C’est une opération industrielle étonnante : dans l’indifférence générale, il y a deux ans, Embraer a dévoilé un projet d’avion de transport militaire biréacteur, capable d’emporter une charge utile d’une vingtaine de tonnes, le KC-390. Sa désignation est trompeuse dans la mesure ou ŤKCť désigne habituellement un ravitailleur un vol (rôle que le futur avion brésilien pourrait également assumer).
En un premier temps, pour réduire l’investissement initial, Embraer avait envisagé de développer le KC-390 au départ de la cellule de l’avion régional E-190. Rapidement, il est apparu que ce n’était pas une bonne idée et le bureau d’études est bientôt reparti de zéro. D’oů l’apparition d’un projet séduisant, pas vraiment minimaliste, mais devant permettre de proposer ce prétendant ŕ la succession des Lockheed Martin C-130H et C-130J ŕ un prix de l’ordre d’une cinquantaine de millions de dollars. Une offre low-cost, en quelque sorte.
Restait ŕ construire un modčle économique au départ de cette proposition technique simple. Or les besoins relativement modestes de l’armée de l’Air brésilienne (apparemment 28 exemplaires, en un premier temps) ne permettaient pas de lancer le programme dans des conditions raisonnables. D’oů l’incrédulité qui avait initialement entouré le KC-390, ces sentiments mitigés constituant de toute évidence la négation de la volonté d’Embraer d’élargir sa gamme de produits.
La suite n’est pas inattendue : les équipes trčs dynamiques de Sao José dos Campos, disposant d’une étude de marché qui les incitait ŕ un certain optimisme, ont entrepris des démarches tous azimuts, ŕ la recherche de clients/partenaires. En d’autres termes des clients de lancement dont l’industrie prendrait une partie des risques financiers ŕ sa charge. La méthode n’est pas nouvelle mais a souvent donné la preuve de son bien-fondé.
Curieusement, c’est la France qui, la premičre, a tendu l’oreille. A priori, elle n’a pas besoin d’un avion de la catégorie du KC-390, compte tenu de son engagement pour 50 Airbus A400M et sa flotte de Ťpetitsť EADS/CASA C-295. En revanche, témoigner d’un intéręt pour le futur biréacteur brésilien pouvait s’inscrire dans le cadre de la négociation extraordinairement compliquée portant sur l’offre de Rafale, Dassault Aviation s’inscrivant lŕ dans un contexte concurrentiel tendu, face aux Etats-Unis et aux Suédois. D’oů l’annonce inattendue d’une intention française d’acheter une dizaine de KC-390. On finira par savoir s’il s’agissait lŕ d’un argument solide.
Depuis lors, le pré-lancement du KC-390 a connu de belles avancées. Par ordre alphabétique, le Chili, la Colombie, le Portugal et la Tchéquie ont signé des intentions d’achats, au total pour 26 exemplaires. C’est peu, bien sűr, en męme temps qu’un bon début, au total, soixante-quatre exemplaires étant d’ores et déjŕ placés. En principe tout au moins.
La passivité de Lockheed Martin est d’autant plus étonnante, sachant qu’une nouvelle version de son inépuisable C-130 n’est apparemment plus d’actualité. Boeing, de son côté, espčre avant tout prolonger la carričre du gros C-17, mais il s’agit lŕ d’une intervenant de haut de gamme, d’une tout autre catégorie. Il est donc possible qu’Embraer arrive ŕ s’imposer, sans ętre gęné par l’A400M, confirmant ainsi que sa stratégie des petits pas est empreinte de réalisme.
Pierre Sparaco - AeroMorning