Manifeste pour un cours Nouveau

Publié le 13 septembre 2010 par Valabregue

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L'humanité est aujourd’hui devant un choix qui détermine son avenir. Un choix qui requiert l’engagement de chacune et chacun et qu'il nous faut assumer collectivement. Sous l'impact d'un système aveuglément productiviste et violemment inégalitaire, le train du progrès déraille. Il faut de toute urgence le remettre sur une autre voie. C'est le sens de l'engagement des écologistes et leur responsabilité, ici et maintenant : ils refusent d'assister passivement au scénario d'une nature qui meurt, de sociétés qui se désagrègent, d'une civilisation qui recule ; ils veulent, en association avec les forces vives de la société, tracer une nouvelle ligne d'horizon et construire les chemins qui y mènent.

La logique de création et de redistribution des richesses est brisée. Retournement inédit qui, d'un même mouvement, précipite prédations du vivant et déchirures sociales, déséquilibres et discriminations, pollutions et récessions. Ce bouleversement majeur épuise les ressources aussi bien qu'il creuse les inégalités et qu'il déprime les consciences, dressant la biosphère contre les hommes et les hommes entre eux. Au point que le spectre d'un collapsus historique sans précédent hante l'avenir : celui d'un déclin écologique, économique et social ouvrant l'ère de la catastrophe humaine.

Néanmoins, l'espérance n'est pas forclose.

En même temps émerge une aspiration grandissante à refuser la défaite de l'homme. La secousse planétaire est trop forte pour qu'elle ne produise pas des réactions salutaires. Une multitude d'initiatives déviantes entame le modèle dominant. C'est l'autre visage de la mondialisation et il concerne tous les peuples, toutes les cultures. De nombreux acteurs et actrices de la société et des communautés locales cherchent des issues. Ce sont souvent des gens de peu, ceux que la crise fragilise en premier. Ils résistent, s'organisent, innovent, multiplient les initiatives. Chacun à leur façon, dans leur discipline, leur quartier ou leur village, ils esquissent les contours d'une alternative porteuse d'avenir. Des hommes et des femmes luttent et s'engagent, et c'est le seul espoir tangible, le seul point d'appui pour inverser le cours des choses.

Le choc

Car les crises n'ont plus de limites. Elles guettent et surgissent dans tous les domaines de l'environnement et des activités. Elles se cumulent et s'alimentent pour mettre à nu un système en déroute. Nous sommes parvenus à ce moment clé où la croissance, moteur de l'histoire moderne, a atteint la frontière du possible. L'insoutenable est là, inscrit dans les réalités physiques de la planète et les souffrances des populations : les modes de production et les standards de vie, indexés sur l'imaginaire de la démesure et la boulimie des privilégiés, soumis à la surenchère de la marchandisation et de l'endettement massif, entraînent une consommation de ressources excédant leurs capacités biologiques de renouvellement. Elles provoquent un déséquilibre majeur des fondamentaux de la vie.

Les conséquences sont sans appel : modèles économiques et pactes sociaux ne résistent pas aux sols qui s'épuisent, aux fleuves et aux mers qui se dépeuplent, aux forêts qui reculent et aux déserts qui avancent, aux séquences brutales d'inondations et de sécheresses, à la disparition des biotopes et des espèces, à l'empoisonnement des airs et des eaux.

Déjà, dans les prémisses du chaos énergétique, climatique, alimentaire et sanitaire, dans la mise à sac des biens communs et publics que les contorsions grotesques des mécanismes financiers et marchands provoquent, un nouveau monde émerge avec ses vrais gens en proie au manque de tout. Produit du développement dominateur des pays industrialisés et du mode de vie gaspilleur de ses populations, l'injustice environnementale étend une main de fer sur la planète. Une nouvelle question sociale surgit de la raréfaction des ressources vitales et de la déstabilisation des équilibres naturels. Laquelle vient s'ajouter aux plaies déjà ouvertes par la machine à fabriquer des inégalités. Le cumul crée un choc inouï. Il se traduit, dans les pays du Sud, par la multiplication, à échelle massive, des cas de misère, de famine, d'épidémies, de bidonvilles, de migrations, de pénuries, de chômage, de mal vie. Et, dans les pays du Nord, par l'extension de la précarité, la dilution des solidarités, l'explosion des frustrations, des anxiétés et des détresses psychologiques.

L'impuissance

Le cours des choses est criminel. Voilà pourquoi nous devons le changer.

Face au déferlement des crises et aux défis colossaux qu'elles posent, le capitalisme n'est plus capable d'opposer cette force de résilience qui promettait aux peuples la fin de l'histoire. Au contraire, il apporte chaque jour la preuve de son impuissance à surmonter l'endettement, à fournir de l'emploi et à réduire l'empreinte écologique.

Où sont passées les promesses d’une évolution du modèle, d’un capitalisme qui remettrait enfin la finance à sa place et penserait le long terme ? Derrière le rideau de fumée des discours et des faux serments, la griffe des puissants continue d'étendre ses ravages.

Le socialisme étatique, de son coté, a fait tragiquement long feu, définitivement sorti de l'histoire par l'exercice du réel, incapable de faire le lien entre ses valeurs et la pratique du pouvoir. Si elles affirment désormais clairement leur rejet des totalitarismes, les forces de gauche n'osent pas une pensée du XXIe siècle qui incarnerait enfin la solidarité entre les peuples et les générations, le refus des inégalités, la régulation du marché, le respect de l’homme pour l’homme et pour la planète.

Les deux grands courants idéologiques engendrés par la révolution industrielle, le libéralisme économique et le socialisme étatique que les partis de droite, de gauche ou leurs avatars ont décliné triomphalement pendant deux siècles, sont désormais à bout de souffle. Malgré leurs différences, fondées sur un enracinement social historiquement opposé et des valeurs souvent contradictoires, ils se montrent pareillement désorientés sur l'essentiel, saisis d'impuissance face à l'effondrement du credo productiviste qu'ils partagent. Celui-ci ne constitue-t-il pas leur matrice commune ? Forcer la nature pour développer les forces productives, diffuser l'enrichissement, chacun à sa manière, produire plus pour consommer plus et stimuler la croissance. Une logique qui a fait ses preuves dans le grand bond en avant du développement mais qui aujourd'hui, justement, ne marche plus.

Reste un bateau ivre. Plus personne n'a de prise sur le cap ni ne maîtrise des événements devenus imprévisibles, que ce soit dans les domaines énergétiques, sanitaires, financiers, climatiques, écologiques, alimentaires, sécuritaires, migratoires, économiques ou sociaux. Aucune force politique, aucun mouvement social, aucun courant de pensée n'est en état de proposer des remèdes qui ne soient pas seulement des béquilles d'accompagnement de la dépression. Ni de dessiner un projet de société dont la crédibilité et l'attrait survivraient aux slogans électoraux. Les pesanteurs du système, la complexité des enjeux, le désarroi des consciences, la démobilisation des esprits, la fragmentation sociale et la schizophrénie des individus, le poids des fétiches technologiques, des addictions consuméristes et des croyances marchandes, les aliénations quotidiennes, la radicalité des décisions à prendre installent un sentiment de mal être et d'insécurité généralisé. Alors, face au vertige, les replis identitaires et réactionnaires s'affirment de plus en plus. Peurs, violences, conflits, exclusions, nationalismes, xénophobies, racismes reviennent en force. La tentation d'un retour aux âges obscurs frappe à la porte de la modernité. 

La vérité oblige à dire que la tâche apparaît gigantesque, tant il y a de murs qui se dressent et de fossés qui se creusent. Comment échapper à l'irréversible des déséquilibres déjà introduits dans la biosphère, comment interrompre la course suicidaire au productivisme sans provoquer une récession encore plus grave, comment réguler un marché mondialisé fait de milliards d'injonctions spontanées et désordonnées, comment maîtriser sans l'étrangler le désir propre à l'homme qui le conduit à se dépasser et à se perfectionner en même temps qu'à s'exonérer dangereusement des limites de la planète et de la raison, comment trier entre ce qui est possible et ce qui ne l'est plus, comment sortir d'un monde où les uns souffrent de manquer de l'indispensable tandis que d'autres sont soumis aux délires du consommer trop, comment s'émanciper d'un système dont les aliénations sont plébiscitées, comment faire du mal un bien et renverser la crise en une chance pour la planète, les êtres humains et la démocratie ?

Certains abdiquent pendant que le plus grand nombre désespère. Une immense chape de plomb pèse sur la société, colonisant les esprits et les lois, imposant une sorte de sur moi culturel paralysant où chacun a le sentiment d'être engagé dans une impasse mais dont personne ne sait ou ne veut sortir. Pour échapper au malaise et espérer changer d'horizon, il manque une vision du futur, un élan de ressaisissement collectif, un désir commun de révolte, la dynamique d'une espérance. L’intuition collective qu’il faut changer de modèle existe même si elle n’est pas ou peu portée par les élites. Il reste à imaginer comment le faire et le faire vraiment pour incarner une autre vision de l’avenir au niveau national, en Europe et partout dans le monde.

Ainsi les écologistes doivent-ils assumer une césure fondatrice. Nous vivions dans un monde que nous pensions infini et nous considérions les êtres humains comme une ressource à exploiter, une ressource limitée par des « aptitudes innées » ou des places sociales affectées définitivement à l’arrivée sur terre de chaque individu. Nous savons aujourd’hui que le monde est fini. Et nous faisons le pari que les richesses de l’être humain sont infinies. Pour gérer la finitude de la planète, de ses ressources matérielles et énergétiques, nous misons sur l’infini des ressources humaines. Nous croyons que l’éducation, la culture, la formation et les échanges respectueux entre les êtres constituent notre véritable énergie pour le futur. Nous croyons que ce choix est le seul qui puisse nous sauver.

L'offre

Au coeur de ce désastre, la métamorphose est possible.

Elle ne viendra pas d’en haut – ou alors ce sera probablement que le pire n’aura pas été prévenu – mais, au contraire, du foisonnement des initiatives citoyennes, pour autant qu’elles fassent réseau, qu’elles se renforcent mutuellement et progressivement, dessinant ainsi une alternative au modèle dominant. Elle a besoin d’une nouvelle force qui soit à la fois sa traduction et son débouché politique. Dans ce moment historique, la responsabilité de cette nouvelle offre politique échoit aux écologistes.

   - Son objectif : la mutation écologique de la société.

La nouvelle offre politique propose de transformer progressivement les structures collectives et les mentalités individuelles. Elle s'applique aussi bien aux activités qu'aux comportements, aux modes de production qu'aux manières de vivre, elle modifie les liens sociaux autant que les consommations.

Cette mutation n'est inscrite dans aucun catéchisme doctrinaire ni manuel de guérilla. Elle hérite du poids d'un monde qui n'est pas mort, hérissé de résistances agressives, tout en devant s'engager sans attendre vers l'inconnu d'un monde qui n'est pas né. Elle est confrontée tout à la fois au défi de rompre et de construire : il lui faut se dégager progressivement du système dominant – le  capitalisme, ses mécanismes comme son imaginaire, sans pour autant se priver des entrepreneurs - pour bâtir une société dont le marché ne constituerait plus la colonne vertébrale ; et, en même temps, engager des transitions vers une régulation écologique et sociale où le primat de la durabilité des écosystèmes, des dispositifs économiques, des systèmes financiers et des contrats sociaux s'affirme contre les diktats irrationnels du productivisme et les rapports de production qu'impose le capitalisme. C'est une ardente nécessité de survie pour les hommes et les femmes de ce temps, à commencer par la plèbe des sans terre, des sans toit, des sans eau, des sans travail, des sans revenu, des sans avenir. C'est aussi un choix de vie pour libérer l'être humain de ce qui le tire vers le bas et le désenchante, aliène son libre arbitre et le renvoie sans cesse à sa condition de consommateur.

   - Son outil : l'écologie politique.

La nouvelle offre politique propose un lieu de rassemblement, de pensée et d'action. Il est destiné aux hommes et aux femmes qui partagent le même souci du monde et des autres, la même indignation face à la logique d'apartheid planétaire dans la répartition des ressources, la même recherche sans tabou d'une alternative crédible à la méga-machine productiviste, marchande, hyper consumériste et aliénante qui conforte l'oppression et l'exploitation des plus fragiles.

L'écologie politique ne prétend à aucune conception théologique de la vérité. Elle s'attache à préserver et à enrichir le bien commun et l'intérêt collectif. Pour y parvenir, elle ne s'imagine ni en parti du grand soir, ni en négociatrice des petits matins frileux. Contre l'omnipotence du tout marché ou du tout autoritaire, elle affirme l'intransigeance de son horizon de transformation. Mais, pour y parvenir, elle choisit la longue marche de la réforme tolérante, les compromis de la régulation librement consentie, la convergence démocratique des convictions réunies. Passerelle entre les nécessités de la biosphère et les besoins sociaux, elle se propose de construire l'espérance d'un nouveau modèle de développement en libérant les énergies, les innovations et les créativités humaines pour rendre désirable une société réconciliée avec elle-même et son environnement, pour conduire une évolution pacifique du possible au souhaitable.

En ceci, l'écologie politique ne se revendique que d'elle même. Elle affirme sa propre identité comme une réalité politique irréductible aux représentations du monde qui ne sont pas les siennes et qui, souvent, la contredisent. Son autonomie n'est pas affaire de caprice ou d'orgueil. C'est sa nature.

Les écologistes sont des hérétiques en rupture avec le culte dominant de l'économisme, du scientisme, du consumérisme. Ils s'opposent aux dogmes productivistes hérités de la révolution industrielle et des Trente Glorieuses, aux croyances du sans limite, aux zélateurs du découplage avec la nature. Ils sont étrangers aux idéologies néo-libérales ou archéo-socialistes qui s'obstinent à ignorer les raisons de la crise d'un modèle de développement pulvérisé par les faits. Ils refusent tout ce qui contribue à consolider l'aveuglement dans l'imaginaire collectif. Ils s'opposent mais, dans le même temps, ils proposent leur propre cohérence fondée sur une autre vision. L'écologie politique n'a pas vocation à devenir la branche supplémentaire d'un arbre, aussi vénérable fut-il, elle est un arbre, autonome, alternatif, un arbre qui entend faire forêt.

-   Son patrimoine : les valeurs de l'humanité

La nouvelle offre politique propose de s'appuyer sur le meilleur de l'aventure humaine. Elle ne part pas de rien. Elle puise ses sources dans les valeurs constitutives du patrimoine de l'humanité telles qu'elles ont été conquises de haute lutte par les mouvements ouvriers, paysans, féministes, régionalistes et progressistes : liberté de conscience, libertés publiques, égalité des droits et des devoirs entre tous les êtres et tous les genres, refus de l'oppression et des discriminations, solidarité entre les personnes, les peuples et les générations, équité économique et sociale, dignité inaliénable de chaque être humain, responsabilité, autonomie et libre arbitre, respect des minorités quelles qu'elles soient, impératif de justice, primat du droit et de la démocratie, priorité à l'éducation, sollicitude aux autres, altruisme, non violence, laïcité, tranquillité publique, licence à la création artistique.

La nouvelle offre de l'écologie politique assume l'héritage de toutes celles et de tous ceux qui ont lutté pour l'émancipation des hommes et des femmes. Elle s'affiche en bouclier des meilleures traditions de la civilisation - celles qui signifient l'appartenance à une commune humanité, au delà des intérêts de classes ou de castes, celles qu'il faut toujours défendre et approfondir, celles à partir desquelles de nouvelles valeurs pourront s'enraciner et une autre société émerger.

Elle se revendique clairement de la tradition universaliste qui considère que tout être humain, quel que soit le lieu où il est né ou la couleur de sa peau, a les mêmes droits au bonheur, à la solidarité de tous, au partage des richesses de la planète. Elle estime que tout ce qui fragmente et divise cette commune humanité va à l’encontre du projet écologiste, et c'est pour cela qu'elle entend dépasser le cadre des Etats-nations pour construire des solidarités européennes et planétaires dans le respect des diversités culturelles et des singularités historiques. A cette fin, elle promeut des logiques de coopération et de résolution non-violente des conflits, à l'opposé de la militarisation des relations internationales, ce qui permet, par ailleurs, de dégager des moyens considérables bien plus utiles à la prévention des drames futurs qu’au maintien d’un ordre international injuste.

 - Sa ligne d'horizon : la société écologique

La nouvelle offre politique propose un projet de contrat collectif. Les crises l'imposent sous peine d'implosion de la planète ; les citoyens du monde en ont besoin sous peine de se déchirer entre eux. Il s'agit d'intégrer impératif écologique et devoir de justice sociale. La société écologique est une société d’inclusion, elle donne sa place à chacun, tout en cherchant à concilier le développement individuel avec l’organisation de l’espace public et du temps collectif.

Dans le cadre du respect sourcilleux des règles démocratiques, une nouvelle ligne d'horizon doit surgir. Elle affirmera un nouveau paradigme conciliant des politiques de durabilité, d'équilibre, de sobriété, de modération avec les exigences d'une société équitable, plus favorable aux faibles et moins conciliante aux puissants, moins inégalitaire et plus solidaire, bienveillante et pacifique. Ce nouveau paradigme devra se décliner dans un corps de lois, de règles et de pratiques reposant en particulier sur l’exemplarité de ceux qui auront la responsabilité de les mettre en œuvre.

La société écologiste pose les fondements d'une organisation économique et sociale d'un autre type : à la démesure, les écologistes opposent la conscience des limites ; aux mécanismes marchands, à la course au profit, aux gaspillages, la régulation des écosystèmes et des besoins sociaux ; à la pulsion dominatrice sur la nature, la sanctuarisation du vivant et de la biodiversité ; au dogme de la croissance infinie, la décroissance des excès ; à la gloutonnerie en énergie et matières premières, la réparation, le recyclage, la réutilisation ; à la gabegie productiviste et avare d'emplois, la reconversion industrielle et agricole ; à la dictature du PIB, les indicateurs de bien être; au libre échange planétaire, la proximité et les circuits courts ; au talon de fer de la concurrence, le commerce équitable et la mutualisation ; au travailler toujours plus, la réduction du temps de travail ; au saupoudrage des minima sociaux, un revenu universel inconditionnel et individualisé ; à la fuite en avant technologique et nucléaire, la réalisation de solutions concrètes, maîtrisables et décentralisées ; à la méthode répressive unique, les efforts de prévention ; à l'endettement et aux dérives du crédit, la prudence et la rigueur ; au règne de l'argent et de l'accumulation, la redistribution et le partage.

La société écologiste établit aussi les principes d'une autre manière de vivre ensemble : au cynisme, les écologistes préfèrent le civisme ; à l'exacerbation des intérêts particuliers et à la privatisation systématique, l'intérêt collectif, les biens communs et les services publics ; à la violence des rapports de force, la négociation et la conciliation ; à la compétitivité, l'accomplissement personnel ; à la concurrence, la coopération ; à l'appropriation individuelle des biens, leur usage fonctionnel ; à l'extension infinie des désirs, des déplacements et des privilèges, le bien être collectif et individuel ; à l'effervescence scientiste, le principe de précaution ; à la foire technologique, l'émancipation ; à l'artificialisation des territoires et des relations, la familiarité et la convivialité ; à la standardisation, la diversité.

La société écologiste mise, enfin, sur l'éducation et la formation tout au long de la vie. Au taylorisme qui isole chacune et chacun dans une tâche reproductible et  déresponsabilisante, elle préfère la promotion de collectifs qui assument ensemble et de manière solidaire des projets partagés. Contre toutes les formes de fatalité et d'assignation à résidence, elle offre à chaque être humain la possibilité d'apprendre, de progresser et de s'engager dans de nouveaux projets. Contre les utopies de la fixité qui font des sociétés des machines à trier et à classer les individus, elle promeut une utopie de la mobilité où chacune et chacun peut se remettre en jeu sans cesse, où l'on ne désespère jamais de quiconque.

Au final, en choisissant une autre hiérarchie des valeurs sans faire table rase du passé, en imaginant un autre monde qui soit aussi de ce monde, la société écologiste  concourt à une métamorphose de la civilisation. Elle privilégie la suprématie de l'être sur la domination de l'avoir, la liberté du sujet sur le conditionnement du consommateur. Elle favorise le mieux par rapport au plus, promouvant ce qui est nécessaire à tous, encourageant ce qui élève, ne sacrifiant plus le long terme aux caprices du présent.

En même temps, la ligne d'horizon d'une société écologiste bouscule et déborde les repères favoris des deux grands courants idéologiques, la gauche et la droite, qui ont façonné l'opinion. Sur le flanc gauche, elle étend la sphère de la solidarité à l'ensemble du vivant et aux générations futures. Sur le flanc droit, elle élargit le principe de responsabilité individuelle en devoir personnalisé de comportement respectueux des biens collectifs et de l'environnement. Elle interpelle la droite comme la gauche pour libérer le concept de développement des chaînes productivistes qui le dénaturent et des aliénations qui le broient. Conjuguant innovation et tradition, radicalité et précaution, nature et société, le projet écologiste concourt au dépassement des catégories progressistes et conservatrices qui, jusqu'à présent, ont monopolisé l'histoire.

Le créneau est étroit. Entre progrès soutenable et décroissance sélective, universalisme et diversité, liberté et régulation, il s'agit de requalifier le progrès en lui donnant le sens de l'humain. En l'incarnant d'ores et déjà politiquement dans un programme de transition dont élus et acteurs écologistes posent les prémisses dans l'exercice de leurs responsabilités.

Le projet

Les chantiers du projet écologiste sont immenses : établir les conditions d'un bien être équitable et respectueux de l'environnement autour du principe de transformation écologique de l'économie et de la société. Cela implique de revisiter de fond en comble les conceptions de la richesse collective, du travail, de la fiscalité, de la production industrielle et agricole, du commerce, des services, de la consommation, de la mobilité, des transports, de l'alimentation, de l'habitat, de l'urbanisme, de l'aménagement du territoire... La conséquence est explosive : la logique dominante d'une augmentation systématique de l'offre économique cède la place à une régulation écologique et sociale de la demande.

En même temps, face aux discriminations et aux ségrégations socio-économiques, ethniques et religieuses, face à la crise institutionnelle et à la remise en cause des libertés publiques, des contre-pouvoirs et des espaces de médiation, il s'agit de développer de nouvelles proximités pour retrouver du lien et du sens collectif, de mettre l’action publique au service de l’intérêt général, de redonner une nouvelle vigueur à la démocratie. Il s'agit aussi d'inverser la courbe du chômage, du sous emploi, des précarités et des inégalités, d'interrompre la course à l'endettement privé et public, de réduire les déficits budgétaires et sociaux en créant les conditions d'un nouveau partage du travail, des ressources et des richesses. Enfin, face à l’égoïsme et à l’incapacité des Etats nationaux, il faut donner une dimension plus forte à l'Europe qui, plus que jamais, reste l'échelon pertinent pour la mise en oeuvre de tout projet majeur de transformation et repenser les modes de gouvernance mondiale.

   - Un projet partagé 

S'ils veulent être au rendez vous des enjeux, les écologistes ne peuvent pas rester entre écologistes et exiger de la diversité de la société qu'elle se mette au garde à vous ou se clone avec eux. Le temps du vase clos des avant-gardes éclairées est fini et c'est heureux. Il appartient donc à l'écologie politique d'être en permanence à l'écoute et d'ouvrir le plus largement possible l’élaboration de son projet à tous les acteurs et actrices sociaux, partis, élus, syndicats de salariés et professionnels, entrepreneurs, enseignants, formateurs, militants associatifs, chercheurs, intellectuels. En effet, étant donné sa complexité et son ampleur, la mutation écologique de la société ne deviendra effective que si elle est partagée par le plus grand nombre. La contradiction des intérêts particuliers, exacerbée par l'extrême fragmentation du corps social, n'a de chance d'être dépassée que si l'ensemble des forces vives s'approprie l'objectif commun et parvient à des compromis dynamiques. La co-élaboration du programme de mutation doit devenir constitutive de la démarche de l'écologie politique.

   - Un projet singulier

L'originalité du projet écologiste ne tient pas seulement à son processus d’élaboration. L’écologie politique porte, fondamentalement, un projet singulier, autonome, alternatif aux visions traditionnelles qui aujourd'hui se fracassent sur la réalité des crises. Il s'inscrit sur un autre registre que celui qui soumet tout choix politique au curseur du libéralisme ou de l'étatisme, reproduisant ad nauseum l'affrontement tribunicien entre le capitalisme et le socialisme, alors que les questions d'aujourd'hui appellent des réponses dépassant les catégories historiquement figées. L'analyse et les propositions écologistes se situent radicalement hors du ronronnement politique classique, fondé le plus souvent sur des postures qui n'ont pas pris la mesure du basculement de l'époque.

C'est ainsi que, pour créer de l’emploi, réduire les inégalités de revenus sans recourir inconsidérément à l'endettement public, les écologistes préfèrent agir pour favoriser les mutations économiques plutôt que d'attendre un retour illusoire de la croissance économique. Pour assurer à chacun et chacune les conditions nécessaires à son bien être, ils favorisent les modalités du vivre-ensemble plutôt que de renforcer la course à la consommation et à la productivité. Pour répondre à la hausse des prix de l’énergie et plus généralement à la raréfaction des ressources naturelles, ils privilégient les technologies du présent par rapport aux méga/nano/bio-technologies d'un futur incertain. A la politique de l'offre, toujours relancée et encouragée aveuglément, ils substituent l'action concertée sur la demande afin de rendre celle-ci compatible avec les contraintes écologiques et les besoins sociaux.

-   Un projet global

Trop souvent les écologistes ne sont ni attendus, ni entendus lorsqu'il s'agit de fiscalité, d'inégalités, d'éducation, de culture, de sécurité, de cités-ghettos, de justice, de diversité... Nombreux sont encore ceux qui les considèrent peu crédibles au delà du coeur de leurs combats : l'énergie, les transports, la lutte contre les changements climatiques, l'agriculture, la protection de la biodiversité ou la réduction des déchets.

L’heure est venue de convaincre que l’écologie politique n'est pas une niche ou une thématique parmi d'autres. C'est une représentation différente du monde, une autre manière de le penser et d’agir pour le transformer. C'est, plus exactement, une réponse politique miroir à l’écosystème de la planète. Cette réponse ne peut être que globale. Il n'y a pas d'activités, de disciplines ou de secteurs qui échappent au prisme de l'impératif écologique et social. Les écologistes doivent donc se montrer capables d'amener la majorité de la société sur leurs propositions en matière d’emploi, de logement, d’éducation, de santé, de tranquillité publique, de culture... Il leur appartient de privilégier la place donnée au projet par rapport à une culture du pouvoir aujourd’hui marquée par une trop forte personnalisation et des affrontements d’appareils plus que de contenu.

   - Un projet désirable

 

Original, singulier et global, le projet écologiste l’est par nature. Il doit aussi se montrer désirable afin de conquérir les coeurs et les esprits et emporter des majorités démocratiques. Créateur de lien social et d’emplois (notamment par le partage du travail, la reconversion des activités dans le sens du durable, la création d'emplois « verts » et le développement d’une économie sociale et solidaire d’envergure), soucieux d'équité et de solidarité, partisan d'un rapport apaisé à la nature et aux autres, porteur d'un mode de vie harmonieux, décidé à imposer un visage humain au développement, il a tout pour le devenir.

Aux écologistes de se montrer à la hauteur. Il leur appartient de montrer, y compris par leur attitude, qu'ils ne sont ni des pères fouettards ni des donneurs de leçons. Et que la vie, avec l'écologie comme colonne vertébrale, n'est pas un chemin de croix. Choix de raison – la conscience des limites -, le projet écologiste doit devenir aussi un choix de coeur – le mieux être et le vivre mieux -.

   - Un projet responsable

Les écologistes sont ni plus ni moins des hommes et des femmes ordinaires. Mais les événements du monde leur confèrent désormais une responsabilité majeure. Il leur faut donc construire un projet responsable, dans la rigueur des faits, la vérité des chiffres et l'ancrage au réel. Il ne s'agit pas de se payer de mots et de consentir aux conduites magiques à coups de « y'a qu'à » mais, au contraire, de se confronter avec les aspérités du terrain et les difficultés du travail de conviction. Questionnement permanent des dogmes, examen des présupposés, identification précise des enjeux, détermination d'étapes clefs transitoires, la méthode ne doit souffrir aucune facilité ou raccourci afin de formuler des propositions crédibles, réalistes et opérationnelles. Avec chaque fois un double souci : celui de leur acceptation sociale et celui de leur adéquation au projet global, c'est-à-dire à la lumière de leur utilité sociale et écologique, sans concession aux leurres de la croissance verte ou du développement durable. 

Cette crédibilité, l'écologie politique la gagnera notamment sur les questions fiscales et budgétaires. Il faut en finir avec l'image des écologistes dépensiers : la solidarité et l’égalité par le haut pour tous et toutes est une question de choix et de priorités, pas d’une croissance permanente de moyens.

La stratégie

La mutation écologique et sociale de la société ne s'imposera ni par le glaive, ni seulement par les élections. Elle ne s'imposera que par la conviction emportée d'une majorité de citoyens. Elle ne se développera que par une mobilisation du plus grand nombre dans des instances démocratiques.

Sans appropriation collective des objectifs de la transformation, l'espérance de changement restera en effet un projet mort-né. L'écologie oblige à des révolutions coperniciennes à tous les niveaux des structures économiques, sociales et institutionnelles. Par leur ampleur, elles nécessitent le soutien de larges majorités partageant les nécessités d'un changement de cap radical. S'il veut réussir, le cours nouveau doit donc imprégner l'ensemble du corps social, en épousant ses différenciations et sa diversité. Il doit ainsi s'incarner dans les manières d'être et de vivre de chacun, sans laisser croire que l'effort est réservé aux autres. Autrement dit, si les gestes quotidiens n'accompagnent pas les réformes, si la révolution des comportements individuels ne relaie pas les bouleversements structurels, si les attitudes et les réflexes se crispent au lieu de se modifier, la mutation échouera. Le projet de l'écologie politique a besoin de l'implication en actes de chacun. Sa complicité avec la société et les individus est décisive.

A droite, à gauche ou au centre, beaucoup se disent maintenant convaincus de l'importance de la question écologique. C'est un effet spectaculaire de l'impact de la crise. Les écologistes n'ont pas de raison de douter de la sincérité des conversions individuelles. Ils s'en réjouissent même. Mais force est de constater que, dans les programmes et les décisions des formations de droite, de gauche ou du centre, l'intégration de la question écologique apparaît plus comme une posture d'opportunité, une concession à l'air du temps, que comme un véritable tournant. Dans les rangs libéraux, sociaux-démocrates, marxisants ou chrétiens-démocrates, la problématique écologique reste majoritairement perçue comme relativement secondaire, une catégorie parmi d'autres, un secteur d'intervention supplémentaire qu'il s'agit d'ajuster dans le corpus programmatique général sans faire obstacle à l'orientation prioritaire, à savoir les politiques de stimulation de la croissance. Lorsqu’ils évoquent un nouveau modèle de développement, les partis traditionnels n'envisagent pas le passage à l’acte concret qui articule l’écologie au social et à l’économique. Ils ne percutent pas sur le caractère déterminant et prioritaire de l'impératif écologique, sa capacité de transformation économique, sociale et culturel. Fossilisés par leur histoire, ils se refusent à accomplir une mue qui les feraient nus,  ouvrant ainsi l'espace au développement politique de l'écologie.

L'écologie politique a donc toute raison de revendiquer son autonomie. Mais autonomie n'est pas isolement. Les écologistes ne sont pas seuls au monde. Leurs formations politiques, quels que soient leurs succès électoraux, ne constitueront jamais des majorités homogènes. Il leur faut donc construire des majorités d'idées en cherchant en permanence des partenariats avec d'autres forces politiques à travers des pactes ponctuels, sectoriels ou régionaux, démarche pouvant se prolonger jusqu'à conclure des accords de gouvernement.

Partout où ils sont, les écologistes ne se contentent pas de dire qu’il faut changer la société, ils le font concrètement, pas à pas : ils le font depuis longtemps dans les différentes familles historiques de l’écologie (la politique, l’associative, la mouvementiste) qui aujourd’hui s’unissent dans la stratégie et l’action, ils le font par leurs militants engagés sur le terrain et par leurs élus porteurs de responsabilités qui ont démontré et démontrent chaque jour comment la volonté politique peut permettre d’atteindre des résultats concrets qui commencent déjà à changer la vie au quotidien et tissent les modèles sur lesquels des politiques plus globales peuvent s’enraciner.

Chaque fois la réalisation d'accords de partenariat avec d'autres forces politiques doit être évaluée en fonction de la place réservée à la transformation écologique et sociale. Les écologistes ne sont pas des hystériques du tout ou rien. Mais, parce qu'ils croient en ce qu'ils disent, ils ne compromettront pas le pivot de leur orientation et le substrat de leur identité pour devenir une force d'appoint, assignée à la sous-traitance ou au supplément d'âme. 

Avec qui engager le mariage de raison ?

A priori tout le monde est convié à la noce. Les écologistes n'exigent de personne des passeports idéologiques si l'accord intervient sur l'essentiel. Mais la réalité politique oblige à constater que l'attachement viscéral des partis de droite aux formes les plus sauvages du libéralisme, vecteur privilégié de l'approfondissement des crises,   système rigoureusement incompatible avec la mutation écologique, rend les rapprochements impossibles, du moins au niveau des alliances électorales. Les écologistes seront toujours disponibles pour appuyer toute mesure qui va dans le bon sens, quels qu'en soient les protagonistes, mais ils ne se laisseront jamais enfermer dans des opérations de dilution de leur projet dans les méandres du capitalisme vert.

Ils dénonceront sans relâche les détournements publicitaires et les agitations médiatiques destinés à faire oublier que rien ne change au pays des puissants. La croissance verte ne sera pas le nouvel opium du peuple.

L'écologie politique est donc conduite à envisager ses alliances avec les partis de gauche. Cela ne va pas de soi. Certes, des sensibilités voisines sur les questions de droits humains et de justice sociale, confortées par des complicités militantes, ont conduit les écologistes à collaborer souvent étroitement avec les forces de gauche. L'écologie politique n'est pas neutre vis-à-vis du clivage droite-gauche quand il s'agit de choisir entre des politiques qui favorisent les privilégiés ou les démunis.

Pour autant, écologistes et socialistes ne sont pas des alliés naturels. Ils n'appartiennent pas à la même histoire, ils n'envisagent pas le même horizon. Marqués comme la droite au fer rouge du productivisme, fascinés par ses fétiches et ses addictions, la social-démocratie et les courants marxistes ne partagent pas l'essentiel du paradigme écologiste. Quant aux écologistes, ils n'ont pas vocation à régénérer une doctrine qui n'est pas la leur en y introduisant un peu de vitamine verte. 

Le champ de la discussion et des convergences est néanmoins ouvert ainsi que l'indiquent de nombreux signaux venus des rangs de la gauche. Mais les frémissements ne font pas une politique et, de la parole aux actes, le changement de cap reste à démontrer. En toute hypothèse, l'écologie politique n'est pas candidate à une union de la gauche où son identité se dissoudrait. Elle est prête à des contrats de partenariats avec la gauche qui aillent aussi loin que possible vers la transformation écologique et sociale de la société.

Dans cet esprit, conscients de leurs responsabilités face aux enjeux du 21ème siècle et de l'urgence à agir,  les écologistes, réunis en Convention à Lyon le 14 novembre 2010, ont décidé de s'unir dans un nouveau mouvement politique. Forts des parcours de chacun, de leurs histoires singulières et des différences de sensibilité qu'ils souhaitent additionner, ils veulent mettre cet outil collectif au service du projet de transformation écologique et sociale de la société afin de réunir les conditions d'une métamorphose porteuse d’une nouvelle politique de civilisation.

Commentaire(s)

Pour qu'un arbre fasse une forêt, ce qui me parait un noble projet il est important de ne pas rejeter les autres espèces. Il y a de belles envolés dans ce texte , mais il est un peu trop angélique et l'utopie de la mobilité reste une utopie. Nous avons besoin de fixe et de mouvant.

Nous avons besoin d'actions de terrain et aussi d'actions impulsées d'en haut.

Il y a encore dans ce texte des races de binaire. Cela réduit sa portée