lui avait d’ailleurs valu rappelons-le, ainsi qu’à ses voisins anglais et allemands, d’être quelque peu marginalisée lors du dernier sommet à Toronto. Bien comprendre ce débat nécessite de revenir sur la genèse de cette taxe, d’en détailler les modalités techniques et d’en analyser les impacts.
Retour sur la Genèse d’un projet controversé
Dans la foulée du sommet qui s’était tenu à Pittsburgh en Septembre 2009, les participants européens du G20 avaient sollicité du Fonds Monétaire International la rédaction d’un rapport d’un genre un peu particulier. Le FMI, dont l’un des rôles est précisément, rappelons-le, de mettre à disposition ses réserves en cas de crise financière mondiale, était en effet appelé à se prononcer sur le moyen « le plus juste » de mettre à contribution les banques, afin de prévenir l’occurrence de nouvelles faillites bancaires. Quelques mois plus tard, le FMI présentait donc l’avancée de ses travaux sur le sujet. Trois propositions émergeaient alors : d’abord, la mise en place d’une « contribution à la stabilité financière » rapidement rebaptisée « taxe bancaire » par l’ensemble des médias internationaux. Celle-ci consiste à effectuer un prélèvement en lien avec la physionomie des bilans des banques, et plus particulièrement avec le niveau de risque qu’ils reflètent. Le produit de cette taxe devait venir alimenter un fonds de garantie, disponible en cas de nouvelles faillites bancaires. Ensuite, le rapport propose l’instauration d’une « taxe sur les activités bancaires » visant à prélever directement une partie des profits des banques mais également des rémunérations des banquiers, jugées excessives par le FMI. Enfin, non sans rappeler les travaux de James Tobin sur le sujet, le FMI évoquait en dernier lieu, la création d’une « taxe sur l’ensemble des transactions bancaires ».
De ces trois solutions, peut être parce qu’elle était la plus à-même de marquer les esprits de leurs concitoyens, c’est dans un premier temps à la taxe bancaire que les gouvernements européens ont résolu de s’intéresser de plus près. Ainsi le trio France, Allemagne et Royaume Uni a-t-il pris en Juin 2010, lors du sommet suivant, la tête d’un mouvement visant à faire adopter cette taxe dans l’ensemble des pays du monde. C’était sans compter sur l’apparition d’une force d’opposition constituée des pays émergents, emmenés par le Canada, dont les établissements bancaires ont traversé la crise presque sans difficultés grâce à des ratios de fonds propres atteignant les 10%. Ce dernier estime en effet qu’un tel dispositif pourrait venir freiner sa croissance, en réduisant la propension à faire crédit de ses établissements bancaires.
Face à cet échec la France, l’Allemagne et le Royaume Uni, (timidement soutenus par les Etats-Unis), se battent donc aujourd’hui de concert, pour imposer la mise en place rapide de la taxe bancaire sur leurs territoires respectifs, avec pour but de convaincre l’ensemble des autres pays de l’Union. Ils sont soutenus dans cette démarche par la Commission, qui estime qu’une telle taxe pourrait rapporter jusqu’à 4,9 milliards d’euros par an au niveau de l’union européenne. L’enjeu est de taille puisqu’il s’agit de venir minimiser les distorsions de concurrence entre banques qui pourraient émaner de la mise en place d’un tel dispositif dans quelques pays seulement. Le 25 août dernier, le gouvernement allemand adoptait donc un projet de loi sur la taxation de ses banques, prenant de ce fait une longueur d’avance sur ses deux voisins européens.
Les modalités de la taxe bancaire
Si le Royaume Uni de son côté n’a pas encore véritablement communiqué sur le sujet, on sait en revanche que les modalités des projets Français et Allemands seront proches. Leurs objectifs diffèrent toutefois, puisque si l’Allemagne souhaite allouer le produit de la taxe collectée à un fonds de garantie, comme le préconise d’ailleurs Bruxelles, la France semble quant à elle plutôt s’orienter vers l’intégration du produit de cette taxe directement dans son budget national. Bercy a d’ailleurs d’ores et déjà annoncé que cette taxe figurerait dans le projet de loi de finances pour 2011.
Dans le projet adopté par le gouvernement allemand, le montant de la taxe dépendra de la taille de l’établissement, du niveau de risque de ses activités et de son degré d’importance dans le système financier. Tout ceci devrait se refléter dans l’assiette sur laquelle la taxe sera calculée et qui sera constituée du passif de l’établissement concerné, diminué de ses fonds propres et des dépôts de sa clientèle. Une échelle des taux applicables a déjà été communiquée :
En ce qui concerne les instruments dérivés conservés hors bilan, le taux devrait s’élever à 0,00015% et sur leur montant nominal. Il a par ailleurs été signifié que la taxe serait plafonnée à 15% du bénéfice net pour les banques bénéficiaires tandis que les banques déficitaires devront quant à elle débourser 5% de la taxe théorique.
La taxe bancaire devrait également être accompagnée d’un dispositif que l’on peut considérer comme destiné à assurer la transition vers Bâle III et à sécuriser leurs systèmes financiers respectifs en attendant la création d’instances de supervision supra-européennes. Le gouvernement allemand souhaite par exemple élargir le champ d’intervention des instances de régulation du secteur. Un établissement en difficulté pourra ainsi voir ses activités jugées d’une importance stratégique transférées ou cédées à une structure ad hoc tandis que le reste de ses activités seront mises en règlement judiciaire. Enfin, les régulateurs pourront prendre le contrôle d’une banque en faillite et mettre en place des mesures de restructuration, sans être obligés de consulter ses dirigeants.
Efficience du dispositif et impact pour les établissements de crédit
De cette manière Bercy espère réunir la somme de 1 milliards d’euros par an, tandis que du côté du ministère des finances Allemand les estimations s’élèvent à environ 1,3 milliards d’euros et que George Osborne, le ministre des finances britannique, compte réunir quant à lui 3 milliards de Livres. Mais en projetant ces montants de collecte sur 5 ans, les sommes obtenues paraissent assez peu élevées au regard des montants qui avaient dû être avancés par les gouvernements européens dans le cadre des différents plans de relance instaurés en 2008 et 2009. La capacité des fonds prélevés à soutenir le secteur bancaire en cas de nouvelle crise pose alors question. Le tableau ci-dessous compare le montant de la collecte théorique sur 5 ans aux mesures d’intervention prises par les états pendant la crise (prêts pour recapitalisation, garanties des opérations de refinancement, rachat de créances toxiques) :
Au niveau des établissements eux-mêmes, en revanche, le montant des fonds prélevés n’est pas négligeable. Si l’on applique la méthode de calcul de la taxe allemande aux établissements français, BNP Paribas, Société Générale et Crédit Agricole, on s’aperçoit que ces derniers seraient amenés à débourser respectivement 5,8%, 3,73% et 6,42% de leur bénéfice net (si l’on se réfère à l’exercice 2006) pour s’y soumettre. On peut donc s’interroger, comme l’a fait le gouvernement Canadien, sur l’impact que pourrait avoir cette taxe sur la capacité à prêter des établissements bancaires. En effet, la taxation de leurs bénéfices devrait réduire de manière mécanique leur marge de manœuvre en termes d’allocation de crédits et pourrait donc affaiblir leur capacité à financer l’économie.
Par ailleurs, les établissements les plus vertueux ne seront a priori pas favorisés. Les modalités de calculs envisagées ne différencient pas les produits bancaires risqués des produits bancaires dits plus traditionnels. En effet, la toxicité de certains actifs ne se reflètera pas dans le calcul de l’assiette préconisé par Bruxelles. Il semble donc qu’une partie non négligeable du risque porté par ces établissements ne sera pas prise en compte dans le calcul de la taxe, sous cette forme tout du moins.
Enfin, la cohérence globale de ce projet reste soumise à l’obtention d’un consensus européen. D’une part, se pose le problème de l’éventuelle superposition des périmètres des différents dispositifs. Ainsi, si l’Allemagne a décidé de ne taxer que les établissements placés sous sa supervision, solution vers laquelle semble également se diriger la France, le Royaume Uni a quant à lui déclaré qu’il examinait les modalités d’une taxation de l’ensemble des établissements bancaires présents sur son territoire, ce qui pourrait concourir à une double imposition pour certains d’entre eux. D’autre part, le principe d’une taxe sur les transactions bancaires est également en discussion. La France, l’Allemagne et l’Autriche fers de lance de la réforme sur les principes de gouvernance de la finance mondiale s’y sont bien évidemment déclarées favorables. La Suède en revanche s’est immédiatement élevée contre ce dispositif. Les Suédois, précurseurs dans le domaine, avaient en effet eux-mêmes déjà tenté de mettre en place cette taxe sur leur territoire dans les années 80 faisant fuir à l’époque bon nombre de leurs courtiers vers l’eldorado londonien. Les recettes récoltées avaient alors été de 100 fois inférieures à celles espérées.
Finalement il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour aboutir à un dispositif mature et efficient. L’actualité des mois à venir sera donc marquée par de nombreuses négociations, notamment dans le cadre de la présidence française du G20.
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