Inscrit dans la savoureuse collection des "Petit éloge" (folio 2 €), l'essai de Grégoire Polet renoue en tous points avec la tradition antique de l'édification publique. Maniant le dithyrambe aussi bien que le paradoxe, l'auteur promeut la gourmandise, distincte de la faim ou de l'appétit, au rang de vertu universelle: "Cet amour du monde qui se mange est tout de même aussi un amour du monde tout court".
Et l'assiette, philanthrope, de rassembler les peuples par la découverte - et la cohabitation - de contenus issus du monde entier. Et le verre (de vin) de déployer la mémoire des vignes et des pas qui les ont foulées, le grain de farine, "inaperçu dans la rainure du meuble" d'étendre sa quête à un périple à travers les continents, avant que de pleurer, lamentable, le sort de ses frères... carbonisés.
Féru, entre autres, d'histoire de l'art, l'auteur étudie la représentation picturale de la gourmandise. Si Le Caravage, Goya...représentent mets de choix, l'esthète affirme que "toutes les peintures ont quelque chose à voir avec la gourmandise"
"Et si la gourmandise était une peinture (...) elle serait avant tout une illusion. C'est-à-dire que si la gourmandise était une peinture, elle serait toutes les peintures."
Et avec la littérature, me direz-vous, quel lien établit l'auteur?
Rien de plus simple, vous répondrai-je: pimentée de souvenirs et de méditations nourries, sa plume fait de l'essai un festin d'écriture.
"Et c'est pourquoi dans l'ivresse de la célébration gourmande quelque chose se produit"
Un ouvrage qui se déguste comme un macaron: le délice exige le raffinement de la cérémonie.
Apolline Elter
Petit éloge de la gourmandise, Grégoire Polet, essai, Gallimard, folio 2 €, août, 104 pp
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Billet de ...saveurs
(Photo C. Hélie -Gallimard)
AE: Grégoire Polet, la gourmandise acquiert sous votre plume, une dimension philosophique. Elle est amour du monde, de la vie. Où situez-vous la boulimie et l'anorexie dans ce contexte?
Grégoire Polet: Réponse courte impossible. J’écris quelque part que la boulimie et l’anorexie n’ont rien à voir avec la gourmandise, mais avec la question beaucoup plus grande de la faim en tant que contact radical avec la vie, et donc lieu énorme d’angoisse et lieu énorme de liberté.
AE: Vous écrivez, ô paradoxe, que "rien n'est plus savoureux qu'un gueuleton avec un détestateur" Parce qu'à table, il ne peut que capituler?
Grégoire Polet: Je trouve amusant de manger avec quelqu’un qui pense (ou dit) que le monde est détestable, et qui le fait en commandant au dessert une pêche Melba. Par exemple.
AE: La rédaction de cet essai, ô combien délectable, a-t-elle modifié votre approche de la table?
Grégoire Polet: Certes. Depuis que je l’ai écrit, j’ai perdu 7 kilos.