourquoi en feraient-ils d’ailleurs ? Leur mère est toujours affublée d’un chiffon et de son aspirateur tel un terminator ménager. Elle conçoit la vie aussi nette qu’une surface aseptisée, brillante et récurée, une forme de vie qui convient à toute la famille.
Six mois, six jours plus tard, Isabelle n’a plus le moral. Son Gigi va d’ici peu entrer au collège. Ses enfants ont grandi si vite. Rien ne va pas plus ! Elle se traine, n’a plus de goût à rien et la maison est sens dessus dessous. Isabelle se rend compte que bientôt ses enfants n’auront plus besoin d’elle. Antoine l’a poussé à aller consulter le médecin. Car lui et les enfants en ont marre de manger des plats surgelés. Louise qui n’avait jamais approché de près ou de loin un fer à repasser a dû s’y mettre. Claude a découvert que les céréales n’allaient pas toutes seules dans la poubelle. Et Gigi demande à ce qu’on l’appelle son lapin.
Le médecin n’a rien trouvé d’anormal à ce cœur régulier mais juste une tension un peu basse. Il lui a prescrit des anxiolytiques et depuis tout va mieux. Les pilules du bonheur lui font tellement de bien qu’elle en abuse. Du matin au soir, elle est sur son petit nuage. Ses gestes sont un peu ralentis, son regard hagard mais ni son mari ses enfants ne se plaignent. Toutes les tâches ménagères sont faites et en silence. Fini la chansonnette ! Quand Isabelle ouvre la bouche, elle annone des mots étranges, des prophéties, des discours et répète » parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants ».
D’ailleurs, Antoine se demande bien pourquoi il ne l’avait pas amené plus tôt chez le médecin …