Liu Bolin
Lagoon City of Venice, 2010
Photograph
h: 120 x w: 120 cm
En plein déménagement, je compte les cartons de livres...c'est lourd et volumineux, y'en a trop!
Cette liberté de pouvoir lire tout ce qui nous tombe sous la main nous parait toute naturelle bien sûr, mais lorsque j'étais en Polynésie ce mois d'août, je me suis penchée sur un récit de Zhu Xiao-Mei, une artiste chinoise qui vécu à Pekin la révolution culturelle de Mao. Elle raconte son entrée au conservatoire de musique en tant que jeune pianiste, puis le changement radical que produit la révolution culturelle de Mao: D'un conservatoire sans partition (les grands chefs d'oeuvres occidentaux sont bannis du programme), le lieu devient bientôt un conservatoire sans musique (le piano devient un objet de la bourgeoisie qu'il faut brûler, les étudiants connaissent alors un lavage de cerveau quotidien durant lequel des séances de dénonciation et d'autocritique publiques sont pratiquées), enfin un conservatoire sans étudiants (on entassera là les centaines de morts résistants au régime).
Rescapée des camps communistes, Zhu Xiao-Mei quitte la Chine pour les Etats-Unis en 1979 puis s'installe en France en 1985 où sa carrière s'élance enfin.
" Enfant, j'ai tout perdu, mais la musique m'a aidée à vivre. [...] Mao avait perçu depuis longtemps le pouvoir de l'art et notamment de la musique sur le peuple. Il savait que les artistes étaient dangereux, questionnant perpétuellement le réel, réclamant toujours plus de libertés, et c'est pour cela qu'il les attaquait [...]. A vrai dire, Mao considérait le savoir en général comme dangereux: son obscurantisme organisé, systématique, extrémiste en témoigne. [...] Sans doute ai-je senti, comme mes compagnons, que le régime nous avait poussés à un point de déshumanisation tel, dans sa folie, que nous ne pouvions aller plus loin. [...] Sur le point d'être transformés en animaux, un réflexe nous a secoués. Au fond de nous, il restait une lueur d'humanité, celle que les régimes totalitaires, qui mésestiment les ressources de l'homme, oublient toujours, pour leur perte.
[...] Notre renaissance à la musique, à l'art en général, a tout changé, pour moi et mes compagnons de camp. [...] La musique nous a laissé entrevoir, dans un coin du ciel, la possibilité d'une spiritualité. Elle nous a réappris à aimer. [...]
Liu Bolin, Hiding in the City #15"Beijing New Art Project"; 2006, photographie couleur, 150*121 cm
Le hasard faisant bien les choses, je découvre quelques jours plus tard dans Beaux Arts magazine, un artiste chinois contemporain, qui a retenu toute mon attention.
Liu Bolin a 37 ans, et n'a de cesse que de se faire disparaître dans les photographies qu'il crée: La série des "Camouflages" (2006) met en scène des corps d'homme et /ou de femme — très souvent aussi le sien — peints, intégralement, des mêmes couleurs que le lieu devant lequel ils posent, si bien que les êtres se fondent littéralement dans le paysage. La réalisation est parfaite, les individus quand on arrive à les percevoir, évoquent une présence fantasmatique, une hallucination.
Cette disparition programmée fait entre autre référence à la persécution des artistes chinois, considérés toujours aujourd'hui comme des "surplus inutile" de la société; La stratégie de résistance idéologique de l'artiste est puissante, et nous questionne d'emblée sur la Chine d'hier et d'aujourd'hui: qu'est ce qui a vraiment changé?
Je râle après mes cartons de livres, mais que je les aime, ces objets de Culture!
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Zhu Xiao-Mei, La Rivière et son secret, éditions Robert Laffont, 2007.
Zhu Xiao-Mei figure aujourd’hui parmi les plus grands interprètes de Jean-Sébastien Bach. Elle enseigne au Conservatoire de Paris.