«...La beauté involontaire des animaux et des plantes éclairent un visage de jeune fille. Et nous pouvons bien prendre sa lumière pour un sourire, ou même son huile pour une larme, et nous émouvoir, à condition de bien savoir que ces images nous ignorent, qu’elles sont d’un autre monde, que nous n’avons rien à faire dans ces conciliabules d’ancêtres qui ne sont pas les nôtres.
Nous voulons y voir de la souffrance, de la sérénité, de l’humour, quand nous n’en savons rien. Colonisateurs du monde, nous voulons que tout nous parle : les bêtes, les morts, les statues. Et ces statues-là sont muettes. Elles ont des bouches et ne parlent pas. Elles ont des yeux et ne nous voient pas. Et ce ne sont pas des idoles. Plutôt des jouets, des jouets sérieux qui ne valent que par ce qu’ils représentent. Il y entre moins d’idolâtrie que dans nos statues de saints. Personne n’adore ces poupées sévères. La statue du nègre n’est pas le Dieu : elle est la prière.
Prière pour la maternité, pour la fécondité des femmes, pour la beauté des enfants, elle peut être couverte d’ornements qui ont la valeur des enluminures, elle peut être frustre aussi comme cette boule de terre qui protège la moisson, ou encore lier la terre à la mort par la forme et par la matière.»
in Commentaires, 1961, Chris Marker, Ed. Seuil.
À voir l'exposition à l'Hotel de la Monnaie jusqu'au 2 octobre.
Photo : de l'auteur, exposition Ode au grand art africain : Les statues meurent aussi.