M. Pierre Lellouche, secrétaire d’Etat chargé des Affaires européennes, a déclaré ce 15 septembre 2010: « Je ne peux pas laisser Madame Reding dire que la France de 2010, dans le traitement de la question des Roms, c’est la France de Vichy, c’est pas possible, de parler de la 2° guerre mondiale, non, l’aéroport de Roissy, c’est pas Beaune-la-Rolande, ou Drancy, un billet d’avion pour le pays d’origine dans l’UE, c’est pas les trains de la mort, c’est pas les chambres à gaz ! ». Avant de relever l’outrance de tels propos, regardons d’un peu plus près les termes employés.
D’abord, ce que l’on traite ici, ce n’est pas une question, mais des êtres humains. On doit donc parler du traitement des Roms. Ensuite, qu’est-ce donc que cette question des Roms ? Il me semble que certain chancelier s’était déjà penché sur cette question et aussi, sur une plus grande échelle, sur la question juive. Plutôt que de hurler à l’amalgame, un ministre devrait choisir ses mots avec plus de soin pour éviter d’y prêter le flanc. .J’avais compris que notre gouvernement, comme il en a le droit, entendait reconduire à la frontière les personnes qui, ne remplissant pas les conditions requises, ne pouvaient pas résider en France. Il se peut que, parmi ces gens, on trouve des Roms mais, ce qui motive leur départ, c’est l’irrégularité de leur séjour, et non leur qualité de Roms. Il n’y a pas de question des Roms, il y a la question des résidents sans titre. M. Lellouche, comme d’autres avant lui, vient à nouveau de stigmatiser une communauté, celle des Roms. Un individu qui a osé déclarer que 90% des délits commis en France étaient le fait des Roms se permet d’accuser Mme Reding de dérapage !
Notre gouvernement est parfaitement habilité à démanteler les campements illégaux, bien que l’on puisse remarquer qu’ils seraient moins nombreux si les communes avaient installé des emplacements pour le stationnement des nomades, comme la loi leur en fait obligation. Remarquons au passage que ce gouvernement est beaucoup plus prompt à s’occuper des premiers que des secondes. Le départ de France est paraît-il réalisé sur la base du volontariat. J’ai toujours éprouvé des doutes sur la réalité du volontariat d’individus à la merci d’une autorité supérieure. Ce qui est étrange c’est que le même gouvernement qui prescrit pour les sans-papiers une régularisation au cas par cas s’empresse d’évacuer en masse les résidents sans titre.
Contrairement à ce qu’affirme ce ministre, on ne donne pas à ces expulsés un billet d’avion. Si tel était le cas, ils auraient le droit, sinon de choisir leur destination, tout au moins de fixer la date de ce voyage afin de pouvoir auparavant liquider leurs maigres biens et prendre congé de leurs amis.
Je ne sais si Mme Viviane Reding, commissaire européen à la Justice et aux droits des Citoyens, a évoqué les trains de la mort et les chambres à gaz comme le rapporte notre ministre. Pour ma part, je l’ai vu dire ceci : « On n’expulse pas un groupe ethnique, ou un groupe racial, demain peut-être un groupe religieux ou que sais-je. Cela ne va pas. Stop ! Je suis très en colère, je suis en colère aussi parce que ici, il ne s’agit pas d’un petit détail, d’une petite loi, ici, il s’agit des valeurs fondamentales sur laquelle depuis la deuxième guerre mondiale on a construit notre Europe, pas de déportation de masse ». Apparemment, son unique référence à la deuxième guerre mondiale est pour souligner le fait que ce sont les horreurs de celle-ci qui ont déterminé les pères fondateurs de l’Europe à la construire sur un certain nombre de valeurs fondamentales, parmi lesquelles l’égalité entre tous ses citoyens. Nos médias assurent que la commissaire serait revenue sur ses propos mercredi soir. J'ai le sentiment qu'elle a simplement réitéré ce qu'elle avait dit précédemment. Je suis naturellement disposé à réviser cette position si l'on m'indique une déclaration où elle aurait explicitement effectué le parallèle dont on l'accuse.
Evidemment, il n’y a pas de commune mesure entre les atrocités perpétrées par les Nazis et entre ce transfert des Roms dans leur patrie. Mais c’est le fait de mettre ainsi à part un groupe humain qui est la matrice d’autres débordements. Il semble qu’on ne puisse reconnaître qu’un groupe soit différent sans immédiatement le considérer comme inférieur et donc moins digne d’intérêt que les autres. Lors de la rafle du Vel d’Hiv, Mme Geneviève Anthonioz de Gaulle, manifestant son émotion devant cet événement, s’était ainsi entendu répondre par un brave Français : « mais c’est des Juifs ! ». Avec des conséquences beaucoup moins graves, c’est la même démarche ségrégationniste qu’applique aujourd’hui notre gouvernement. Si la circulaire émise par le Ministère de l’Intérieur s’inscrit évidemment dans ce contexte, il convient de souligner qu’elle était dans la droite ligne du discours de Grenoble où notre Président, fils de Hongrois, petit-fils d'un sujet de l'empire ottoman, violant allègrement notre constitution, a créé une nouvelle catégorie de Français, ceux d’origine étrangère.
Les réactions de nos ministres envers Mme Reding sont tout aussi misérables : elle n’est pas élue. Nos ministres le sont-ils tous ? Nous avons même connu un Premier ministre sans mandat électif. Elle occupait précédemment un autre poste que celui-ci. Comme si nos ministres ne sautaient pas d’un ministère à l’autre ! Et le comble, elle est luxembourgeoise. Comme si des membres de notre Union étaient moins égaux que d’autres. Toujours cette suffisance, ce chauvinisme, cette nostalgie d’un rôle de grande puissance depuis longtemps abandonné. Après le racisme anti-Roms, pourquoi pas un racisme anti-Luxembourgeois. Quant à notre Ministre des Affaires étrangères, il vient de s’apercevoir qu’un commissaire européen ne s’exprime pas au nom de son pays mais au nom de l’Union. Voilà un homme compétent !