Arbres en souffrance
ANDANTE MAESTOSO
LE TRILLE
Tout là-haut, il y a une fenêtre à tabatière, et un trille :
un des oiseaux de la maisonnée au-dessus de ma tête – cette
toute petite colonie d’habitués que nous possédons
parmi les plus riches trésors du voisinage, grâce à
leurs mares et leurs mangeoires pour oiseaux de passage.
Devant nos yeux, une ligne de collines, une ligne de nuages :
ils s’enlacent, un mariage en quelque sorte, avec mécanisme
de hauts et bas – comme tout mariage, tout amour. Sombre jour
de bonheur. Pluie en abondance, ici. Il n’y en a pas eu,
de pluie, depuis un millier d’années nous semble-t-il, nez
sec, gorge sèche, fumée dans les yeux pour des semaines.
Jamais, disent les gens d’ici, jamais ça ne respire, mais ça coule à seaux.
Quand les incendies ont pris il y a un mois,
à partir des trois États, celui du nord, celui
de l’ouest, et le nôtre de l’autre côté de la ligne des crêtes – fumée
montant en nuage, lumière d’apocalypse, étouffement
dès le matin. Il y a un signe chez les arbres,
comme s’ils portaient un habit de deuil,
leur habit de brun desséché,
un signe prophétique : morts au milieu des vivants, ceux
qui se languissent du déplaisir et ancien et futur,
ceux qui vont s’endormir sans espoir de réveil.
On sort avec la chienne, et c’est comme si un monde,
un monde allait finir, comme si la bombe [la bombe, oui,
vous vous souvenez] avait fini par tomber. Et pas
une fleur au jardin de toute l’année, pas une seule
fleur pour séduire le cœur en sécheresse. Mais, tout là-haut,
le trille. Comprendre ! Comprendre là quelque chose
à la fin : comment il se fait que tout est donné. Que tout
se développe, et où cela mène, à quelle fin –
là où tout semble sans fin [sans dessein final, sans
téléologie]. Le trille de l’oiseau, est-ce un simple trille ?
Un simple trille, et à jamais achevé ? Dans un avenir d’incendie ?
Dans cet abyssal présent ? En chute verticale vers
quelque concrétion, quelque étoffe de réalité là-dessous qu’il
n’est pas possible d’atteindre – et il s’en tient là, ce
trille [là, se tient ?], non : en suspens, plutôt, en suspens
dans le repos de l’éternité sans repos de l’air. Et donc, oui,
là-haut, ce trille. Si cela m’est impossible, la vie,
la joie, en son rire de plus ancienne habitude – du moins
ce bec. Que l’oiseau vive, ait sa joie, signifie qu’il existe
quelque dessein dans l’absence de dessein.
Aucun mouvement vers l’avant. Désespoir,
de ne pouvoir avancer malgré vos efforts. Cependant, tout
marche. Parfois, savez-vous, le poème ne
peut s’arrêter : d’un jour sur l’autre, don de fragments.
Nathaniel Tarn, poème est extrait du recueil Ins and outs of the forest rivers, traduction inédite d’Auxeméry.
par Auxeméry
Nathaniel Tarn dans Poezibao :
bio-bibliographie, extrait 1, ext.
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