Appelé parfois « malheureux concours de circonstances », c’est l’aléa pur, la survenance de phénomènes sans causalité avérée ; l’irruption des probabilités indépendantes dans notre rationalité la mieux éprouvée, dans nos plus belles mécaniques économiques.
Or nous avons deux certitudes.
Tout d’abord, la reprise de nos économies est…bien incertaine, c’est confirmé. Certes l’économie européenne semble retrouver quelques couleurs. Nos « stress tests » ont été dans l’ensemble rassurants. L’euro est convalescent. Mais l’été a vu alterner bonnes et mauvaises nouvelles : bonne reprise en Allemagne, mais croissance décevante au 2ème trimestre aux Etats-Unis ; en France, nette amélioration des résultats de nos grandes entreprises au premier semestre, amélioration aussi des chiffres du chômage, mais révision à la baisse des prévisions de croissance en pour 2011… J’en passe : en tout état de cause, nos plans de réduction des déficits publics, décidés sous la pression des marchés, jettent durablement un voile d’incertitude sur chaque signe d’embellie ; et les réformes structurelles ont été bien timides en Europe.
Autre certitude – paradoxale: l’alea et l’imprévisible ont encore de beaux jours devant eux. Pour trois raisons au moins.
La première, inutile d’y insister, est l’exigence accrue de rentabilité, et donc l’augmentation des risques. Dans chaque secteur cette pression est différente dans sa forme, dans ses mécanismes. Mais il n’y a guère de doute que la mondialisation actuelle l’a fortement accentuée. Et lors même que l’on renonce à la rentabilité pour fuir le risque, comme sur certaines dettes souveraines, on crée un risque de bulle et d’instabilité par les masses financières en cause.
La deuxième est que nous sommes peu formés sur la nature même du risque. Et pas davantage, du reste, sur son omniprésence. La culture mathématique qui sous-tend nos décisions fait la part belle au passé et aux résultats attendus. Et à la notion de moyenne, à la statistique -en bref, aux situations « normales ». Nous sommes programmés pour déduire, extrapoler, développer les chaînes causales « prévisibles ». Pas pour imaginer les coïncidences improbables, les phénomènes discontinus, les ruptures.
La troisième raison, c’est que rechercher le minuscule et l’improbable, ça n’est guère gratifiant. Sans même jouer les Cassandre, il y a là de quoi se faire accuser de pusillanimité… Au pire, on estimera précisément que vous empêchez la machine de tourner rond. Vous aurez beau objecter qu’il faut être prudent, ne pas construire sur…du sable : vous passerez immanquablement pour faire obstacle aux beaux projets, aux réussites qui font les héros.
Et pourtant : traquer le grain de sable, c’est utile …et difficile ! Il est presque invisible, il se fait oublier. Il attend sournoisement son heure. Et…il choisit ses victimes ! Avec une préférence avérée pour nos techniques financières ou industrielles les plus modernes, nos dispositifs institutionnels les plus élaborés.
Prenons un exemple parmi d’autres : les forages en eaux profondes. C’est qu’il faut bien le débusquer, ce précieux pétrole, toujours plus loin, toujours plus profond ! Comment progresser sans mettre en œuvre des techniques inédites ? Et nous voilà soudain face à l’échec, condamnés à l’improvisation, déboulonnés du piédestal où nous avions fièrement dressé notre propre statue.
Où attaque le grain de sable ? Souvent, certes, là où la fatigue, l’usure, lui ont laissé la voie ouverte. Mais surtout : il adore la négligence, l’improvisation. Sous toutes leurs formes : la routine, l’à-quoi-bon, la « faute aux autres »…
Alors, mesdames et messieurs les responsables – politiques, chefs d’entreprises, responsables de banques, gouverneurs de banques centrales – voici une petite prière pour cette rentrée. Si c’est possible : pas de grain de sable ! Anticipez l’aléa, la coïncidence fatale. Vérifiez tout ! Evaluez chaque décision, chaque mesure de circonstance. Concertez-vous. Pesez chaque mot. Surveillez chaque rumeur, même ! Et ne vous dites pas « un risque sur 100 » si ce risque devait être fatal à la fragile reprise qui s’amorce.
Voilà pour cette rentrée un peu particulière.
Maintenant, c’est sûr, vous pouvez vraiment ranger vos tongs.