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Unreal

Par Ledinobleu

Jaquette de l'édition française du jeu vidéo UnrealÀ bord du vaisseau pénitentiaire Vortex Rikers, le prisonnier 849 et quelques autres détenus sont transférés. Soudain, le navire échappe à tout contrôle et s’écrase sur un monde fort peu connu : Na Pali. Quand 849 reprend connaissance, le champ de force de sa cellule est hors service. Ainsi, 849 peut-il se frayer un chemin à travers l’épave où résonnent des cris qui ne sont pas tous humains, jusqu’à l’extérieur où l’attend un paysage giboyeux et luxuriant comme un jardin d’Éden…

Mais il y a bien une ombre à ce paradis, car Na Pali est aux mains des Skaarjs, une race de reptiles conquérants et sanguinaires… Au-delà des Chutes de Nyleve, à travers les mines de Rrajigar et le sanctuaire de Chizra, par l’Arène Noire et le temple de Vandora, jusqu’à l’épave de l’ISV-Kran et plus loin encore, 849 se taillera un chemin vers le Havre de Na Pali afin de rejoindre le vaisseau-mère des Skaarjs, seul endroit de la planète où il trouvera un vaisseau pour quitter ce monde, jadis un nirvana mystique mais à présent un enfer de ruines maudites que même les dieux ont abandonné…

Unreal est le parfait exemple de l’entreprise collaborative à l’époque de la génération internet. Au départ un simple « projet personnel » de James Shmalz, qui fondera plus tard Digital Extremes, il a pris peu à peu de l’importance jusqu’à devenir au fil des ans – de 1994 à sa date de sortie en 1998, un délai de développement considéré comme très long à l’époque – un titre à la fois emblématique mais aussi le produit d’une technologie offrant des avancées fondamentales dans le domaine de la 3D en temps réel : en bref, le plus sérieux concurrent de Quake, et surtout de sa séquelle Quake II sortie à peine un an avant Unreal. Et cette réussite magistrale ne fut pas le fruit du hasard, mais bel et bien le résultat des efforts combinés de créatifs de grand talent.

L’internet balbutiant de l’époque, et ses premières communautés tout autant embryonnaires, permit à ces gens de se trouver et de collaborer à distance pendant un certains temps, jusqu’à ce que les délais annoncés se voient dépassés et que l’éditeur GT Interactive demande à tout ce beau monde de se réunir en un seul et même endroit pour enfin travailler sérieusement ; ce qui n’est jamais que le lot de la plupart des artistes professionnels : des journées, puis des semaines, et enfin des mois de travail dès la première heure du jour jusqu’à la dernière du soir, voire du matin, sans aucun week-end ni jour fériés bien sûr, afin de terminer ce qui avait été commencé et aussi, plus important, promis – petite précision pour faire réfléchir ceux d’entre vous qui se laissent bercer par les sirènes de l’industrie du jeu vidéo alors que celle-ci n’a en fait rien de plus rose que n’importe quelle autre ; pourquoi serait-elle plus humaine d’abord ?

Mais ils accouchèrent d’une légende, qui devint par la suite une des franchises les plus en vue de l’industrie du genre. Légende qui repose sur deux éléments principaux. Le premier, d’ordre technique concerne son moteur de rendu, l’Unreal Engine, qui fut le premier à permettre une 3D en temps réel proposant des couleurs vraies – c’est-à-dire un affichage en 16 bits au lieu de 8, ce qui augmente considérablement la profondeur des visuels – et donc des environnements très colorés, au contraire de la plupart des productions du genre FPS de l’époque – ce qui était pour le moins revigorant. À ceci s’ajoutent des originalités telles qu’un environnement tout en 3D, des matériaux complexes et aux textures multiples, un rendu optimisé pour la profondeur de champ afin de représenter de vastes paysages, et enfin une intelligence artificielle résolument novatrice.

Ce tout dernier élément permit d’ailleurs de donner forme à une des caractéristiques principales d’Unreal : les Botmatchs. Il s’agissait de parties multi de match à mort… en solo : l’intelligence artificielle du titre permettait en effet au joueur de trouver un challenge comme on en avait alors jamais vu dans le domaine des FPS, à travers des adversaires artificiels dont les performances dépassaient très largement celles de la plupart des entités croisées au cours de l’aventure solo de n’importe quel autre titre du genre – même les pires boss. Ce qui était pour le moins original mais aussi, hélas, nécessaire car les lacunes importantes du net code d’Unreal rendaient le jeu en ligne presque impossible ; voilà pourquoi l’option de jeu solo en coop tourna vite court et resta boudée par les joueurs en dépit, encore une fois, de l’innovation indiscutable qu’elle représentait à l’époque.

Si tout ceci paraît pour le moins anecdotique de nos jours, c’est néanmoins cette « quincaillerie » qui permit de donner à Unreal toute la patte artistique responsable de son succès, au moins en partie. Au départ un simple monde médiéval fantastique de plus esquissé par James Schmalz, l’univers d’Unreal s’enrichit peu à peu sous l’influence des nouveaux-venus dans le projet – c’était l’époque, bien révolue à présent, où une seule personne pouvait encore influencer le développement d’un titre – et s’orienta progressivement vers un environnement de science-fiction où la « magie » de la planète extraterrestre devenait la possibilité de combiner l’ancien et le moderne dans tout ce qu’ils ont de plus dépaysant à offrir – d’une manière, d’ailleurs, qui rappelle beaucoup l’œuvre de Jack Vance sous de nombreux aspects, mais celle d’autres auteurs aussi.

Dans Unreal, vous trouverez des paysages luxuriants et des mines de Taridyum, des temples en ruines et des épaves de vaisseaux spatiaux, des villes érigés sur des astéroïdes et des forteresses hantées par bien des démons. Et si l’intrigue ne se montre pas toujours très claire, vous pourrez néanmoins la reconstituer, au moins en partie, à travers divers hiéroglyphes, messages et journaux de bord disséminés sur votre chemin jusqu’au vaisseau-mère des Skaarjs ; ainsi apprendrez-vous petit à petit ce que ces extraterrestres belliqueux trament sur Na Pali et pourquoi ils ont soumis les indigènes pacifistes et mystiques de cette planète en fin de compte bien plus mystérieuse qu’elle en a l’air… et surtout, vous comprendrez ce que ces autochtones attendent de vous, car votre rôle sur ce monde est en fait écrit depuis très longtemps – comme dans tous récits qui se réclament du médiéval fantastique – : voilà pourquoi il sera bienvenu de ne pas tirer sur tout ce qui bouge, ou alors vous risqueriez de rater des choses… intéressantes.

C’est cette dimension épique qui caractérise Unreal, qui fait sortir ce titre des limites des jeux vidéo de science-fiction de l’époque pour le pousser à s’aventurer dans celui du conte, de la fable qu’on raconte lors d’une veillée – mais pas aux enfants. En juxtaposant des éléments a priori incompatibles, Unreal se réclame de quelque chose de voisin du postmodernisme – je veux dire par là la réduction de l’ensemble des valeurs culturelles et artistiques établies au cours de l’Histoire au rang de simples produits au sommaire d’une liste dans laquelle il suffit de se servir – ce qui, au reste, n’a rien de bien novateur à l’époque puisque de nombreuses productions du jeu vidéo depuis les années 80 au moins présentaient des amalgames semblables – amalgames qui existaient d’ailleurs depuis longtemps dans certains secteurs culturels de l’imaginaire, et que popularisèrent des titres tels que Métal Hurlant dès les années 70.

Toute la différence avec Unreal tient dans ce que celui-ci les rendaient enfin palpables, ou plutôt – pour être plus précis – leur donnaient une consistance visuelle et sonore qui leur conférait une crédibilité unique : la technologie frisant le révolutionnaire de son moteur de rendu permettait de donner à ces concepts radicalement différents – et parfois même antagonistes, tels que le passé et le futur, ou la magie et la science – un réalisme jamais vu, et ainsi de transporter effectivement le joueur sur la planète Na Pali pour lui faire vivre l’aventure. Unreal est comme un rêve éveillé, une quête de jeu de rôle devenue réalité – non que ce genre de choses n’existait pas déjà mais il n’avait jusque-là jamais atteint un tel degré d’immersion…

Preuves en sont les très nombreuses compositions de Michiel van den Bos et Alexander Brandon, sans oublier Andrew Sega – alias Necros – et Dan Gardopée – alias Basehead – qui fonderont plus tard Straylight Productions. Ces artistes issus de la demoscene créèrent une bande originale unique, qui exploitait la moindre goutte des capacités sonores de l’Unreal Engine pour conférer à ce jeu une ambiance toute à la mesure de sa vastitude : les mélopées aux souffles traditionnels s’y mêlent à la techno et au rock industriel comme aux percussions tribales, en un tout somptueusement hétérogène et envoutant, qui a l’immense privilège de savoir décoller de l’œuvre pour laquelle il a été créé afin d’exister par lui-même. Chapeau bas.

Impossible de conclure sans évoquer une autre innovation, elle aussi d’envergure, qui caractérise ce titre : la distribution du logiciel de création de niveaux UnrealEd avec le jeu lui-même. Une des intentions des développeurs ayant été de vendre leur moteur de rendu à d’autres studios de développement, il fallait rendre celui-ci attractif : en « donnant » à la communauté des fans les moyens de créer leurs propres maps et mods, ils s’assuraient d’une part un prolongement de la durée de vie de leur titre, et d’autre part laissaient à des amateurs le soin d’exploiter les capacités du moteur qui n’avaient pu être incluses dans le jeu lui-même pour toutes sortes de raisons – c’est-à-dire d’en faire la promotion.

UnrealEd est vite devenu l’un des ciments de la communauté Unreal : par la possibilité qu’il laissait à ses utilisateurs de créer leurs propres « mondes » interactifs, d’une manière à la fois fluide et conviviale, il s’assura une longévité qui perdure encore de nos jours – même si la version actuelle diffère considérablement de celle d’origine bien sûr. Au point d’ailleurs que ses créateurs lancèrent vite un concours international destiné – officiellement – à récompenser les meilleures créations des amateurs, et – officieusement – à assurer la promotion de leur technologie et donc leur salaire…

Succès commercial oblige, l’aventure Unreal ne s’arrête pas là : le récit sera poursuivi, complété, approfondi,… et d’une manière qui ne satisfera pas tout le monde bien évidemment, d’une part à travers une extension développée par Legend Entertainment sous le titre Unreal Mission Pack 1: Return to Na Pali, qui reprendra au point précis où Unreal s’arrêtait, et d’autre part avec la série des Unreal Tournament puis Unreal II.

Mais, comme il se doit, ce sont d’autres histoires…

Notes :

Le trailer d’époque présenté ci-dessus ne reflète en rien, ou très peu, les immenses qualités visuelles et sonores d’Unreal.

Ceux d’entre vous désireux d’en savoir plus sur la genèse du titre se pencheront avec bonheur sur l’article Blinded By Reality: The True Story Behind the Creation of Unreal, chez GameSpot.

Bien que le développement d’Unreal soit abandonné depuis longtemps, des amateurs se sont vus confié par les créateurs originaux du titre le droit de proposer au public des patchs pour perpétuer la compatibilité du jeu avec les machines actuelles.

Si Unreal reste très difficile à trouver dans sa version d’origine, de nombreuses rééditions sont néanmoins disponibles : Unreal Gold (2000, augmentée du Mission Pack 1: Return to Na Pali), Totally Unreal (2001, augmentée de Return to Na Pali et d’Unreal Tournament) et Unreal Anthology (2006, augmentée de Return to Na Pali, Unreal Tournament, Unreal II et Unreal Tournament 2004).

Unreal
Digital Extremes & Epic Games, 1998
Windows et MacOS, entre 5 et 10 € (occasions seulement)

- le site officiel de la franchise Unreal
- des sites non officiels : BeyondUnreal (en), Unreal.fr
- un site francophone de ressources pour UnrealEd : Unreal-Design

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