Pornobello
Je veux m'abstraire vers vos cuisses et vos fesses,
Putains, du seul vrai Dieu seules prêtresses vraies,
Beautés mûres ou non, novices et professes,
Ô ne vivre plus qu'en vos fentes et vos raies !
(…)
Mais quoi ? Tout ce n'est rien, Putains, aux pris de vos
Culs et cons dont la vue et le goût et l'odeur
Et le toucher font des élus de vos dévots,
Tabernacles et Saints des Saints de l'impudeur.
Paul Verlaine – Ouverture – Femmes (1890)
L’avenir est rose comme un clitoris.
Marc-Édouard Nabe – Journal intime 3 (1987)
L’histoire débute comme dans un conte de fées, de muses et de nymphes. Cela commence comme dans un conte des Milles et Une nuits. Dans la pénombre, des corps s’embrassent, se lovent et s’enlacent. Des corps allongés conspirent dans une atmosphère de chuchotement, de murmure, de sueur et d’attouchements. Une atmosphère emprunte de sensualité, d’ambre, de musc et de merveilles.
Dans ce conte on ne peut plus vrai, l’érotisme, la jouissance, le plaisir du regard et des sens se mélangent avec les arts plastiques, la littérature, l’érotisme, l’obscénité et la pornographie.
L’action se situe à Paris durant les années 1860, peu de temps après l’invention de la photographie, un peu avant la naissance du cinématographe.
Khalil-Bey est un diplomate turc né en Égypte en 1831. Ambassadeur de Turquie à Saint Pétersbourg, le diplomate n’en supporte plus la froideur hivernale. Il quitte la capitale de toutes les Russies pour s’installer sous des cieux plus cléments : Paris. Installé dans la ville des lumières et des petites vertus, il y mène la grande vie dans un somptueux hôtel particulier.
Joueur invétéré et grand collectionneur d’art, Khalil-Bey, désormais ambassadeur de Turquie en France acquiert en 1865 l’une des œuvres les plus sensuelles d’Ingres : Le Bain turc. La chair y est blanche, laiteuse, les corps de femmes nues nonchalamment allongés, effervescence de courbes et de poitrines. Tout y est luxure, stupre, calme et volupté.
Jean-Auguste-Dominique Ingres, Le Bain turc, 1862,
huile sur bois, 108x108cm., Paris, Musée du Louvre.
Khalil-Bey poursuit ses aventures de pornographe esthète. Au cours d’un dîner de bonne chair et de vin, le critique d’art Sainte Beuve lui présente Gustave Courbet. Khalil-Bey se passionne pour le peintre et lui commande en 1866 deux œuvres majeures dont Les Dormeuses plus connu sous le nom du Sommeil. Deux corps de femmes nues endormis et enlacés, bras et cuisses, sont en proie au sommeil après une probable extase. Un long chapelet de perle, nacre opaline, repose près des corps alanguis.
Gustave Courbet, Le Sommeil, 1866,
huile sur toile, 135x200cm., Paris, Musée du Petit Palais.
La deuxième œuvre de Courbet commandée par l'ambassadeur a pour nom L’Origine du monde. L’huile sur toile, petit format parle d’elle-même.
Gustave Courbet, L’Origine du monde, 1866,
huile sur toile, 46x55cm., Paris, Musée d’Orsay.
On a pris l’habitude étrange de l’appeler « l’Origine du monde ». Comme si le monde, atomes, galaxies, océans, déserts, fleurs, fleuves, vaches, éléphants, pouvait sortir de ce tronc voluptueux de femme sans tête, ni mains, ni pieds, au sexe largement proposé et offert. Cachez-moi ce tableau que je ne saurais voir. C’est un vin enivrant, une insulte à nos feuilles de vigne.
Philippe Sollers – L’Origine du délire – L’Infini no 97
L’univers étant en expansion, le big bang n’est plus qu’un vague souvenir et L’Origine du monde peu à peu disparaît. Après deux guerres mondiales, le tableau de Courbet refait surface et trouve un nouvel acquéreur dans le fils spirituel de Sigmund Freud : Jacques Lacan. Lacan chérit l’Origine mais pour ne point choquer les visiteurs, il cache l’œuvre derrière un panneau coulissant. Comme disait le gourou de la psychanalyse française : Le réel est toujours à sa place.
En 1995, l’Origine s’offre aux yeux de tous et pénètre au Musée d’Orsay. Le jour de l’inauguration, la scène est digne d’un film de Luis Buñuel. L’État français est représenté par son Ministre de la Culture, Philippe Douste-Blazy*. Alors maire de Lourdes, la ville aux miracles où apparut l’Immaculée Conception, le ministre évite de se faire photographier à côté de l’Origine. En l’espace de quelques années, le tableau de Courbet, version carte postale, devient la deuxième image touristique, icône la plus vendue en France après la tour Eiffel d’acier phallique.
Symbole mondial de l’exception culturelle française, esprit de liberté et de subversion, l’œuvre de Courbet n’en finit pas de faire parler d’elle.
En 2006, en pleine contemplation devant l’Origine du monde, l’ancien Président de la République Valéry Giscard d’Estaing s’exprime au micro de France Inter* :
Il existe des conventions de culture. Il y avait des choses que l’on ne montrait pas. Il y a d’ailleurs toujours des choses que l’on ne montre pas.
Alain Aslan, Buste officiel républicain de Marianne, 1969,
Modèle : Brigitte Bardot
Plâtre patiné, 65cm., France
Président d’une France buñuelienne, libérée et moderne, immortel académicien, V.G.E. est également l’auteur de nombreux livres dont deux romans le Passage (1994) et La Princesse et le Président (2009). Le premier raconte l’aventure sentimentale d’un notaire de province avec une jeune auto-stoppeuse. Le deuxième nous plonge dans la relation secrète pleine de fièvre et de passion, qu’entretient un président français avec une princesse anglaise. When VGE meets Diana ! Confusion des genres, coïncidence, hasard ou nécessité, les deux récits ne sont pas sans évoquer deux films pornographiques français : Auto-stoppeuses en chaleur de Burd Tranbaree (1979) et La princesse et la pute de Marc Dorcel (1996).
Pareille vulgarité peut choquer. Le français, langue vulgaire, n’a pas son pareil pour dire l’être, l’individu, l’homme, la femme : le mec et la nana. On en oublie parfois l’Origine des mots et pour reprendre la phrase célèbre de Lacan que, l’inconscient est structuré comme un langage. Mec est issu de mac, abréviation de maquereau, souteneur, proxénète. Quant à nana, le terme se réfère au personnage féminin du roman d’Émile Zola, Nana, prostituée, courtisane puis femme entretenue. Confusion des genres, coïncidence, hasard ou nécessité ? Que la fête commence !
Orlan, L’Origine de la guerre, 1989,
huile sur toile, 46x55cm., Paris, collection privée
* Philippe Sollers – L’Origine du délire – L’Infini no 97 et notes sur “L’histoire récente du tableau” - lien