La Nuit du Mort VivantSous l’Ère des Poissons, d’après la...

Publié le 09 décembre 2009 par Peepingtom











La Nuit du Mort Vivant




Sous l’Ère des Poissons, d’après la tradition, vers le milieu ou la fin du Xème siècle, près d’un siècle avant les premières croisades, Arcano et Egidio, deux moines italiens, effectuent un pèlerinage en Terre Sainte. De nuit, de jour, à l’aube, à pieds, à dos de mulet et en bateau, ils reviennent en Italie, siège de la Chrétienté, avec dans leurs bagages des reliques du Saint Sépulcre. 
Établis en terres pontificales, aux confins de la Toscane, de l’Ombrie et des Marches, les deux pélerins érigent une petite chapelle, un Oratoire dédié au Saint Sépulcre du Christ. Le lieu est destiné à la prière, silencieuse, murmurée ou marmonnée, à l’art oratoire, la communication spirituelle avec Dieu. Tel un écrin de marbre, l’oratoire renfermerait dit-on les précieuses reliques, mémoire religieuse, talismanique et archéologique de la foi des croyants.
Cependant, aux origines lointaines les sources divergent. Nulle mention de voyage, de tombeau, ni sépulture, ni relique. Telle est la version de SantiBeati.com, le site internet italien des personnes saintes et béatifiées. La version web de la prestigieuse Enciclopedia Bibliotheca Sanctorum ne mentionne ni pèlerinage, ni Saint Sépulcre, mais révèle que les deux moines Arcano et Egidio ont été unis dans la béatification. Non pas Beato Arcano et Beato Egidio, deux entités distinctes, mais Beati Arcano et Egidio. Béatifiés certes mais non canonisés. Objets d’une vénération locale, leur culte n’a jamais été officiellement reconnu par l’Eglise. 
L’Oratoire de Beati Arcano et Egidio s’agrandit et se transforme en Abbaye. D’après certaines sources, le village qui prend forme autour est baptisé Novella Gerusalemme, Nouvelle Jérusalem, Tabernacle de Dieu.
C’est au XIIème siècle que le lieu-dit, le bourg qui deviendra plus tard une ville prend son nom définitif  pour s’appeler Borgo San Sepolcro, le Bourg du Saint Sépulcre. Le nom du pays trouve bien entendu son origine dans la légende des reliques du Saint Sépulcre. Nom de pays : le nom. Les reliques du Saint Sépulcre sont-elles des morceaux de pierre, de peau, de tissu, d’os ou de sépulture ; la légende ne le précise pas.
Nicodème, qui auparavant était allé de nuit vers Jésus, vint aussi, apportant un mélange d’environ cent livres de myrrhe et d’aloès.
Ils prirent donc le corps de Jésus, et l’enveloppèrent de bandes, avec
les aromates, comme c’est la coutume d’ensevelir chez les Juifs.

Jean (19:39-40)

Les reliques de la Passion sont à l’époque nombreuses. Elles foisonnent et irriguent jusqu’au ravissement l’imaginaire chrétien pendant des siècles : Saint ombilic, Saint Berceau, Saint Prépuce, Saintes Dents, Saintes Larmes, Saint Calice, morceaux de Sainte-Croix, Saints Cloux, Sainte Eponge, Sainte Lance, Saint Sang et l’une des plus controversée le Saint Suaire, négatif du négatif du visage du Christ, pellicule de chez Fiat Lux.
Pendant cinq cent ans, les reliques du Saint Sépulcre reposent à l’abri des guerres, des tourments et de la lumière. Puis soudain en 1416, à Borgo San Sepolcro, naît l’un des plus grands artistes de la Renaissance italienne : Piero della Francesca. L’une des œuvres majeures du peintre est La Légende de la Vraie Croix (1452-1466). Située dans le chœur de la Basilique Saint-François d’Arezzo, la fresque monumentale narre sur 12 panneaux les origines sacrées et guerrières de la Croix sur laquelle le Christ fut crucifié.



 Épisode VIII : Découverte par Sainte Hélène, la mère de Constantin et preuve formelle de la Vraie Croix.


Épisode IX : La Bataille entre Héraclius et Khosro II. 
Défaite et décapitation des vaincus

Mais quelle est cette forêt secrète qui vit croitre en son sein le bois de la croix ? Ces racines qui se déploient sous la terre, ces branches qui s’élèvent vers le Ciel sont-elle sacrées ou profanes ? De quel bois la croix est-elle faite ? Il est dit dans La Légende Dorée de Jacques de Voragine que la croix du rédempteur fut taillée dans le bois de l’arbre ayant poussé sur la tombe d’Adam. Cet arbre macabre est issu d’une graine de l’Arbre de la Vie, source d’immortalité, semée dans la bouche de la dépouille d’Adam. La sainteté de la croix remonte aux origines, au premier homme, espèce oxymore, figure rhétorique tiraillée entre l’évolutionnisme et le créationnisme. On peut donc en déduire que le bois de la Croix du Christ est déjà en lui-même une relique venue d’un autre âge.


Épisode I : Adam mourant et l'Arbre de la Vie.

Vers la même époque, le peintre réalise dans sa ville natale, le scène nocturne du Saint Sépulcre : la fresque de La Résurrection. La répétition du sacré est troublante : l’action se situe au Saint Sépulcre et l’œuvre se trouve in situ dans son lieu de création : Borgo San Sepolcro, cité des reliques du Saint Sépulcre.

Joseph prit le corps, l’enveloppa d’un linceul blanc,


et le déposa dans un sépulcre neuf, qu’il s’était fait tailler dans le roc.


Puis il roula une grande pierre à l’entrée du sépulcre, et il s’en alla.



Matthieu (27:59-60)


S’il y a la grande Histoire avec un grand H, l’histoire des hommes, il y a aussi la Résurrection avec un grand R, non pas la résurrection des hommes aux Royaumes d’outre-tombe mais la Résurrection du Christ dans une vie nouvelle.
Ils couraient tous deux ensemble. Mais l’autre disciple courut plus vite que Pierre, et arriva le premier au sépulcre ;
s’étant baissé, il vit les bandes qui étaient à terre, cependant il n’entra pas.
Simon Pierre, qui le suivait, arriva et entra dans le sépulcre ; il vit les bandes qui étaient à terre, et le linge qu’on avait mis sur la tête de Jésus, non pas avec les bandes, mais plié dans un lieu à part.
Alors l’autre disciple, qui était arrivé le premier au sépulcre, entra aussi ; et il vit, et il crut.

Jean (20:4-8)


Le mystère Pascal commémorant la Résurrection du Christ est la solennité première de l’Eglise. Elle précède en importance la Fête de la Nativité, la Résurrection ou renaissance du Christ précédant sa naissance.
S’il n’y a point de résurrection des morts, Christ non plus n’est pas ressuscité.
Et si Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est donc vaine, et votre foi aussi est vaine.

1 Corinthiens (15:13-14)


En l’an 325, Constantin 1er, le premier empereur romain à se convertir au christianisme convoque le Concile de Nicée. On y décide de calculer la date de Pâques, du mystère Pascal. L’ordinateur ecclésiastique calcule. Les resultats de la spéculation sont formels. Le mystère Pascal se déroulera après la première pleine lune advenant pendant ou après l’équinoxe de printemps. C’est un retour à la vie, de la sève qui remonte dans le tronc des arbres au renouveau de la photosynthèse. 

Selon l’Eglise, le mystère de la Résurrection révèle la dimension irréductible de l’acte de foi. La Résurrection est un culte à mystère, un culte voué au mystère. Voyage d’outre tombe, il rappelle les mystères orphique ou d’Eleusis, liés à l’expérience transformatrice de l’au-delà : regénération, réincarnation, transmigration des âmes autres métempsycoses…

Longtemps, j’ai ressuscité de bonne heure.
(…) Puis elle commençait à me devenir inintelligible, comme après la métempsycose les pensées 
d’une existence antérieure ; (…)


Swann (1:1)

Sous Constantin 1er, les rites à mystère païens peu à peu disparaissent. La biodiversité religieuse s’amenuise. Les cultes polythéistes ne sont plus ; les voyages dans l’au-delà ont cessé. Finis les allers-retours en des contrées profondemment cachée sous la terre ou dans la roche dont l’accès est taillé dans le roc (

qu’il s’était fait tailler dans le roc).

 Mais la nuit venue, on dit que les fantômes et les esprits s’en échappent. On dit aussi en anglais Holy Ghost. L’amour du Père et du Fils, l’Esprit de Dieu, le Saint-Esprit, s’appelle le Fantôme Saint, The Holy Ghost.
Chez Piero della Francesca, les paupières sont lourdes et le port altier. S’y dégage une atmosphère de grâce somnambule entre le sommeil et la veille. Le Vème épisode de La Légende de la Vraie Croix de Piero della Francesca représente Le Songe de Constantin le Grand. Le rêve est un moment de grande révélation religieuse car c’est dans le sommeil que l’ange apparaît à l’Empereur. La créature d’ailes et de lumière lui annonce l’issue victorieuse de la bataille du Pont Milvius. 

Cette victoire militaire symbolise la naissance d’un nouvel empire romain, empire chrétien, celui de Constantin, Constantinople et byzantin. L’empereur alors encore païen effectue sa conversion en rêve. L’initiation devient conversion et le regard du spectateur plonge dans l’obscurité de la tente, dans la béance ouverte par ce rêve…



Épisode V : Le songe de Constantin le Grand qui voit un ange lui montrant la croix 
et lui révélant sa victoire comme signe de sa conversion

Quelle est la nature de ce rêve ? Qu’y a t-il dans ce noir, dans ce que nous ne pouvons voir ? Dans Le Songe de Constantin, des soldats debout veillent entre l’ombre et la lumière. Dans La Résurrection, des soldats couchés sont assoupis au bord du Saint Sépulcre. Et nous ne voyons pas plus le rêve de Constantin que les soldats endormis ne sont le témoin de La Résurrection, retour d’un Christ armé d’une bannière triomphant.


La Résurrection (Borgo San Sepolcro)

Les paupières si lourdes se sont jointes et nul n’est témoin de la scène. Entre le solstice d’hiver et l’équinoxe du printemps, les arbres nus et les branches feuillues, le Christ sort du tombeau. D’où vient-il ? Mystère. De la Terre-Mère ? Royaume nocturne des ombres errantes ? Le Christ aux Enfers ? Nous n’en saurons rien. La résurrection nous suffit. Ce fut comme une apparition, ce qui surgit de nulle part comme une image votive lenticulaire où le Christ tel un spectre apparaît et disparaît dans l’embrasure d’une porte.



Image lenticulaire votive 
(boutique de la Basilique Saint-François d’Arezzo)

A Borgo San Sepolcro, de manière spectaculaire, la sépulture de pierre s’inscrit dans la continuité de l’avant plan de la fresque constitué d’un ensemble architectural peint. Le Christ s’apprête à sortir de la fresque, à franchir le seuil de l’image, à couper le champ de la représentation, ce qui  sépare le point de fuite des soldats endormis de l’arrière plan du paysage. Piero della Francesca montre ce que personne n’a vu, l’irreprésentable de la foi, ce que l’on ne peut voir mais seulement croire. L’image reconquiert sa fonction magique : le regard du Christ traverse la surface peinte, le Christ nous regarde. Le Christ est l’œil du spectateur et Piero della Francesca notre Sauveur.
Après avoir entendu le roi, ils partirent. Et voici, l’étoile qu’ils avaient vue en Orient marchait devant eux jusqu’à ce qu’étant arrivée au-dessus du lieu où était le petit enfant, elle s’arrêta.

Quand ils aperçurent l’étoile, ils furent saisis d’une très grande joie.
Matthieu (2:9-10)

En 1985, les agences spatiales soviétiques et japonaises lancent dans l’espace lointain la sonde Giotto. Inspiré en 1301 par le passage de la comète de Halley, Giotto aurait dépeint dans son Adoration des Mages, l’étoile de Béthléem sous les apparences d’une comète, boule de lumière à chevelure de feu. Mais l’univers connu est bien peu de chose face à la puissance papale. Un an plus tôt déjà, dans sa grande clairvoyance, le Vatican voit le vent solaire tourner. En 1984, Jean-Paul II béatifie le peintre Fra Angelico, Beato Angelico (1400-1455) et le proclame Saint patron des artistes.
Un jour viendra où le Vatican procédera à un nouveau rituel : la canonisation de Piero della Francesca, né en 1416 à Borgo San Sepolcro, mort le 12 octobre 1492 à Borgo San Sepolcro, le Saint Sépulcre, véritable siège du mystère de la Chrétienté. Curieusement, le 12 octobre 1492, le jour où l’âme de Piero rejoint le Walhalla, aux Bahamas Christophe Colomb, lui, foule le sable de l’île de Guanahani.