Je ne parle pas bien entendu de la campagne prési-dentielle de 2012. Il ne pense qu’à ça ! Tout ce qu’il fait et dit ne vise que ce but : être réélu. Une de ses obsessions avec faire un max de flouze. Dois-je vous expliquer le sens de l’expression «battre la campa-gne» ? Déraisonner, divaguer, délirer. C’est aussi le titre d’un recueil de poésie de Raymond Queneau mais nous ne trouverons rien de poétique dans les pompes et les œuvres de Nicolas Sarkozy ! Tout n’y est que fort trivial, terre-à-terre et du dernier mesquin.
Souvenez-vous : en juin 2010 – il y a peine trois mois ! – il était question de supprimer les jurys populaires dans les procès en Cours d’assises, réduire le nombre des jurés ou ne les réserver que pour les cas les plus graves et en cas d’appel… Les jurés populaires pourraient disparaître des cours d’assises (NouvelObs du 5 juin 2010). Ils seraient remplacés par deux magistrats professionnels supplémentaires.
Derrière des arguments techniques : «désengorger les cours d’assises, jugées “encombrées” avec des délais d’audience trop longs» c’est en fait d’un véritable chamboule-tout dont il s’agit : «des groupes de travail ont donc été organisés par la Chancellerie, dont la mission à terme, est de revoir de fond en comble la procédure pénale». Casser pour le plaisir de casser ! Dans l’esprit étroit de ces imbéciles, tout ce qui est ancien doit disparaître…
Leur pseudo modernité consiste à «jeter le bébé avec l’eau du bain»… Or, l’institution des jurys populaires en Cour d’assises remonte à la Révolution : la Cour d’assise, crée en 1811 qui remplaça le Tribunal criminel départemental, institué en 1792.
Quand bien même la justice serait-elle humaine et donc faillible, il ne me semble pas que les jurys populaires soient forcément moins équitables que des magistrats professionnels. S’il en fallait une seule preuve, je prendrais le cas d’Yvan Colonna, poursuivi pour l’assassinat du préfet Claude Erignac perpétré à Ajaccio le 6 février 1998. Mis en cause par 4 des 6 nationalistes co-inculpés, il choisit de prendre la tangente… Il fut arrêté le 4 juillet 2003.
A cette occasion, le ministre de l’intérieur de l’époque, un certain Nicolas Sarkozy n’hésite pas à fouler une fois de plus la présomption d’innocence – une manie, un tic ou un TOC ? – en déclarant le soir même de l’arrestation que «La police française vient d’arrêter Yvan Colonna, l’assassin du préfet Erignac»…
S’agissant «d’un assassinat en relation avec une entreprise terroriste» il comparaît devant une juridiction d’exception : la Cour d’assises spéciale de Paris, composée de 7 magistrats professionnels – et non de 3 - sans jurés. Il est condamné le 13 décembre 2007 à la réclusion criminelle à perpétuité. Sans période de sûreté lors même que le parquet l’avait requise (22 ans). C’est dire si les magistrats «ad hoc» avaient dus être soigneusement triés sur le volet !
Cette condamnation est confirmée en appel le 27 mars 2009, cette fois assortie d’une peine de sûreté de 22 ans. Néanmoins, le 23 juin 2010 la Cour de cassation a annulé cette condamnation pour «vice de procédure» : elle reproche en effet à la Cour spéciale d’assises d’avoir interrompu un expert en balistique cité par la défense nonobstant l’article 331 du code de procédure pénale interdisant d’interrompre un témoin pendant sa déposition… Les questions se posent après. Sept magistrats professionnels que je suppose aguerris méconnaissant une règle de procédure de cette importance, avouez que ça l’affiche plutôt mal ! Yvan Colonna devra donc comparaître une nouvelle fois. Une première depuis l’insti-tution de l’appel pour les procès d’assises.
Si je cite son cas ce n’est pas tant pour cette raison purement procédurale qui ne devrait pas forcément avoir d’incidence sur le fond mais bien plutôt que dès le premier procès j’avais trouvé formidablement curieux que les juges ne tinssent aucun compte d’un élément déterminant, à savoir que selon un des experts en balistique Yvan Colonna ne pouvait avoir été le tireur en raison de sa taille : pour atteindre le préfet Erignac de balles dans la nuque et sans nul doute selon l’angle de pénétration, il eût dû être beaucoup plus grand… Faut-il en conclure que le berger corse avait emprunté des échasses à ces confrères landais ?
En outre, lors du procès en appel, ils n’ont tenu aucun compte de plusieurs témoignages disant qu’Yvan Colonna ne pouvait être l’assassin car il ne ressemblerait nullement au tireur que ces personnes avaient vu… Curieux, non ? J’ai beau savoir que le principe selon lequel le doute devrait profiter à l’accusé est de moins en moins respecté, cela me défrise le poil.
Ne croyez pas que je défende l’innocence de Colonna par sympathie pour les terroristes. Je suis hostile par principe à l’égard de tous les terrorismes de toute obédience, sans exception et je considère l’assassinat du préfet Erignac comme un geste tout à fait ignoble, d’autant qu’il ne prenait aucune mesure de protection et marchait dans la foule comme tout un chacun. J’ai simplement l’intime conviction qu’Yvan Colonna n’est pas le tueur.
Je ne saurais dire pourquoi il “devait” être le coupable. Forcément idéal. Certes, l’on dit que dans les procédures concernant les actes terroristes, les jurés pourraient être soumis à des pressions, voire des menaces qui mettraient leur vie en péril. Soit. Mais prouvez-moi que les magistrats ne subissent pas une extraordinaire pression venant du sommet de l’Etat ! Sinon, les jurés me semblent tout à fait capables d’évaluer – en leur âme et conscience - la culpabilité ou l’innocence des terroristes présumés.
Précisément, Philippe Bilger, entendu longuement interviewé le 7 juin 2010 par Catherine Pottier sur France-Info s’insurgeait avec son habituelle pugnacité – non dénuée d’une certaine émotion - contre cette réforme Supprimer les jurés d’assises : “une formidable régression démocratique”, de même que le 9 juin 2010 sur son blog «Action républicaine» le peuple de trop, encore une fois : «Je devine comme une magistrature professionnelle, en dépit du peu de considé-ration qu’on lui manifeste, est de nature à rassurer les pouvoirs mais, pour ma part, les grands espaces d’une justice ouverte et partagée me touchent plus. Il faut prendre garde au fait qu’une appréhension purement comptable, l’obsession de rentabiliser, le souci des économies deviennent négatifs quand ils conduisent à faire litière des principes fondamentaux».
Monsieur Bilger ! Vous êtes un grand garçon, très intelligent de surcroît… Il m’étonnerait fort que vous ne sachiez pas que Nicolas Sarkozy - n’ayant pas dû fréquenter beaucoup les bancs de la fac de droit - n’a qu’une connaissance tout à fait approximative des grands principes du droit dont de toute façon il se contrefiche éperdument…
Enfin, l’avocat général de la Cour d’appel de Paris ironise sur «les groupes de travail de la Chancellerie auxquels il suggère de venir voir “travailler” ce peuple pour appréhender une réalité sur laquelle ils posent l’abstraction de leurs esprits et de leurs bureaux !». Je les qualifierais volontiers de “comités Théodule” technocratiques ayant eux aussi une vision tota-lement “comptable” et budgétaire de la justice en général et des Cours d’assises en particulier, bien éloignée de la conception démocratique. Comme le dit fort justement Philippe Bilger : «La cour d’assises ne rend pas des arrêts au nom du peuple français. Elle est ce peuple»…
J’étais heureusement assise devant l’ordinateur à explorer Google Actualités, sinon je serais certainement tombée sur le cul en lisant sur le Figaro du 10 septembre 2010 que Sarkozy réfléchit à des jurés populaires en correctionnelle. Déjà Sarko réfléchissant me semblait le summum de l’incongruité. Il ferait mieux de s’abstenir de toute tentative… On voit le résultat !
Selon ce que je lis sur Libération (article de Sofian Fanen du 11 septembre 2010) Sarkozy veut un jury en correctionnel c’est encore un de ces perpétuels effets d’annonce destinés à faire diversion et témoignant à l’envi que Nicolas Sarkozy n’obéit à aucune logique d’ensemble sinon celle de l’ultralibé-ralisme dévastateur : saigner le peuple à blanc pour enrichir les multimilliardaires et les actionnaires et se conformer aux desiderata du Medef, du marché financier et des agences de notation.
Il procède uniquement par des “coups” – médiatiques ou de trique – alors que l’on chercherait fort longtemps en vain la cohérence politique, économique et budgétaire des mesures qu’il souhaite voir mettre en œuvre. Sans même parler de l’intérêt pour la France, les Français, l’économie réelle et les institutions – qu’il ravage !
Marie-Blanche Regner, Vice-présidente du Syndicat de la magistrature (SM, plutôt à gauche) - qui n’est pas hostile à priori sur le principe du jury populaire en correctionnelle - lis-je sur le Nouvel Obs du 10 septembre 2010 [INTERVIEWS] Des jurés populaires en correctionnelle : “une annonce irréaliste” recueillies par Bérénice Rocfort-Giovanni : «nous trouvons que faire participer les citoyens aux décisions de justice est une bonne idée» mais elle n’en souligne pas moins d’une part que cette stratégie de communication s’inscrit à l’évidence dans la campagne ultra-sécuritaire de Nicolas Sarkozy : «C’est la suite de Grenoble, du meurtre de la joggeuse dans le Nord» – la politique de Sarko ? un fait divers : une loi… - «chaque jour, il est nécessaire de faire une annonce politicienne sur le terrain de la sécurité, annonce qui sera aussi vite oubliée. Aucune réforme ne suivra (…) Nous dénonçons cette instrumentalisation».
Et surtout : «Nicolas Sarkozy espère qu’avec les jurés populaires, les peines seront plus lourdes»… Elle ironise dans Libé : «Mais s’il pense que les magistrats sont laxistes, j’ai peur qu’il soit déçu : les jurés sont moins sévères». Argument repris par le collectif de députés UMP de la «droite populaire» qui me semble s’inscrire dans un mouvement très ultra-droite. La preuve en étant les remarques de Christian Vanneste – prof de philo créationniste (!) toutefois dans une institution privée, jamais à court d’outrances et dont on n’aura garde d’oublier qu’il fut naguère condamné pour des déclarations homophobes : cela vous situe bien le personnage…
«Il est important que l’évolution de la justice, rendue pour le peuple, soit liée à un rapport interactif avec la population et non pas à des réflexions de spécialistes. Un océan sépare les techniciens du droit des justiciables ou des victimes». Sans doute mais ces «spécialistes» - techniciens du droit – ont préci-sément la formation suffisante et nécessaire pour “dire le droit” dans les procès et n’y point mêler des arguments plus ou moins démagogiques tirés de l’actualité.
C’est en effet secret de Polichinelle que Nicolas Sarkozy considère que les magistrats sont par essence laxistes. Qu’ils appliquent simplement la loi en s’autorisant de leur pouvoir souverain d’appréciation pour statuer - comme ils le doivent - au cas par cas en se fondant sur les circonstances et la personnalité des prévenus (principe dit de «personnalisation des peines») ne lui vient même pas à l’esprit. Au demeurant les Cours d’appel et la Cour de cassation ne manquent jamais de censurer les jugements faisant sur le fond et les faits une mauvaise application de la loi… B.A.-BA de la trousse de secours des juristes !
C’est exactement ce qu’en dit Virginie Valton, secrétaire nationale de l’Union syndicale des magistrats (USM - modéré). Non seulement parce que les tribunaux – à tous les niveaux de l’appareil judiciaire - croulent littéralement sous les procès en instance qui attendent souvent fort longtemps avant de pouvoir être inscrit au rôle, sans rien dire du manque de personnel – juges autant que greffier(e)s – qui retarde ensuite la transcription et la signification des jugements aux parties.
Bien évidemment, c’est une fois de plus la preuve flagrante que Nicolas Sarkozy ne connaît rien à la réalité du monde judiciaire. Il voulait supprimer les jurés d’assises en invoquant l’encombrement de la justice et sans tenir aucun compte de la surcharge de travail à tous les échelons, il veut aujourd’hui introduire des jurés dans les tribunaux correctionnels.
Or, les Cours d’assises – une par département – ne siègent que pour des sessions trimestrielles qui, sauf exception pour des procès très importants, ne durent que d’une quinzaine de jours à trois semaines. A l’inverse, les nombreux tribunaux correctionnels travaillent toute l’année et tous les jours de la semaine.
Il est déjà très long d’organiser des jurys populaires dans les Cours d’assises parce qu’un nombre bien supérieur aux 9 jurés qui siègeront (environ trois fois plus) de citoyens sont convoqués, sachant qu’ils peuvent être récusés par les parties et qu’ensuite ils sont tirés au sort. Il faut de surcroît les préparer à leur rôle et leur donner toutes les informations utiles sur le déroulement du procès.
On accuse aujourd’hui les grévistes de mettre en péril l’économie pour une seule journée de grève. Imaginons ce que les employeurs penseront si des milliers de citoyens manquent chaque jour parce qu’ils sont convoqués comme jurés dans les tribunaux correctionnels de France et de Navarre ! Désorganisation de la société, désorganisation de la justice. En outre, l’Etat qui n’a déjà plus le moindre maravédis en caisse, devrait indemniser les jurés… Proprement ridicule !
Rapprocher les Français de la justice ? Sans nul doute. Mais il faudrait déjà que Nicolas Sarkozy et ses sbires cessent de tirer à boulets rouges sur les juges. Le président de la République ne se comporte nullement comme le «garant de l’indépendance de l’autorité de judiciaire» qu’il devrait être aux termes de l’article 64 de la Constitution, ce qui est grave pour la République, l’Etat de droit et la démocratie. En outre, en supprimant force tribunaux dans le cadre de la réforme de la carte judiciaire il a au contraire aggravé la distance – fût-elle géographique – entre la justice et les justiciables. D’où parfois quasi une centaine de kilomètres dans des zones pourtant difficiles d’accès, notamment dans les Alpes. Nicolas Sarkozy est un démolisseur. Un rouleau compresseur.
Je ne suis guère surprise de lire (le Figaro Flash-Actu du 10 septembre 2010) que le député socialiste Vallini est pour les jurés populaires. Afin «de rapprocher le peuple de la justice» mais sans «Sans ignorer les dangers du populisme pénal que peut alimenter une telle proposition»… Comme si le projet de Nicolas Sarkozy ne consistait précisément qu’en cela : discréditer les juges qui n’ont pas la sagesse de statuer en fonction de la vox populi soigneusement instrumentalisée par la démagogie populiste de Sarko et des ultra-droitiers de l’UMP.
Ce n’est pas la première fois que je constate qu’André Vallini fait preuve d’un surprenant “angélisme” à l’égard des propo-sitions de Nicolas Sarkozy et de l’UMP en matière de sécurité ! Je l’ai remarqué le 27 juillet 2010 Violences urbaines et Sarkozy : André Vallini (PS) n’a rien compris au film ! quand il affirmait (article de 20 minutes du 25 juillet 2010) «Sur le thème de la sécurité, la droite et la gauche doivent déposer les armes» que la violence et l’insécurité sont devenues des questions de société trop graves pour camper sur des positions partisanes et être un «enjeu électoral».
Ce dont je suis évidemment convaincue dans l’absolu mais comment peut-il faire abstraction de l’UMP et surtout de Nicolas Sarkozy qui n’entend nullement favoriser un débat dépassionné autant qu’utile sur ces questions pourtant essen-tielles. André Vallini a chaussé de curieuses lunettes dont les verres sont remplacés par une épaisse couche de peaux de saucisson…
André Vallini doit être de surcroît encore plus myope que moi – mais j’espère n’avoir point de myopie intellectuelle – car il semble n’avoir pas encore compris que Nicolas Sarkozy – dont c’est uniquement le fonds de commerce électoral et la dernière sangle du parachute à laquelle il se raccroche désespérément pour éviter un scratch en 2012 – n’a rien à foutre d’une telle concertation entre l’UMP et la gauche. Aussi grave que fût le sujet. Bien au contraire ! C’est un chef de meute ou de gang. Sa prétendue “rupture” n’est rien d’autre que cela : la guerre permanente, contre les «salauds de pauvres», les opposants et tous ceux qui ne partagent pas ses conceptions. Lui parler de consensus relevant de la dernière stupidité.
D’ailleurs, Nicolas Sarkozy et ses chiens de garde taclent connement les arguments qui ne vont pas dans son sens : il préfère la répression à la dissuasion, les “cognes” sans foi ni loi à la police de proximité. Contre le tout répressif, il ne s’agit d’ailleurs pas de préférer les uns aux autres parmi les dispo-sitifs nécessaires : il faut prévention et dissuasion en même temps que la répression – proportionnellement appliquée - quand les délits et les circonstances l’exigent.
Autant pisser dans un violon que d’attendre et espérer que Nicolas Sarkozy comprît quoique ce soit à ces arguments de bon sens. Non seulement il en est totalement dénué mais il doit sûrement avoir avalé son képi de “premier flic de France” et nous en recrache des morceaux tous les jours.
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