Sans confiture, pas de tartine. Nous commencerons donc par nous pencher sur l’abricot. Pour que la confiture soit réussie, il faut se lever tôt.
C’est au printemps que commence la confiture à l’abricot.
L’abricotier est un arbre délicat qui produit des fleurs fragiles. S’il grandit à l’ombre des montagnes, il redoute mars et ses retours de froid. Vous voyez, une fleur blanche aux pétales délicats frissonne aux moindres frimas. Elle tousse, elle s’enrhume et parfois, elle meurt d’un simple refroidissement. Et il arrive que mars, ce gros con, vienne cueillir la fleur d’un bon coup de gel. Ensuite, mars ricane et c’est la pénurie annoncée pour la confiture aux abricots.
Bon, dans les bonnes années, la fleur blanche survit. Ensuite beaucoup de soleil et un peu d’eau, pas trop d’eau, en fait. Trop d’eau noie le goût, transforme l’abricot en outre à eau. C’est un dosage de haute précision : il y a la peau qui craque et prend l’odeur du vent. Il y a la chair tendre qui mélange l’été au printemps. Il y a le noyau qui envoie un parfum d’amande douce-amère pour que flamboie la tarte aux abricots dont nous parlerons dans une prochaine causerie.
Alors voilà. Il a plu un peu et sinon, il a fait beau. Chaud. Sec. Juillet tire à sa fin et parfois jusqu’en août. L’abricot est orange jusqu’au rouge. Il peut avoir des taches de rousseur. L’abricot est mûr. Il offre sa croupe tendue à la main délicate qui le cueille.
Pour la confiture, il est au bord de la rupture. Il laisse peut-être couler un filet de jus doré. Il est au bord de la moisissure. Il va éclater, c’est une question de temps. Alors, c’est le moment. Vous aurez quelques heures pas plus. Pour la recette, aucun mystère, tout est dans l’abricot. S’il est bien comme il faut, gorgé de soleil, au bord de l’éclatement, alors il suffira d’un tiers de sucre pour deux tiers de fruits. Le sucre, c’est bon pour la conservation, mais l’espérance de vie d’un vrai pot de confiture aux abricots ne nécessite pas tout ce luxe de précautions. J’ajouterai une touche de pectine pour la consistance et je mettrai à cuire avec quelques noyaux, pour l’amande. 10 minutes à plein feu et une demi-heure à feu doux pour que la peau se mélange à la chair. Ensuite, nous retirons les noyaux et nous mixons le tout pour obtenir un beau liquide un peu épais et tout à fait orange. C’est brillant, ça coule et ça sent une odeur qui fait penser au paradis, si le paradis ressemble à un abricot.
Ensuite, verser le liquide bien au milieu du pot, attendre que ça refroidisse, aller chercher du pain à la mie blanche, idéalement une baguette. Ouvrir la baguette par le milieu. Déposer une couche de confiture dont l’épaisseur variera entre 3 et 6 millimètres pour les abricots-dépendants. Et surtout bien étaler jusqu’au bord pour que chaque bouchée soit équitable. Porter la baguette à sa bouche et mordre dedans. Accéder enfin à l’extase.
Pour l’accompagnement, je suggère un Earl Grey pas trop brutal et pas trop chaud, avec juste ce qu’il faut d’amertume. Pour souligner la touche d’amande amère qui vit toujours dans l’abricot.