A Nantes, des patientes bénéficient d'un traitement prometteur, moins lourd et plus précoce qu'une radiothérapie classique. Une première en France.
L'idée de ne pas jouer au golf pendant plusieurs mois lui pesait beaucoup. Marianne l'a dit à ses médecins quand ils ont évoqué ensemble son cancer du sein, en avril dernier. "On vous proposera peut-être quelque chose de neuf", a suggéré l'oncologue. Sa patiente n'a pas tardé à le vérifier. Grâce à un nouvel appareil, baptisé l'Intrabeam, la retraitée accro des greens peut se remettre à son sport favori dès la rentrée. Au lieu de la trentaine de séances d'irradiations prévues pour traiter son type de cancer, cette septuagénaire n'en a subi que quelques unes, dont la première, au bloc, le 17 juin: directement après l'ablation de la tumeur, avant que la zone soit remodelée et le sein refermé. Une première en France...
Troquer 30 à 33 séances de rayons contre une seule irradiation
Se remettre d'un cancer en quelques semaines, bien des malades en rêveraient. Outre Marianne, trois autres Françaises ont déjà profité de la nouvelle technologie pratiquée au centre de lutte contre le cancer René-Gauducheau, dans la périphérie nantaise. Dans le meilleur des cas, l'utilisation de l'Intrabeam leur a permis de troquer les 30 à 33 séances de rayons prodiguées cinq à dix semaines après la chirurgie contre une seule irradiation pendant l'opération. Au pire, si l'analyse de la tumeur rend malgré tout nécessaire une irradiation de la glande mammaire, ce traitement leur épargne au moins les cinq à huit dernières séances.
Réaliser une irradiation pendant l'ablation de la tumeur
"Quand on sait que les malades parcourent chaque jour plusieurs dizaines de kilomètres pour recevoir ces rayons, ce confort n'est pas négligeable, estime le Pr David Azria, cancérologue radiothérapeute au centre montpelliérain Val-d'Aurelle - Paul-Lamarque, auteur d'un article consacré à cette nouvelle technique dans la revue médicale The Lancet, en juin dernier. J'ai croisé des patientes qui refusaient la radiothérapie ou se faisaient enlever le sein simplement pour éviter ces allers-retours."
Montpellier et Bordeaux prêts à suivre
D'autres équipes françaises ont aussi les yeux braqués sur l'Intrabeam. Adepte de la radiothérapie peropératoire depuis vingt ans, le centre Val-d'Aurelle - Paul-Lamarque de Montpellier fera l'acquisition du nouvel appareil le 15 septembre et pourrait en proposer l'usage à certaines patientes de plus de 65 ans avant la fin de l'année. "La technique devrait se diffuser rapidement", prédit sur place le Pr David Azria.
D'autres centres, comme Oscar-Lambret, à Lille, étudient le dossier de près. A Bordeaux, l'Institut Bergonié dispose déjà de locaux homologués pour pouvoir utiliser l'Intrabeam. Reste à acquérir la machine, qui coûte la bagatelle de 500 000 euros. "Le financement n'est pas totalement ficelé, mais on espère une mise en route avant la fin de l'année", souligne le Dr Christel Breton-Callu, radiothérapeute dans ce centre de lutte contre le cancer.
Grâce à ce nouveau système de radiothérapie "peropératoire", c'est-à-dire pratiquée au bloc à l'intérieur du sein et non plus en consultation externe, un tel dilemme ne devrait bientôt plus se poser. Un progrès immense, dont l'outil n'a pourtant rien de spectaculaire. Le fameux appareil, un "accélérateur linéaire mobile à rayons X", est commercialisé depuis plus de dix ans par l'entreprise allemande Carl Zeiss Meditec, mais seulement depuis mars 2009 en France. Il se présente comme une sphère fixée au bout d'un bras articulé. La boule vient se poser dans le sein ouvert, s'adaptant à la taille de la cavité opératoire. "On ne peut pas être plus précis", explique le Dr Magali Le Blanc-Onfroy, oncologue-radiothérapeute, qui chapeaute le dossier au centre René-Gauducheau.
Difficile, aussi, d'être plus précoce dans le traitement du cancer. En irradiant à l'intérieur du sein dès l'ablation de la tumeur, on limite le plus tôt possible le risque de développement des cellules cancéreuses autour. Et c'est essentiel: "Dans 80 à 85 % des cas, la récidive est observée sur cette zone opératoire", précise le spécialiste.
Des rayons moins toxiques
Ce 17 juin, jour de l'opération de Marianne, l'équipe médicale nantaise est sortie du bloc et commande l'Intrabeam à distance. Une caméra reste braquée sur la patiente, une autre sur les écrans de réanimation. De l'applicateur jaillissent 20 grays (unité de mesure de la puissance des rayons): dix fois plus qu'en une séance de radiothérapie classique, mais près de trois fois moins qu'en 30 séances... L'irradiation est aussi moins toxique, évite la zone du coeur, des poumons, de l'oesophage et préserve les tissus sains.
"Les rayons classiques, envoyés en externe, sont violents pour la peau, commente la patiente déjà remise de son opération. Alors, autant les éviter au maximum..." En ce début septembre, la septuagénaire arrive au bout de ses séances d'irradiation. Elle masse son bras droit, celui qui guide son swing et dont elle espère qu'il souffrira le moins possible. Le centre nantais René-Gauducheau, derrière elle, a fait peau neuve en 2009. "On a pu construire un bloc opératoire spécialement équipé pour accueillir l'Intrabeam", se félicite le Dr Le Blanc-Onfroy. Les murs ont été recouverts de 20 centimètres de plomb, les portes et vitres, de 2 millimètres.
Une méthode employée dans neuf autres pays
La spécialiste nantaise parle posément, l'air assuré et rassurant. Quatre ans qu'elle planche sur le projet. Sur son bureau, un épais dossier jaune étaie son propos, frappé de l'acronyme Targit (Targeted intraoperative radiotherapy), du nom de l'étude pilotée par l'équipe londonienne du Pr Michael Baum, à laquelle le centre nantais collabore désormais. 28 de ses homologues étrangers l'ont déjà précédé. Ils sont britanniques, américains, allemands, italiens, polonais, suisses, danois, canadiens ou australiens. Tous utilisent l'Intrabeam. Au total, plus de 2230 patientes ont participé au programme depuis mars 2000.
En juin dernier, les résultats de l'étude ont été présentés pour la première fois au 46e congrès de l'American Society of Clinical Oncology (Asco), à Chicago, où le gratin mondial de la cancérologie se réunit chaque année. "En termes de récidive locale, l'équivalence entre la radiothérapie peropératoire et postopératoire est confirmée", se félicite le Dr Le Blanc-Onfroy.
Cinq ou six patientes éligibles chaque mois
Gare, toutefois, aux faux espoirs ou aux enthousiasmes démesurés. Si la technique marque une avancée incontestable, en l'état actuel du protocole, le traitement n'est aujourd'hui proposé qu'aux femmes présentant un faible risque de récidive. "La tumeur doit vraiment être de petite taille", précise le Pr David Azria, à Montpellier. Et si l'étude Targit réserve son accès aux plus de 45 ans, en pratique, "l'âge médian des patientes de l'échantillon est de 63 ans".
A Nantes, la barre est d'ailleurs d'office placée à 60 ans. Au final, elles seront cinq ou six femmes éligibles chaque mois, soit moins de 20 % des patientes opérées pour un cancer du sein, avec irradiation subséquente, au centre René-Gauducheau. "Un deuxième essai international devrait être lancé pour les malades à haut risque dans le courant de l'année prochaine, indique le Dr Le Blanc-Onfroy. La technique pourra être proposée à un panel plus large de patientes, dont les moins de 60 ans. Pour le moment, on reste prudent: " c'est un début, et un bon début."
Source : L'Express