En principe, sauf à recourir à un contrat de mandat qui hôte toute liberté au vendeur, il est interdit à un fournisseur de décider du prix auquel un marchand vendra son bien auprès du consommateur final. C’est un principe essentiel de la libre concurrence, qui connaît toutefois une exception en matière de livres. La loi Lang du 10 août 1981 impose en effet que les éditeurs fixent le prix de vente au public de leurs ouvrages, sans que les vendeurs puissent y déroger, de manière à ne pas donner aux grandes chaînes de distribution un avantage sur les petits libraires de quartier. Mais la loi ne s’applique pas aux livres numériques.
Dans un avis du 18 décembre 2009 (.pdf), l’Autorité de la Concurrence s’était montrée très réservée sur l’opportunité d’étendre le dispositif aux livres numériques. »L’Autorité de la concurrence estime qu’il est primordial de permettre aux acteurs d’innover et de tester le marché, et par conséquent de ne pas mettre en place de façon prématurée un cadre qui pourrait se révéler trop rigide ou rapidement obsolète, et qui risquerait au final de ralentir le développement du marché« , prévenait-elle. Elle avait expliqué que les objectifs de la loi Lang, en particulier celui de ne pas tuer les petits libraires de quartier qui assurent la couverture culturelle du territoire, n’a pas de sens dans l’univers numérique. Elle avait demandé une période d’observation d’au moins un à deux ans avant de prendre toute décision, mais jugeait de toute façon qu’une régulation par la loi ne serait viable »qu’à condition d’être mis(e) en place à l’échelle internationale et notamment communautaire« .
En janvier 2010, les conclusions de la mission Zelnik sur le développement de l’offre légale suggérait d’étendre la politique du prix unique aux « livres homothétiques », c’est-à-dire aux reproductions numériques quasi identiques des livres papier. Mais la proposition était jusqu’à présent restée lettre morte.
Ce sont deux sénateurs, Catherine Dumas (UMP) et Jacques Legendre (UMP) qui la reprennent dans une proposition de loi déposée la semaine dernière. M. Legendre étant le Président de la commission des affaires culturelles du Sénat, le texte a de très fortes chances d’être examiné en séance plénière et d’arriver un jour à l’Assemblée Nationale. Alors que la plupart des propositions de lois issues du Parlement sont des textes avant tout politiques, sans grande rigueur juridique, celui-ci a été très travaillé.
La proposition de loi dispose ainsi que « toute personne établie en France qui édite un livre numérique dans le but de sa diffusion commerciale est tenue de fixer un prix de vente au public« , qui « peut différer en fonction du contenu de l’offre, de ses modalités d’accès ou d’usage » – c’est-à-dire qu’en fonction des droits encadrés par les DRM, le prix peut varier (notamment s’il est possible d’en faire une copie, de l’imprimer, etc.). Ce prix fixé par l’éditeur « s’impose aux personnes établies en France proposant des offres commerciales de livres numériques au détail« .
On perçoit là la principale faiblesse du texte. Par souci de respecter le droit communautaire, il ne s’applique qu’entre éditeurs et marchands établis en France, ce qui permettra aux vendeurs étrangers de proposer les livres moins chers que dans les boutiques en ligne françaises.
Le texte veut aussi ne viser que les livres homothétiques. Il demande au gouvernement de définir par décret ce qu’est un livre numérique concerné par le prix unique, mais précise qu’il devra s’agir d’une « oeuvre de l’esprit créée par un ou plusieurs auteurs, commercialisé sous forme numérique et ayant été préalablement publié sous forme imprimée ou étant, par son contenu et sa composition – à l’exclusion des éléments accessoires propres à l’édition numérique -, susceptible de l’être« .
Dans quelle mesure la proposition de loi permettra-t-elle à un éditeur comme InLibroVeritas de continuer à publier ses livres gratuitement sous une licence libre Creative Commons qui autorise sa reproduction y compris à titre commercial ? Un beau casse-tête en perspective.
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