Three Godfathers
John Ford
1948
Avec : John Wayne, Pedro Armendariz, Harry Carey Jr., Ward Bond
Le film débute sur la silhouette d’un homme à cheval, en contre-jour. Il s’agit de Cliff Lyons, posant nonchalamment sur sa selle à la manière de Harry Carey, auquel le film est dédié. Cet hommage à la grande star du muet – « bright star of the early western sky » - morte quelques mois plus tôt, est particulièrement significatif dans le cadre de ce film-ci. D’abord parce que le sang de la star coule dans les veines de l’un des acteurs principaux (son fils Harry Carey Jr. joue dedans quoi…), ensuite parce que Le fils du désert est une énième version cinématographique du roman de Peter B. Kynes, et que Harry Carey avait joué dans deux d’entre elles, la première en 1916 réalisée par Edward Le Saint, la seconde en 1919 réalisée par John Ford déjà, sous le titre Marked Men.
La version de Ford de 1919 est réputée perdue. Celle de Edward Le Saint l’est sans doute aussi. Il est donc difficile de juger sur pièces, mais le fossé technique et narratif qui existe entre le cinéma des années 10 et celui des années 40 est tel qu’il est difficile de parler de remake. Inutile de fantasmer donc sur une virtuelle comparaison entre les deux versions du même réalisateur. Dans les années dix, John Ford et Harry Carey écrivaient leurs scénarios à deux, ils tournaient en quelques jours. En 1948, l’écriture du scénario à lui seul prendra quatre semaines. La différence d’investissement est telle qu’on ne s’étonne pas que tous ces petits films du muet aient été si peu considérés, même par ceux qui les avaient produits, et finalement perdus. Aujourd’hui on s’en mord les doigts. Même tourné à la va-vite dans des conditions de production quasiment à la chaîne, on aimerait bien découvrir ce Marked Men. Mais je m’égare.
Le fils du désert est un film magnifique. L’histoire est magnifique, les acteurs sont magnifiques, la photo est magnifique. Dieu soit loué celui-là n’est pas perdu. Oui, un non-croyant comme moi peut grincer des dents à la parabole chrétienne poussive, mais j’évite de grincer des dents, ça fait sauter les plombages. L’histoire est simple et belle, et notons que selon Larry Langman dans A guide to Silent Western, il y avait déjà un critique en 1916 pour trouver que le scénario et les personnages de la version de Edward Le Saint étaient invraisemblables. Peut importe de toute façon, si le politiquement correct de 1948 fait grincer des dents aujourd’hui, le politiquement correct d’aujourd’hui fera sauter les plombages des mes petits enfants dans cinquante ans. On a tout dit sur le coté volontairement gentil du film, les bandits bien sympas, le shérif (Ward Bond, formidable) qui s’appelle B. Sweet et qui n’est pas payé pour tuer les gens, la bonne humeur et l’absence de réelle violence. On l’a tellement bien dit ailleurs que c’est plutôt l’inverse qui m’a sauté aux yeux. Il y a d’abord le fait que la ville nommée Welcome s’appelait auparavant Tarantula. Il y a ce plan du bandit tenant un biberon d'une main et un revolver de l'autre. Il y a ce revirement du Shérif qui offre une prime à ceux qui abattront les fuyards quand il croit à tort qu’ils ont assassiné la femme et dynamité le puits. Et il y a aussi le personnage de Robert Hightower joué par John Wayne. Ses deux comparses ne sont pas réellement des bandits : Pedro (Pedro Armendariz) n’est qu’un voleur de chevaux, il a eu femme et enfants. The Abilene Kid (Harry Carey Jr.) n’est qu’un bandit en devenir. Mais Robert est un vrai bandit, c’est lui le chef, c’est lui qui monte le coup de la banque, et c’est un dur à cuir, pragmatique et presque insensible. Lorsque le Kid déclare qu’il ne pourra pas traverser le désert, Robert évalue la situation et acquiesce, en l’aidant à déboîter les talons de ces bottes. Lorsque Pedro, avec sa jambe cassée, demande un revolver pour se défendre contre les coyotes, Robert lui laisse son arme et l’abandonne sans se retourner alors qu’il sait très bien qu’il va se suicider. Deux des personnages principaux meurent pour la bonne cause, à l’image du sacrifice des trois canailles de Three Bad Men. Tous ces éléments bien sûr ne démontent pas l’analyse parabolique et gentillette du film, mais ils l’inscrivent dans un registre crédible et plus réaliste qu’on ne pourrait le croire. Et John Ford, connu pour filmer entre les pattes des chevaux, filme les guibolles chancelantes des hommes, les pieds las qui trébuchent dans la rocaille, les visages fiévreux sous le soleil, la poussière qui assèche et étouffe. Aujourd’hui encore, cette traversée du désert n’a pas perdu de sa superbe.
Bien sûr on ne négligera pas la nostalgie qui patine un film et le rend meilleur. Le bébé enduit de graisse de chariot qui avait bien fait rire ma mère, les cactus qu’on décapite pour en récupérer le jus – grand moment de mythologie du désert, les deux fantômes qui suivent John Wayne et qui, dans mon souvenir étaient présents beaucoup plus longtemps. John Wayne enfin, qui entre au saloon, un bébé dans les bras, demandant un biberon et une bière. Si ça c’est pas sublime ! John Wayne qui fait du John Wayne sans vraiment faire du John Wayne, le visage beaucoup plus torturé et moins monolithique que d’habitude, parfois si expressif qu’on a du mal à le reconnaître. Quand il obtient enfin sa bière, on est heureux avec lui, et c’est la grande force de ce film de faire passer autant de moments humains et réels dans un conte fabriqué de toute pièce.
Note : certains osent prétendre que Trois hommes et un couffin est un remake de ce film. Honte à eux :-)
Sources : John Ford par Patrick Brion. John Ford par Philippe Haudiquet
Capture: Western Movies