La trilogie de Wajdi Mouawad (Littoral, Incendies, Forêts) était présenté en septembre 2010 au théâtre national de Chaillot. Le dramaturge libanais mettait fin à quatre ans de tournée. Emouvant.Dans une tragédie grecque, la malédiction pèse sur toute une lignée. Il en est de même dans la famille de Narwal. Sa mère, qui l’a puni d’un amour illicite, détestait sa propre mère, qui détestait la sienne, qui détestait la sienne... et l’origine de cette haine s’est perdue dans les ténèbres d’une histoire sans mots, d’une histoire sans traces. Aujourd’hui, Narwal n’est plus. Seulent restent des mots justement, ceux que son ami Nobel, le notaire, lit à ses enfants, lesquels les rejettent comme s’il s’agissait d’insultes d’outre-tombe : comment subvenir aux volontés pointilleuses d’une défunte capricieuse qui fut une mère détestée et silencieuse ? Cette femme qui n’écrit pas “mes enfants” mais “la jumelle” et “le jumeau” n’aurait-elle pas pu profiter de sa vie pour troquer son silence contre ses revendications : allez retrouver votre père, car vous en avez un, et votre frère, aussi, car il existe ?Si forte soit sa haine et son ahurissement, Jeanne, la jumelle, est tout de même curieuse de ce qui se cache derrière le silence dont s’est drapée pendant 5 ans sa maman et de cette dernière phrase qu’elle a prononcée avant d’expirer : “Maintenant que nous sommes ensemble, ça va mieux”. Doctorante en mathématiques rompue aux énigmes insolvables de la théorie des graphes, Jeanne va, par sa recherche, passer des bancs de l’université québécoise aux affres de la guerre du Liban (75-90), guerre dont l’absurdité est symbolisée par ce sniper fou passé du camp de la résistance palestinienne à celui des milices et qui danse avec son fusil sur The Logical Song de Supertramp : “Won't you please, please tell me what we've learnedI know it sounds absurdbut please tell me who I am.Now watch what you say or they'll be calling you a radical,liberal, fanatical, criminal.Won't you sign up your name, we'd like to feel you'reacceptable, respecable, presentable, a vegetable!”On ne pourra guère plus résumer Incendies, pièce ardente qui, en balayant la vie de Narwal par jeux de flash-backs subtilement enchaînés, invoque les grandes questions de l’existence humaine -la naissance, l’amour, le sexe, la mort, la religion, la connaissance, la transmission, le langage. En prenant soin, au travers de la guerre du Liban, de montrer toute l’absurde horreur qui transpire dans nos histoires, non de manière abstraite, nue, comme elle pourrait l’être dans une pièce métaphysique, dans un livre à concepts, mais en l’accompagnant de tout ce qui fait nos vies, en la mêlant à l’amitié, à la filiation, la mélancolie, le courage, la lassitude, la répétition, l’habitude, l’art ou l’humour, le dramaturge d’origine libanaise Wajdi Mouawad exhorte le spectateur, en même temps que les personnages, à la catharsis.Cette exhortation transpire dans l’obsession du langage qui traverse la pièce, dans cette mère, pourtant symbole de l’accès à l’écriture, qui se tait par trop d’horreur, dans ces conversations entre les personnages effacées par les tests sonores du théâtre dans lequel ils se trouvent, et dans la figure du notaire, comique très humain, qui, ne cessant de parler, s’embrouille dans les expressions populaires mais communique tout de même (il est le seul qui ait quelques renseignements sur la mère) et permet la catharsis.Si Incendies, pièce moderne, dit toute cette nécessité des mots qui convergent en multitude de directions, elle est saisissante comme une tragédie grecque. Génial.Le week-end prochain, au théâtre de Chaillot : Fôrets.
La trilogie de Wajdi Mouawad (Littoral, Incendies, Forêts) était présenté en septembre 2010 au théâtre national de Chaillot. Le dramaturge libanais mettait fin à quatre ans de tournée. Emouvant.Dans une tragédie grecque, la malédiction pèse sur toute une lignée. Il en est de même dans la famille de Narwal. Sa mère, qui l’a puni d’un amour illicite, détestait sa propre mère, qui détestait la sienne, qui détestait la sienne... et l’origine de cette haine s’est perdue dans les ténèbres d’une histoire sans mots, d’une histoire sans traces. Aujourd’hui, Narwal n’est plus. Seulent restent des mots justement, ceux que son ami Nobel, le notaire, lit à ses enfants, lesquels les rejettent comme s’il s’agissait d’insultes d’outre-tombe : comment subvenir aux volontés pointilleuses d’une défunte capricieuse qui fut une mère détestée et silencieuse ? Cette femme qui n’écrit pas “mes enfants” mais “la jumelle” et “le jumeau” n’aurait-elle pas pu profiter de sa vie pour troquer son silence contre ses revendications : allez retrouver votre père, car vous en avez un, et votre frère, aussi, car il existe ?Si forte soit sa haine et son ahurissement, Jeanne, la jumelle, est tout de même curieuse de ce qui se cache derrière le silence dont s’est drapée pendant 5 ans sa maman et de cette dernière phrase qu’elle a prononcée avant d’expirer : “Maintenant que nous sommes ensemble, ça va mieux”. Doctorante en mathématiques rompue aux énigmes insolvables de la théorie des graphes, Jeanne va, par sa recherche, passer des bancs de l’université québécoise aux affres de la guerre du Liban (75-90), guerre dont l’absurdité est symbolisée par ce sniper fou passé du camp de la résistance palestinienne à celui des milices et qui danse avec son fusil sur The Logical Song de Supertramp : “Won't you please, please tell me what we've learnedI know it sounds absurdbut please tell me who I am.Now watch what you say or they'll be calling you a radical,liberal, fanatical, criminal.Won't you sign up your name, we'd like to feel you'reacceptable, respecable, presentable, a vegetable!”On ne pourra guère plus résumer Incendies, pièce ardente qui, en balayant la vie de Narwal par jeux de flash-backs subtilement enchaînés, invoque les grandes questions de l’existence humaine -la naissance, l’amour, le sexe, la mort, la religion, la connaissance, la transmission, le langage. En prenant soin, au travers de la guerre du Liban, de montrer toute l’absurde horreur qui transpire dans nos histoires, non de manière abstraite, nue, comme elle pourrait l’être dans une pièce métaphysique, dans un livre à concepts, mais en l’accompagnant de tout ce qui fait nos vies, en la mêlant à l’amitié, à la filiation, la mélancolie, le courage, la lassitude, la répétition, l’habitude, l’art ou l’humour, le dramaturge d’origine libanaise Wajdi Mouawad exhorte le spectateur, en même temps que les personnages, à la catharsis.Cette exhortation transpire dans l’obsession du langage qui traverse la pièce, dans cette mère, pourtant symbole de l’accès à l’écriture, qui se tait par trop d’horreur, dans ces conversations entre les personnages effacées par les tests sonores du théâtre dans lequel ils se trouvent, et dans la figure du notaire, comique très humain, qui, ne cessant de parler, s’embrouille dans les expressions populaires mais communique tout de même (il est le seul qui ait quelques renseignements sur la mère) et permet la catharsis.Si Incendies, pièce moderne, dit toute cette nécessité des mots qui convergent en multitude de directions, elle est saisissante comme une tragédie grecque. Génial.Le week-end prochain, au théâtre de Chaillot : Fôrets.