Interview Charles Juliet : "Lumičres d'automne"
Interview Charles Juliet : “Lumières d’automne”.
"Ecrire, ce n’est pas se retirer de la vie. C’est plutôt vouloir s’en saisir. Pour l’intensifier, mieux la savourer."
Charles Juliet, poète, écrivain et dramaturge français est édité pour la majeure partie de son œuvre par les éditions P.O.L (v. l’interview de « Paul Otchakovsky-Laurens face au livre numérique »)
Il y a quelques jours, je terminai la lecture du tome « Lumières d’automne » Journal VI (1993-1996) P.O.L éditeur, 2010, et restai sans voix. En dehors de philosophes, écrivains russes ou français qui ne sont plus, je n’avais lu un auteur qui se livrait à ce point dans l’exercice qu’est l’écriture. Ses phrases demandent à être lues sans empressement, tant elles regorgent de densité et de profondeur, tant le style reflète la grâce qui ne demande qu’à s’extérioriser de lui.
Journal au travers duquel l’auteur se rassemble et nous rassemble, conférant ainsi, sans le deviner, qui sait, une communion entre ses lecteurs et lui, autour de cette recherche d’absolu et de quête de soi, laissant le lecteur frissonnant par cette plongée dans les abysses de l’âme.
Cette lucidité et compréhension qu’il porte sur lui-même l’élève au rang de l’universel, et le place sans conteste au cœur de l’humanité.
Je n’en reviens toujours pas qu’il ait accepté de répondre à ces quelques questions.
1. Savina : Pourrait-on dire que l'exercice de l’écriture serait pour vous fondamentale, un peu comme les moines de Saint-Ignace et leurs exercices spirituels ?
Charles Juliet : Oui, écrire a été pour moi une aventure d’une importance cruciale. Ce besoin d’écrire a dominé ma vie. Depuis l’âge de 23 ans, âge où j’ai commencé à écrire, je n’ai pas eu d’autre activité que l’écriture.
2. Savina : Très jeune vous avez commencé à écrire. Etait-ce une nécessité, un moyen de survie ?
Charles Juliet : Bien des écrivains indiquent qu’ils ont commencé à écrire quand ils étaient enfants. Ce n’a pas été mon cas… Le désir de devenir un écrivain est apparu en moi à l’adolescence, mais je l’ai combattu. Lorsque j’ai eu 23 ans, ce désir devint un besoin irrépressible. Il n’est nullement excessif de dire qu’écrire était pour moi une nécessité vitale.
3. Savina : « Lumières d’automne » fut écrit entre 1993-1996. Pourquoi avoir attendu avant de le publier cette année ?
Charles Juliet : Je ne programme rien. Je laisse les choses se faire. Si « Lumières d’automne » est paru avec retard, c’est sans doute parce que j’étais occupé à écrire des poèmes, des nouvelles, des textes sur des peintres…
4. Savina : Dans ce tome, l’auteur est happé par votre intériorité. Comme si vous vous ouvrez au lecteur. C’est troublant, car vous lire ébranle. Ne craignez-vous pas qu’en vous livrant à ce point, vous deveniez vulnérable ?
Charles Juliet : Ecrire, c’est se livrer. Si l’on ne donne pas un peu de ce qu’on est, on n’a rien à offrir à autrui. J’écris ce qui me vient, en veillant à être d’une absolue sincérité. Je ne me soucie aucunement de savoir ce qu’on pensera de moi, comment sera accueilli ce que je publie.
Je suis surpris par l’emploi que vous faites du mot « vulnérable ». Peut-être voulez-vous dire qu’en m’exposant comme je le fais, je prête le flanc à la critique et à des réactions négatives. C’est inévitable et sans importance. Tchouang-tseu affirmait il y a 23 siècles qu’on ne peut faire du mal à celui qui a su se vider de son moi. Je ne sais si je suis parvenu à totalement me vider de mon moi, mais il est certain que j’ai durement travaillé pour le détrôner.
5. Savina : Au jour le jour, les événements de la vie sont relatés, des plus anodins aux plus graves, et à chaque reprise, vous transformez ce qui vous entoure, vous le sublimez. Peut-on évoquer chez vous une soif incessante de comprendre le monde, et de chercher à y donner un sens ?
Charles Juliet : Avant de vouloir comprendre le monde, il faut s’employer à se connaître soi-même, ce qui est une entreprise ardue. Ce n’est qu’après s’être affranchie de ce qui la conditionne que la pensée a la liberté d’appréhender quoi que ce soit sans être déterminée par des points de vue subjectifs et fragmentaires.
6. Savina : Vous le dites clairement, et ce, maintes fois, que vous n’appartenez à aucune religion. Cela vous dérangerait-il de nous expliquer comment vous vous situez par rapport à la spiritualité ?
Charles Juliet : Il faut dissocier le religieux du spirituel. On peut fort bien avoir des préoccupations spirituelles et n’avoir aucune croyance religieuse. Alors qu’est-ce que le spirituel ? C’est tout simplement ce travail intérieur qu’il faut effectuer pour se connaître, se transformer. En vue de réaliser l’achèvement de soi. En vue de développer son humanité.
Tout ce que j‘ai écrit a sa source dans ce besoin de me connaître. De vivre en accord avec celui que je suis et avec le monde.
7. Savina : On pourrait se dire que la vie ce n’est ni l’écriture, ni les livres, qui vécus trop intensément, deviendraient une fuite de la réalité. Qu’en pensez-vous ?
Charles Juliet : L’écriture a été pour moi un instrument d’intervention sur moi-même. Un instrument qui m’a permis de creuser dans ma mémoire, dans mon inconscient. Afin de me clarifier, de me mettre en ordre. Afin de pouvoir mieux vivre.
Ecrire, ce n’est pas se retirer de la vie. C’est plutôt vouloir s’en saisir. Pour l’intensifier, mieux la savourer.
8. Savina : Qu’en avez-vous retiré de l’écriture « Lumières d’automne » ?
Charles Juliet : Ecrire un Journal, c’est vouloir garder ce que le temps efface, emporte. Ecrire est une lutte contre le temps et la mort. Une lutte qui s’achève par l’inévitable défaite. Mais de le savoir n’empêche pas de mener ce combat.
Ecrire certaines notes m’a permis d’approfondir ma réflexion concernant tel ou tel problème. M’a permis de vivre des instants de forte intensité.
9. Savina : Spontanément, quel passage vous vient à l’esprit lorsque vous songez à cet ouvrage, et que vous aimeriez partager avec nous ?
Charles Juliet : Le passage qui me tient à cœur est celui où je raconte que je suis allé apprendre à ma mère que je venais de me faire réformer et que j’avais l’intention de me mettre à écrire. (Je n’ai pas ici, dans mon village, un exemplaire de « Lumières d’automne ». Je ne peux donc vous indiquer la page où trouver cette note. Je crois que celle-ci est datée d’un 30 septembre.) (Savina : c'est exact. Le 30 septembre, p 175, 176, 177)
10. Savina : Un dernier message pour les lecteurs de ce blog ?
Charles Juliet : A ceux qui se méprisent, vivent dans la haine de soi, je dirais : estimez-vous, aimez-vous. Voyez les belles choses qui sont enfouies en vous. Quand vous parviendrez à n’être plus en conflit avec vous-mêmes, la vie se fera plus amène.
Aux autres je dirais : ne vous mentez pas. Devenez, soyez celui ou celle que vous avez à être. Soyez vrais, appliquez-vous à vous connaître. Pour vivre en bonne intelligence avec vous-mêmes. J’ajouterais encore : prêtez attention à votre vie intérieure. Nourrissez-la avec des aliments sains, non frelatés. Autrement dit, soustrayez-vous à l’emprise de l’époque. Elle agit sur nous de multiples manières et son action est bien souvent néfaste. Quand on s’affranchit des conditionnements que nous subissons, on retrouve de la fraîcheur et on devient capable de savourer la vie, même si elle a parfois un goût amer.
Savina : Merci beaucoup, cher monsieur, d’avoir accepté de répondre à cette interview avec tant d’authenticité.
Savina de Jamblinne