Réforme des retraites : « Convaincre l’opinion publique du bien fondé d’une réforme est une tâche complexe »

Publié le 15 septembre 2010 par Cahier

En pleine réforme des retraites, Délits d’Opinion a rencontré Denis Jacquat, Député UMP de Meurthe-et-Moselle et rapporteur du projet de loi de réforme des retraites. A noter que cette rencontre s’inscrit dans la continuité de la première interview réalisée en juin dernier avec Marisol Touraine .

Délits d’Opinion :  Les trois quarts des Français ne se déclarent pas confiants quant au niveau de retraite qu’ils toucheront par rapport à leurs revenus actuels. Comprenez-vous ce manque de confiance et l’estimez vous légitime ?

Denis JACQUAT : Ma première réaction au chiffre de ce sondage, c’est qu’il montre clairement qu’il reste encore un gros travail de pédagogie à réaliser concernant la réforme du système de retraite. Les médias ont pourtant beaucoup abordé cette question, en particulier depuis la publication des travaux du COR (Conseil d’Orientation des Retraites) qui insistait sur la nécessité de réformer le système actuel et sur la possibilité de maintenir un niveau important de retraite, à condition de s’y prendre dès maintenant.

La nécessité d’une réforme en tant que telle n’est d’ailleurs pas remise en cause, le problème vient du fait que les débats se situent actuellement dans ce que j’appellerais la politique politicienne et pas vraiment dans le domaine social. Pour caricaturer un peu, je dirais que si demain on faisait passer un amendement pour mettre l’âge des retraites à 50 ans, on trouverait encore des gens pour le réclamer à 40.

Cette situation est assez désolante, en particulier si on la compare avec l’Allemagne où la droite et la gauche ont su trouver un terrain d’entente.

Délits d’Opinion :  Les mouvements sociaux de la semaine dernière ont connu un franc succès : sur la méthode, estimez-vous que le Gouvernement a commis des erreurs ?

Denis JACQUAT : Sur ce dossier, la communication gouvernementale, à travers les médias, fut très importante dans la presse écrite, sur le net ou dans les spots télévisés. Des élus de l’opposition ont même critiqué cet important effort en considérant anormal une telle communication gouvernementale. Sur le fond, je ne pense que pas qu’il y ait eu d’erreur commise. En revanche il existe un réel problème de contexte politique malsain en ce moment. Il est même particulièrement malsain. Je n’ai jamais vu d’ambiance aussi houleuse au sein de l’Hémicycle où les insultes de « menteurs » sont régulièrement formulées dans un climat haineux par moment.

Délits d’Opinion :  La complexité à réformer les retraites en France est-elle une question d’opinion publique ?

Denis JACQUAT : En 1991, Michel Rocard prédisait dans son Livre Blanc sur les retraites qu’ « avec la réforme des retraites, il y a de quoi faire sauter plusieurs gouvernements ». 20 ans plus tard, rien n’a changé !

Convaincre l’opinion publique du bien fondé d’une réforme est une tâche complexe. Une partie est clairement intoxiquée par ce climat politique malsain. La croyance qu’en prélevant plus sur le capital on pourrait résoudre le problème de financement fait également partie des convictions largement répandues.

Dans la rue, les gens que je croise me disent de tenir bon et nous encouragent à faire passer cette réforme. Une partie considère même que l’on ne pas assez vite ou assez loin sur la convergence des systèmes privé et public.

Délits d’Opinion :  55% des Français pensent que le Gouvernement doit céder sur le report de l’âge légal. Cette tendance est prise en compte dans les propositions du Parti Socialiste. Martine Aubry s’est d’ailleurs engagée à revenir sur le report de l’âge légal.

En termes de financement, dans quelles mesures le passage à une taxation plus importante du capital comme les dividendes ou les plus-values de cessions mobilières (actions, obligations) et immobilières d’avance était-elle possible et suffisante ?

Denis JACQUAT : Il est bien sûr possible de créer de nouveaux systèmes de taxation et de prétendre tout financer de cette manière. Le problème c’est que la taxation du capital engendre des recettes aléatoires : vous taxerez un capital sur une assiette précise la première année, puis sur une assiette différente la seconde et encore différente la troisième. Cette incertitude sur le montant des recettes ne parait pas compatible avec la nécessité de planification propre au financement d’un système de retraite.

Sur ce point, la démonstration de Charles de Courson en discussion générale fut particulièrement éloquente. Il montre bien comment les propositions du PS de trouver 40 milliards de recettes supplémentaires, notamment en taxant le capital, ne tiennent pas la route.

Délits d’Opinion :  Depuis le début du XXème siècle, les Français tendent à travailler de moins en moins (jusqu’aux 35h) et à s’accorder plus de congés (5 semaines) au point que ce mode de vie ait été qualifié de « leisure society »…Dans quelles mesures cette réforme remet en cause cette longue tendance ?

Denis JACQUAT : Je ne crois pas que cette réforme remette en cause quoi que ce soit. Il s’agit simplement de maintenir, dans la mesure du possible, le même niveau de retraite en adaptant le système de répartition actuel. Si l’on se focalise sur la mesure principale, l’augmentation de l’âge légal de deux ans, elle ne peut prétendre à elle seule remettre en cause la tendance que vous évoquez. Les congés sans solde, l’aménagement du temps de travail aussi bien que l’augmentation de la durée de vie et l’augmentation de l’âge moyen d’entrée sur le marché du travail compensent largement cette durée de cotisation supplémentaire.

Propos recueillis par Olivier.