Il y a des films musicaux qui donnent la pêche, grâce à des morceaux entraînants qui donnent envie de danser, de chanter, d’exprimer sa joie ou d’évacuer ses soucis…
Il y a aussi des films musicaux, plus rares, qui parviennent à faire battre à l’unisson le rythme des instruments avec celui de nos coeurs, qui font vibrer nos cordes les plus sensibles, qui, de par leurs magnifiques mélopées, s’adressent directement à nos âmes, nous touchent, nous bouleversent, nous font aimer la vie…
Et puis, il y a Benda Bilili ! qui est un peu tout cela, mais aussi et surtout le récit d’une formidable aventure humaine, filmée sur près de cinq ans. Une histoire d’amitié, de courage, de foi et d’espoir…
Tout commence en 2004, quand les documentaristes français Renaud Barret et Florent de La Tullaye tournent à Kinshasa, en République Démocratique du Congo, un film sur les musiques urbaines et cherchent à rencontrer des musiciens locaux.
Ils rencontrent Ricky, un quinquagénaire animé par un vieux rêve : faire de son groupe, le Staff Benda Bilili, l’un des orchestres les plus connus du Congo.
Instantanément, les cinéastes tombent sous le charme de cet assemblage assez incroyable de musiciens miséreux et/ou handicapés, vieux routards et gamins courageux, qui chantent leur quotidien pas toujours simple, leurs rêves d’ailleurs, leur soif de bonheur en un mélange explosif de musique traditionnelle, de blues, de rock et de rumba !
Ils décident de les aider à produire et à enregistrer leur premier disque, et de filmer au jour le jour la conception et l’enregistrement de cet album qui, pour les membres du groupes, ouvre les portes d’un avenir meilleur…
On suit le groupe dans les rues de Kinshasa, là où il est né, là où il a commencé à jouer sa musique si énergique, puis dans des studios de fortune, comme le vieux zoo de Kinshasa. On découvre des personnalités attachantes, prenant du plaisir à travailler ensemble et décidées à vivre pleinement leur passion de la musique : Leon Likabu, alias “Papa Ricky”, le leader du groupe et Coco Ngambali Yakala, son vieux complice, Junana Tanga Suele, Théo “Coude” Nsituvuidi, Paulin “Cavalier” Kiara Maigi, Cubain Kabeya, Waroma “Santu Papa” Abi-Ngoma, Zadis Mbulu Nzungu et Roger Landu. On voit grandir ce dernier tout au long du film. Le gamin des rues un peu sauvage, “shege” (1) prêt à basculer dans la délinquance, laissant place à une star internationale. Tout ça grâce à une corde unique, celle de son satongé, fabriqué avec du matériel de récup’.
Une chance que n’aura pas, en revanche, le jeune Randi, un percussionniste doué qui a participé à une partie de l’enregistrement de l’album avant de disparaître mystérieusement.
Les deux tiers de ces musiciens sont handicapés, victimes très jeunes de la poliomyélite qui fait encore des ravages dans les quartiers kinois les plus pauvres. Mais pourtant, ils se soucient bien peu de leurs handicaps physiques. Tant qu’ils peuvent jouer leur musique, ils sont heureux ! Et si certaines tâches sont un peu trop ardues, ils peuvent compter sur les quelques membres valides du groupe. Au sein du Staff, la solidarité joue à plein… Une belle leçon de vie !
Le plus marquant, c’est que ces gens ne se plaignent absolument jamais, malgré des conditions de vie difficiles, malgré un environnement où il serait facile de sombrer dans la violence ou de se résigner à vivre jusqu’au bout dans la misère.
Et loin d’eux l’idée d’essayer de mettre en avant leur pseudo-faiblesse pour que le public s’apitoie sur leur sort. Ils ne sont pas des victimes mais des battants, animés par une énergie folle, une foi en un avenir meilleur.
Même quand leur centre d’hébergement se retrouve entièrement brûlé, les contraignant à vivre dans la rue, dans des cartons, ils acceptent leur sort avec beaucoup de dignité, prêt à affronter ces nouvelles épreuves avec courage…
Du rêve à la réalité, le chemin est long et cahotique…
… mais il débouchera finalement sur un triomphe amplement mérité, assurant à ces musiciens un cadre de vie plus confortable, un avenir meilleur pour eux ou leurs enfants.
Après une année d’interruption de tournage, les cinéastes reviennent avec de nouveaux soutiens, qui leur permettent de finaliser l’album (2) et de pouvoir entamer une carrière internationale, de festival en festival, au coeur de la vieille Europe qui fait office de terre promise pour les jeunes africains…
Première rencontre avec le public français : Belfort, en 2009, aux Eurockéennes.
Au début seuls quelques rares curieux viennent assister aux répétitions de cette drôle de troupe d’éclopés congolais, puis, dès que résonnent les riffs des guitares, les chants de Ricky et Coco, les solos de satongés de Roger, le public afflue, vibre, s’enthousiasme – et nous avec ! – et applaudit à tout rompre…
Depuis, Staff Benda Belili a effectué plusieurs tournées européennes et s’attaque aujourd’hui à de nouveaux continents, comme l’Asie… Le film a reçu un accueil chaleureux à Cannes, où il était présenté en ouverture de la Quinzaine des Réalisateurs.
Une vraie success-story qui fait plaisir à voir, qui met du baume au coeur et donne envie d’aller rencontrer ces musiciens fantasques dont les rêves les plus fous ont fini par se réaliser…
Bien sûr, il se trouvera forcément quelques grincheux pour regretter que le documentaire ne s’attarde pas plus sur la misère ambiante, que la réussite d’une poignée n’éclipse le malheur de milliers d’autres…
Certes Renaud Barret et Florent de La Tullaye se concentrent essentiellement sur leurs sujets et l’énergie qu’ils dépensent pour accomplir leurs rêves, mais ils n’éludent pas pour autant les conditions de vie difficiles des miséreux de Kinshasa. On voit l’insalubrité des rues, l’indigence des habitants, les problèmes de vols et de délinquance… Simplement, les cinéastes ont choisi de ne pas verser dans le pathos, tout comme ils ont choisi de privilégier la sobriété – plans simples et commentaire rare - à un documentaire trop lourdement démonstratif.
Le film dresse le portrait d’une ville, d’un pays, d’une société, par petites touches successives, discrètes mais percutantes. A aucun moment les cinéastes ne cherchent à jouer sur le cliché d’une Afrique ultra-pauvre.
Au contraire, ils veulent montrer des richesses insoupçonnées, culturelles, sociales, humaines, qui pourraient permettre aux africains de se construire un avenir meilleur…
Bien sûr, là encore, la route sera longue et sinueuse. Mais rien n’est impossible, comme le prouve le succès de ce groupe sur qui personne, hormis les deux réalisateurs et eux-mêmes, n’auraient misé un centime de franc CFA…
La population kinoise n’a pas besoin qu’on lui rappelle la rudesse de ses conditions de vie, elle a besoin de rêves, d’exemples à suivre. Et le Staff Benda Bilili est un modèle de réussite fulgurante…
Mais là encore, les cinéastes restent mesurés. Comme ils ont refusé d’étaler la misère ambiante, ils se refusent à verser dans un optimisme béat…
Les membres du Staff Benda Bilili savent d’où ils viennent, savent aussi, comme précisé dans le texte d’une de leurs chansons, que la roue tourne. Aujourd’hui, ils mangent à la table de beaux hôtels européens, mais ils n’oublieront jamais qu’hier, ils mangeaient par terre, dans la poussière des rues de Kinshasa, et que demain, peut-être, ils seront de nouveau en difficulté.
Dignes dans le malheur, ils restent humbles dans le succès. Et toujours aussi généreux et solidaires : L’argent gagné suite au succès de leur premier album et de leurs tournées triomphales servira bien sûr à prémunir du besoin leurs proches restés au pays, mais aussi à créer une structure destinée à aider les musiciens des rues, handicapés ou valides, à s’en sortir…
Oui, Ricky, Coco, Roger et les autres méritent bien ce qui leur arrive aujourd’hui, cette reconnaissance internationale, cette opportunité de vivre enfin de leur art. Ils sont honnêtes et travailleurs, généreux et ouverts aux autres, porteurs des tourments et des espoirs de tout un peuple, de tout un continent.…
De braves gens, tout simplement…
Tout comme les auteurs de ce documentaire au long cours, dont il convient de louer la détermination et l’engagement, qui ont aidé les musiciens a accomplir leur rêve.
Nous vous incitons donc chaudement à aller voir Benda Bilili ! pour découvrir le formidable destin de cette joyeuse troupe, des bas-fonds de Kinshasa aux scènes des plus grands festivals européens…
(1) : “shege” = enfant des rues, en dialecte lingala
(2) : “Très très fort” de Staff Benda Bilili – éd. Crammed
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Benda Bilili !
Benda Bilili !
Réalisateurs : Renaud Barret, Florent de La Tullaye
Avec : Leon Likabu, Coco Ngambali Yakala, Junana Tanga Suele, Théo Nsituvuidi, Roger Landu
Origine : France
Genre : formidable success-story
Durée : 1h24
Date de sortie France : 08/09/2010
Note pour ce film : ●●●●●●
contrepoint critique chez : Chronicart
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