Je n'ai que très rarement perçu un tel silence, à la fin de la projection d'un film. L'assistance restait comme assommée, pantoise, regardant défiler le générique de fin où on apprend, entre autres, que les lieux de tournage se situent du côté d'Ifrane, là où mes parents, dans les années 30, venaient prendre le bon air de la montagne.
Le rythme lent de ce film, les longs panoramas de paysage au soleil déclinant, la minutieuse exposition des travaux et des jours de cette petite poignée d'hommes de prière au coeur d'un village si pauvre, si déchiré...L'action se situe entre 1993 et 1996, le conflit politique entre le gouvernement algérien et les islamistes dont la victoire électorale a été escamotée, est devenu guerre civile terrifiante. On prévient les moines du monastère de l'Atlas qu'ils feraient mieux de partir, qu'ils courent un danger, qu'ils doivent partir...
Et là surgit, chez ces hommes de foi, le doute, inséparable lui aussi de la foi. Comme le dit Christophe, le frère agriculteur : "je prie, je prie, mais je n'entends plus rien". Ces moines vivent de leur travail : le jardin, les ruches, l'étude, la prière, la nuit, le jour. Ils ont élu le frère Christian, jeune, à la parole transcendante, qui déclare qu'il leur faut rester. Emoi. On lui reproche de ne pas avoir consulté ses frères avant une telle prise de position. Pourtant, chacun à son tour, malgré ou à cause du danger imminent, va décider de rester. Quelle vie aurait-il ailleurs ? Où aller ? Rentrer en France, retrouver leur famille....Mais c'est ici, chez eux, auprès des villageois qui les aiment et qu'ils protègent, qu'est leur vie. Ils ont déjà donné leur vie à Dieu, que peut-on leur reprendre ? Extraordinaire figure que celle du frère Luc, médecin asthmatique et complètement épuisé, qui donne 150 consultations par jour...
Comment survivre au sein de ce conflit moral, politique, religieux. Aller vers le martyre n'est pas une solution. Pourtant tous savent qu'ils vont mourir de mort violente. Mais comme dit l'Ecriture "Certains seront choisis, d'autres seront laissés". Et aujourd'hui encore, nul ne sait exactement ce qui advint aux Frères de Tibéhirine, dont seules les têtes tranchées furent retrouvées, entre violence islamiste ou manipulation politique du pouvoir qui aurait tragiquement dérapé.
Je retiens deux extraordinaires scènes : celle de la prière de l'imam, au village lors de la fête de la circoncision, et surtout celle du repas final, où l'on boit du vin, le calice du Christ, en écoutant la musique du "Lac des Cygnes". Fantastique casting : Olivier Rabourdin et ses doutes, sa peur, Philippe Laudenbach en frère Célestin au regard si bleu et à la voix profonde, qui fait penser à son oncle Pierre Fresnay, Michaël Lonsdale et ses incroyables tricots, Lambert Wilson, plus saint que nature. Et la jolie Sabrina Ouazani, et tous les autres.
Il paraît que ce film, malgré son sujet austère, rencontre le succès. Ce n'est pas étonnant. On a besoin de se "recaler" de temps en temps, quelles que soient ses croyances. Un film sur l'Amour, celui des hommes et celui de Dieu pour ses créatures.
Allez voir ce film : pas la peine de se précipiter, il restera longtemps à l'affiche, et de toutes façons, il entre dans les grands classiques.
P.S. Le film s'inspire des écrits laissés par deux des frères assassinés : Christian de Chergé et Christophe Lebreton