Le ministre du Travail Xavier Darcos, lors de la session extraordinaire du 9 octobre 2009 du Conseil d’Orientation sur les Conditions de Travail (COCT-1), avait présenté son Plan d’actions d’urgence sur la prévention des risques psychosociaux dans les entreprises.
Parmi les mesures (2), la date butoir du 1er février 2010 avait été fixée aux 1 500 entreprises de plus de 1 000 salariés pour engager des négociations sur le stress au travail. Dans les rangs syndicaux, étaient redoutés par avance un certain manque d’opérationnalité et trop peu d’aspects contraignants pour les employeurs. Ce point de vue était également partagé par des professionnels en prévention des risques psychosociaux qui affirmaient le risque, « d’inclure, dans les accords, des actions visibles, qui ont de l’allure, mais qui n’ont d’impact que sur le court terme ».
Au 18 février 2010, sur les 1 500 entreprises concernées :
- Seules 300 entreprises (20 %) figuraient dans la liste verte, celle des entreprises qui avaient signé un Accord de méthode et/ou un Accord de contenu et/ou un Plan d’accord (20 %) ;
- 495 entreprises (33 %) étaient inscrites sur la liste orange. Ces structures ont déclaré « avoir engagé une ou plusieurs réunions de négociation d’un accord ou avoir engagé des discussions avec les représentants du personnel sur un projet de diagnostic partagé et/ou un plan d’action ». Pour le ministère, ces entreprises devraient passer en liste verte, dans les mois à venir ;
- 705 entreprises (47 %) sont sur la liste rouge, à savoir qu’elles n’ont apporté aucun élément probant (cas de 105 entreprises, soit 7 %) ou n’ont pas répondu au ministère, soit 600 entreprises (40 %).
Le 18 février 2010, pendant 24 heures, le ministère du Travail sur son site http://www.travailler-mieux.gouv.fr avait publié les listes, avec un certain nombre d’erreurs de classification d’entreprises (structures s’étant déjà engagées ou entreprises avec un effectif de moins de 1 000 salariés). Face aux réclamations et surtout aux lobbies de certaines entreprises, les listes orange et rouge avaient été retirées.
Au 31 juillet 2010, où en sommes-nous ?
Pour tenter d’y répondre, nous nous sommes appuyés sur les informations disponibles sur le site du ministère du Travail à la rubrique « suivi des négociations sur la prévention des risques psychosociaux ». En recroisant les informations et en les vérifiant, nous avons totalisé 506 entreprises qui avaient déposé un dossier auprès de leur DIRECCTE(3) pour contrôle du contenu, et avant publication au Journal Officiel.
10 entreprises de 250 à 499 salariés et 42 entreprises de 500 à 999 salariés y figurent. Nous rappelons que l’obligation, édictée par le Plan Darcos, concernait les entreprises de 1 000 salariés et plus.
51 % de ces entreprises ont signé un Accord de méthode, 13 % un Accord de contenu et 38 % un Plan d’actions qui à 90 % était concerté entre Direction et les Institutions Représentatives du Personnel ainsi que les délégués syndicaux. Le nombre cumulé est supérieur à 100 %, conséquence de signatures simultanées d’ Accord de méthode et d’Accord de contenu, Accord de méthode et Plan d’actions, Accord de contenu et Plan d’actions.
Cependant, nous constatons une non linéarité des résultats. En effet, l’accord de méthode est la formule retenue pour 58 % des entreprises de 2 000 à 4 999 salariés (pour une moyenne de 51 % sur la population cible, soit 506 sociétés). A l’inverse, les entreprises de plus de 10 000 salariés ne sont que 30 % à l’avoir choisi, préférant à 64 % le Plan d’actions (vs 38 % en moyenne).
Quand le Plan d’actions est retenu, il fait l’objet à 90 % d’une concertation entre Direction et les Institutions Représentatives du Personnel ainsi que les délégués syndicaux.
L’état des lieux / diagnostic de la situation est mis en avant à 77 % par des entreprises (88 % pour les entreprises de 10 000 salariés et plus), cependant seulement une entreprise sur deux estime nécessaire de mettre en place un processus de consultation ou une consultation des acteurs.
La constitution d’un comité de pilotage ou groupe projet est l’une des priorités des entreprises signataires (65 % et 73 % pour les entreprises de 10 000 salariés et plus) mais seulement 52 % des entreprises envisagent la formation des acteurs (variations importantes entre les entreprises de 1 000 à 1 999 salariés avec 44 % et celles de 5 000 à 9 999 salariés, avec 74 %), alors que toutes les études démontrent un niveau insuffisant de connaissances, qui peut être préjudiciable lors de prise de décision.
Plus les entreprises ont un effectif important, plus le recours à un intervenant extérieur est envisagé, de 43 à 59 %. Ces résultats sensiblement faibles témoigneraient de la non prise en question de l’importance du tiers de confiance dans ce type de dossier. Se référant aux dossiers que nous avons suivis en 2010, c’est un point qui est de plus en plus d’actualité. Nous nous trouvons également dans le cas de directions qui imposent leur prestataire avec des questionnaires qui suscitent de nombreuses interrogations de la part des organisations syndicales, et de ce fait rejettent les résultats. Il est important que les décisions soient partagées.
64 % des entreprises ont retenu comme dispositif le suivi des travaux et l’évaluation, signes d’une volonté d’inscrire la prévention et la gestion des risques psychosociaux dans la durée.
Autre point fondamental, partagé seulement par 38 % des entreprises (33 % pour les entreprises de 1 000 à 1 999 salariés vs 48 % pour celles de 10 000 salariés et plus), est la définition des facteurs de stress, « mettre des mots derrière des maux, afin que chacun puisse partager sur la thématique, dans une démarche participative et partagée par tous les acteurs ».
27 % des entreprises de 10 000 salariés et plus mettront en place un observatoire du stress. La moyenne pour l’ensemble des 506 entreprises est de 15 %.
Au niveau de la prévention primaire(4), 27 % des entreprises envisagent d’aborder le management à travers les relations interpersonnelles (vs 42 % pour les entreprises de 10 000 salariés et plus). A peine une entreprise sur quatre (23 %) abordera les approches d’organisation du travail (vs 38 % pour les entreprises de 5 000 à 9 999 salariés). 27 % des entreprises se pencheront sur les conditions de travail, environnement de travail et aménagement des lieux, 19 % sur l’accompagnement du changement ou/et restructurations (vs 27 % pour les entreprises de 10 000 salariés et plus), et à un degré encore moindre l’articulation vie professionnelle / vie privée (15 %).
Au niveau de la prévention secondaire(5), 32 % des entreprises prévoient des formations sur le thème des risques psychosociaux. L’évaluation des salariés, qui permettrait de mesurer le niveau des salariés face aux risques psychosociaux, n’est envisagée que par 19 % des entreprises.
Pour la prévention tertiaire(6), 28 % des entreprises feront appel à une cellule d’écoute psychologique / accompagnement individuel (de 24 % pour les entreprises de 1 000 à 1 999 salariés à 31 % pour entreprises de 10 000 salariés et plus).
Parler des risques psychosociaux, c’est aborder les conditions de travail et l’organisation même du travail. N’est-il pas urgent de mener à bien ces actions de prévention alors que le projet de réforme des retraites aurait pour incidence l’augmentation du nombre d’années de travail pour de nombreux salariés déjà en situation de mal être et de souffrance au travail ?
1 – Le Conseil d’Orientation sur les Conditions de Travail (COCT) est une instance nationale de concertation entre partenaires sociaux et pouvoirs publics, il succède au Conseil supérieur de la prévention des risques professionnels. Placé auprès du ministre chargé du travail, cette instance participe à l’élaboration de la politique nationale de prévention des risques professionnels : elle est consultée sur les projets de lois et textes réglementaires en matière de protection et de promotion de la santé et de la sécurité au travail, les projets en matière d’instruments internationaux.
2 – Le Plan Darcos s’articule autour de cinq mesures d’urgence avec :
- L’ouverture de négociations sur le stress dans toutes les entreprises de plus de 1 000 salariés avant le 1er février 2010 ;
- La demande aux Directions Régionales des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi (DIRECCTE) de publier, sur leur site internet et sur celui des services de l’Etat, le résultat des négociations et la liste des entreprises de plus de 1000 salariés où ces négociations n’auraient pas abouti. Les directeurs régionaux devront aussi organiser des séminaires pour repérer et exposer les bonnes pratiques aux partenaires sociaux ;
- La mise en place d’une politique d’information dans les PME et les TPE avec l’aide de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail et l’Institut de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelle ;
- La création d’une structure auprès du directeur de la direction générale du travail pour permettre, dès le 1er février 2010, aux directeurs régionaux de signaler les cas les plus sensibles ;
- L’exigence que dans le domaine des risques psychosociaux l’Etat soit exemplaire.
3 – Les DIRECCTE remplacent les anciennes Directions régionales du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle (DRTEFP) et Directions départementales du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle (DDTEFP). Les DIRECCTE sont donc des unités décentralisées. Le ministre du Travail, lors de son discours du 9 février 2010, a souligné l’importance des DIRECCTE en rappelant qu’elles constituent « un guichet unique au service de la réussite et de la performance de nos entreprises ». Les missions principales d’une DIRECCTE sont de « relayer sur le terrain la politique présidentielle et gouvernementale de revalorisation de l’emploi » et de « mettre en œuvre les priorités du Ministère du travail (comme mettre en place un plan d’action contre le stress, mettre en œuvre le deuxième plan santé au travail, réformer les services de santé au travail) ».
4 – Le principe de la prévention primaire est d’agir directement sur les causes ou les sources des risques psychosociaux présentes pour les réduire ou les éliminer.
5 - Le principe de la prévention secondaire est d’aider les individus à développer des connaissances et des habiletés pour mieux reconnaître et gérer leur réaction face au stress. Le dépistage précoce serait l’une des interventions possibles de prévention secondaire.
6 – Le principe de la prévention tertiaire est la prise en charge des individus en souffrance. Elle vise à limiter les complications, séquelles et récidives après un problème de santé. Elle cherche à favoriser la réadaptation et la réinsertion sociale et professionnelle.