Briser le silence, et après…
A peine 5% des présumés violeurs qui arrivent à la barre sont condamnés. Des chiffres qui n’encouragent pas les victimes à dénoncer leurs bourreaux.
Marie B. est violée par son père depuis plus de 10ans. Aujourd’hui, son bourreau lui demande un bébé. Yvan M. était régulièrement sodomisé par son père sous la douche, à l’âge de 10 ans. Ce sont quelques cas relevés mercredi dernier, par Christian Batchegane, directeur du cabinet de conseil en communication Chrisbat et promoteur de la campagne de sensibilisation contre les viols incestueux. C’était à l’occasion d’un point de presse à l’hôtel des Députés.
Les viols dits domestiques gagnent en intensité. Des chiffres l’ont révélés ici et là dans la presse ces derniers temps. Huit filles sur 25 et sept garçons sur 33 sont victimes de viols intrafamiliaux. Un effet de mode ou de sorcellerie ? Christian Batchegane s’interroge. Des spécialistes évoquent des causes à trois niveaux.
La victime souvent envahie par le sentiment de culpabilité et de honte ou psychologiquement manipulée par son bourreau, préfère garder le silence. Parfois, le viol se passe au vu et au su de la famille qui, stigmatisée en elle-même a tendance à « laver le linge sale en famille ». Le plus grave enfin, c’est le taux élevé d’impunité des présumés coupables. Des résultats d’enquêtes du GTZ de l’année dernière montrent que, sur 85% des cas de viols incestueux, seulement 7% des présumés violeurs arrivent à la barre. Et à peine 5% d’entre eux sont condamnés. Comme plusieurs autres victimes, Marie B. est menacée de mort par son bourreau, au cas où elle le dénoncerait. Son silence est encore plus assourdissant que ce dernier, Haut commis de l’Etat, « a des relations » partout.
Pourtant, le code pénal camerounais condamne le viol de 5 à 10 ans d’emprisonnement, double la peine et va même jusqu’à la prison à vie lorsque l’agresseur est une parenté.
C’est sous cet angle que le Chrisbat conseil a placé cette campagne sous le thème : « Viol domestique des enfants au Cameroun : Etat des lieux, prise en charge, sensibilisation, prévention et cessation », malgré l’absence remarquée d’un homme de loi sur le panel du point de presse de mercredi dernier.
Sandrine KOUME
- Le sujet intéresse le public
Témoignages
« J’ai été violée par mon père pendant plus de cinq ans »
22 ans et aujourd’hui étudiante en 3ème année à l’université de Yaoundé I, Joëlle C. témoigne
« Tout a commencé lorsque j’avais 16 ans. J’étais élève en classe de 4ème. Mon père est venu me trouver un jour pour me dire qu’un marabout lui a dit qu’il est en danger de mort. Et que sa seule chance de survivre, s’était de coucher avec sa fille.
Notre père était la seule source de revenue de toute la grande famille. Il était le seul à avoir réussi et nous savions qu’aucun de nos oncles ou tantes paternel et maternel ne prendrait soin de nous, si jamais quelque chose lui arrivait. En plus, aucune de ses deux femmes, dont ma mère ne travaillaient. Je suis l’aînée d’une famille de plus de dix enfants. Ce qui faisait de moi selon mon père, celle de qui dépendait le bien de la famille. Ne voulant pas céder à ces caprices, il me traitait d’égoïste, de méchante. Car disait-il, j’hypothéquais mon avenir et celui de mes frères parce que je ne pensais qu’à préserver mon corps. Je lui ai finalement cédé.
Il m’a ensuite dit que ce même marabout avait demandé qu’il renouvelle le traitement autant de fois que possible, mais je voyais bien qu’il y avait pris goût. Lorsqu’il me faisait l’amour, j’étais en pleurs. Et lui, il me consolait et me comblait ensuite de cadeaux comme les hommes font pour les femmes qu’ils aiment. Parfois même, c’était des revues pornographiques qu’il m’offrait. Il disait qu’il voulait inciter en moi l’envie de le faire. J’étais la seule qui avait le droit de faire son repas. Je devais m’occuper de ses habits. Et lorsque j’avais été têtu ou surprise avec un garçon, pour que le problème s’arrange, il fallait que je lui cède à nouveau. Pendant six ans, on l’a fait partout. Dans ma chambre, dans les auberges et hôtels de la ville, au village… Sa stratégie pour que je vienne avec lui était qu’il me demandait de l’accompagner quelque part devant mes mamans et mes frères.
Mon père et moi avions développé une véritable amitié depuis ma tendre enfance. Ce qui faisait que personne ne pouvait donc soupçonner ce qui se passait entre nous, pendant les heures que nous passions seuls dans ma chambre ou quand nous sortions.
J’étais confuse. Car, je savais que ce n’était pas bien, je voulais que cela cesse. Mais je pensais à ma scolarité et à celle de mes petits frères. Je pensais à toute la famille qui se brisera, à ma mère qui en souffrira et enfin au monstre de mon père que je n’arrive pas à détester. Je ne comprenais pas d’où pouvais lui venir ce genre d’envie. Il avait fait de grandes études, avait voyagé un peu partout dans le monde et est devenu un très grand professeur en sociologie à l’université de Yaoundé I. J’avais le choix d’aller me plaindre au Ministère des Affaires sociales. Mais en ébruitant l’affaire, aurais-je la solution à mon problème ? Et puis comme il le disait lui-même, j’étais trop impliquée pour que quelqu’un, me croit. Devant la barre, ce serait ma parole contre la sienne. Le plus dure à avaler c’est que, si je m’en tiens aux dires de ma mère, de mes oncles et tantes, cet homme est mon géniteur. J’aurai même été conçue dans le cadre du mariage et loin d’eux l’idée que ma mère aurait trichée.
Arrivé en classe de Terminale, j’ai décidé de mettre un terme à cette relation. Je ne dirai à personne dans la famille, et je me prendrai en charge. Il n’a pas compris ce changement radical car, désormais je lui tenais tête, même publiquement. A la maison et dans la famille, on disait de moi que j’ai grandi. Il est allé jusqu’à me renier devant toute la famille, que ça n’a rien changé. Ensuite, il m’a demandé de partir de la maison si je n’abandonnais pas cette idée folle et si je ne lui faisais pas plus tôt un enfant. Ce que j’ai refusé.
Je suis restée là, pour mes petites sœurs. Il fallait que je veille sur elles. Heureusement, il n’a jamais montré aucun intérêt particulier pour aucune d’elles. Depuis, j’ai donné ma vie à Dieu et je lui ai tout pardonné. Cela fait quatre ans que je paye ma scolarité et je m’occupe de mes besoins personnels, toute seule. Et même si je n’ai jamais atteint l’orgasme quand je suis avec un homme, je compte me marier et fonder une famille.»
Propos recueillis par Sandrine KOUME et Henrie Lucie NOMBI
« Mon père sodomisait mon petit frère sous la douche »
Sandrine T. raconte l’horreur commise par son père
« On a tout découvert un soir. Il était environ 23h et nous regardions la télévision en famille. A un moment, notre père a demandé à Yvan, notre petit frère de venir prendre un bain avec lui. Ils le faisaient d’habitude. Le matin avant de sortir, le soir avant d’aller se coucher et parfois même en journée quand papa trouvait que cela était nécessaire. Cela n’a donc pas attiré notre attention. Quelques minutes plus tard, nous avons entendu Yvan pleurer.
Comme ils étaient toujours dans la douche, maman est allée seule voir ce qui n’allait pas. Nous l’avons entendu crier et nous demander de venir voir ce que notre père était entrain de faire à Yvan. Quand nous sommes arrivés, Yvan était encore à quatre pattes sous la douche et papa était à genoux, derrière lui. En pleurs, Yvan nous a révélé que ce n’était pas la première fois que papa lui faisait ça. Chaque fois qu’ils allaient se laver ensemble, la même chose se produisait. Yvan n’avait que 10 ans. Papa, inerte et le regard ahuri, n’a pu dire mot.
Au petit matin, maman a fait ses effets et est partie de la maison disant qu’elle ne pouvait pas continuer de vivre avec un assassin. Quelques jours plus tard, c’est papa, honteux, qui est parti à son tour. Lorsque notre mère a appris que nous étions restés seuls, elle est revenue à la maison.
Le petit frère de papa est venu s’installer à la maison. Il disait qu’il voulait nous aider. Mais nous nous sommes tout de suite rendu compte qu’il était pareil. Puisqu’une nuit, il a voulu me violer. Yvan a grandi, mais rien n’était plus comme avant. L’année dernière, lorsqu’il a eu 18 ans, il est parti de la maison sans crier gare. Jusqu’aujourd’hui, nous sommes sans nouvelles de lui et papa s’est comme volatilisé dans la nature. »
Propos recueillis par Sandrine KOUME