Il y a une sorte de dénuement des choses qui les fait apparaitre parfois comme suspendues, hors du monde, pures présences emplies de solitude. Alors Cézanne peut dire « sensations colorantes », « sensations confuses » comme à notre état naissant. Et Rilke peut dire des pommes de Cézanne qu’elles perdent tout caractère comestible. Les pommes comme les choses sont, voilà tout. Et c’est cette énigmatique présence des choses que la peinture questionne. Même, on pourrait dire, à l’inverse de Diderot s’enthousiasmant de retrouver dans les tableaux de Chardin la réalité même de ce qu’ils dépeignent (« il n’y a qu’à prendre ces biscuits et les manges … ces fruits et les peler… »), qu’il ne reste de la pomme, dans cette solitude auquel le tableau répond, que ce qu’elle partage avec la montagne, avec le pin noueux ou l’immeuble. Cette existence brute, minérale à son sommet. En vérité, on ne peint pas la chose, mais l’effet qu’elle produit, comme le note quelque part Mallarmé. Sans pour autant que la chose dans ces contours s’efface devant la sensation : demeurent tout à la fois l’expérience commune des choses et les mondes auxquelles elles renvoient. Les choses sous le regard semblent nous regarder en retour de cette opacité profonde qui creuse leur face sans visage.