C'est rare que la disparition d'une personne célèbre me fiche un coup.
Si, j'ai eu les larmes aux yeux quand Guillaume Depardieu est parti. Puis je n'ai pas pu penser à autre chose pendant trois jours quand c'est Jocelyn Quivrin qui nous a quittés. J'y crois toujours pas, en fait.
Mais ce matin, ça m'a fait comme si on m'annonçait le décès d'un proche, quand j'ai appris que Claude Chabrol n'était plus des nôtres. Chabrol, c'est un peu comme mes grands-parents, ils étaient vieux quand je suis née, ils étaient vieux quand j'étais enfant, ado et quand je suis devenue adulte.
C'est le genre de personne qu'on a toujours connu avec ses cheveux blancs, ses taches brunes entre les rides, et ses récits vécus qui traversent les générations.
Ils sont là depuis avant le début, alors on s'imagine pas une seconde qu'il va y avoir une fin. Mais alors pas une seule.
Alors pour moi, Claude Chabrol, c'était LE réalisateur français aux cent films passés, mais aussi aux cent films à venir.
Tous ces films, de la nouvelle vague à aujourd'hui, qui racontent des histoires souvent noires et tordues, mis en scène dans une ambiance glacée qui lui était propre, je ne sais pas pour vous, mais ils me fascinent. Le genre de films qui racontent une histoire, du début à la fin, sans prendre de gants, sans fioriture, tout au naturel. Stéphane Audran, Michel Duchaussoy, Michel Piccoli, Jean Yanne, François Berléand, Isabelle Huppert, Benoit Magimel... faut dire aussi qu'il mettait le paquet pour nous laisser captivés.
Je me souviens il y a quatre ou cinq ans, scotchée à mon banc, à l'observer là, face à moi, sur son canapé installé dans un coin du salon du cinéma à la Porte de Versailles, un micro à la main, nous raconter sa vision du septième art. Pas une mouche ne volait, les gens étaient oreilles grandes ouvertes, yeux ébahis.
Il nous donnait du rêve, à nous les gens qui avions choisi de travailler dans le cinéma parce que c'était synonyme d'illusion, d'oublier la vraie vie pendant les 8 12 heures quotidiennes de labeur, d'être à fond pour fabriquer ce qui allait la faire oublier aux spectateurs, une fois le résultat de notre travail dans les salles.
En clair, il avait la même vision que moi, du cinéma.
Il savait depuis longtemps qu'en réalité elle était tout le contraire, mais il avait la chance de pouvoir s'en foutre et de tracer sa route comme bon lui semblait.
En cela, il me fascinait encore plus.
Depuis, j'ai eu largement l'occasion de prendre la réalité en pleine face, et de redescendre de mon gros nuage, mais j'ai envie, à tout jamais, de garder en tête le
discours de ce passionné qui est certainement un des derniers à avoir pu exprimer dans ses films toute sa liberté de penser.
Du beau Serge à la Fille coupée en deux, en passant par le Boucher ou la Demoiselle d'honneur, je suis sûre de ne jamais me lasser de visionner encore et encore ces histoires filmées si personnellement.
Je suis juste triste, parce qu'il n'y en aura plus de nouveaux. Plus jamais.
Vraiment, je ne m'étais jamais dit qu'il était mortel, Claude.
*** L'ivresse du pouvoir, ce soir, sur France 2 ***