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Le cadenas, de Funès et moi

Publié le 11 septembre 2010 par Doespirito @Doespirito
«Muskatnuss, Her Muller ! Verstehen Sie ? Muskatnuss !» Ah... Cette scène du film “Le Grand restaurant”, avec Louis de Funès en patron obséquieux avec les clients et tyrannique avec son personnel, expliquant en allemand sa recette fétiche de soufflé à la pomme de terre à un convive d’Outre-Rhin, cependant qu’une ombre facétieuse lui dessine les mèches et la moustache reconnaissables entre mille d’un Führer plus vrai que nature, en pleine transe oratoire… Cette scène est tout simplement éclatante. J’aurais bien envie d’aller m'en resservir, tiens. Je vous explique.
Ma fille vient d'entrer en sixième dans un collège que je ne nommerai pas, parce que ce n’est pas la question, ils sont tous à mettre dans le même sac. C’est le cas de le dire. Quand elle était en primaire, cette enfant a porté pendant des années un cartable lourd comme une enclume. On se disait que ça serait mieux au collège, car les élèves ont des casiers pour entreposer une partie des livres. Eh bien pas du tout… C’est bien pire. Deux fois pire exactement. D’abord, ils ont plus de cours, donc autant de livres par cours. Les matières  (Français, Maths, etc.) sont disséminées dans la semaine, donc il faut avoir les livres tout le temps sous la main. Vous me direz, ils ont des casiers. Parlons-en des casiers…
Cadenas-Barrettes-pt En bon parent d’élève, parmi d’autres fournitures improbables, j’ai dû acheter un cadenas pour fermer le casier. A l’aveugle, parce qu’on ne m’a donné aucune instruction. Pourtant, il y a cadenas et cadenas. On a d’abord acheté un cadenas simple, avec code à chiffres et une sorte d’ouverture à mousqueton, vendu à Monoprix 5 euros. Ma fille m’a dit qu’elle n’arrivait pas à l’enclencher dans la fermeture du casier. 2e essai : je suis allé chez le papetier du coin, pas du tout spécialisé dans la chose. Mais lui, rater une vente, ça lui flanquerait la tuberculose. Donc notre commerçant de proximité est allé fouiller dans sa réserve et, soi-disant pour me faire plaisir (soi-disant…), il m’a dégotté un cadenas  made in Taïwan à 2,5 €. Une merde pour 2,5€, ça donné, non ?  On est vraiment des abrutis, par moment… 
Eh bien pour 2,5 € la merde, j’en ai vraiment eu pour mon argent. Les clés sont toutes petites, elles vous chatouillent les doigts quand vous essayez de les rentrer dans la serrure du cadenas, serrure aussi grosse que le chas d’une aiguille. C’est juste agaçant. En plus, elles doivent être en fer blanc, car elles se tordent dès qu’on force un peu. Et on force assez vite, car le cadenas est du genre récalcitrant. Il faut tirer le crochet vers le haut pour le dégager et tourner la clé dans la serrure en tirant dans l’autre sens. J’ai mis un bon moment à trouver le tour de main. Résultat, ma fille a failli se prendre une heure de colle car elle n’arrivait pas à ouvrir le cadenas alors que le cours commençait.


Je suis du genre obstiné. Je suis alors allé chez un représentant Fichet-Bauche. Là, mon vieux, ça rigole plus. On est dans le cadenas haut de gamme, le tombeur des Dalton, celui qui a ridiculisé Houdini. Spaggiari et tutti quanti. Cinq générations d’as de la cambriole ont été épuisés sans venir à bout des tests de certification de ce petit teigneux en alliage granit de Ploermel-carbure de tungstène trempé, chromé à la main, garantie à vie. Un chalumeau oxhydrique offert à chaque client pour les cas où ils oublieraient leurs codes.

Rapetous Le gardien de Fort Knox a mis le même à la porte de son cabanon de jardin dans le Delaware. C’est pour vous dire la confiance. Il ne supporterait pas qu’on lui fauche sa brouette achetée chez Home Depot. Le représentant Fichet-Bauche ne ferme même plus son magasin, le soir. Il met juste la photo du cadenas sur la porte et ça tétanise les malfrats. Ça leur rappelle que leurs parents sont entre quatre murs à perpèt’ à la Santé avec de la quincaillerie similaire posée sur les lourdes de leurs cellules. Non, vous me pardonnerez mon lyrisme échevelé, mais le cadenas Fichet-Bauche, c’est pas du matos pour les fiottes. C’est du cadenas qu‘on se lègue de père en fils, en se chuchotant le code sur son lit de mort, un bijou à trois chiffres à faire sangloter Arsène Lupin, avec notice explicative et service après-vente 7/7. J’ai payé 16,50 € sans rechigner. Et je suis ressorti pas peu fier, salué par les vendeurs au garde-à-vous, aux accents martiaux du «Régiment des fromages blancs».


 Poids_en_fonte_(10_kg_jusque_50_g) Le soir même, ma fille m’a dit que tout ça ne servait à pas grand-chose. Le temps d’ouvrir et de fermer le cadenas est trop long, de toutes façons, quel que soit le cadenas. Et puis les livres, elle les ramène à la maison, car ils ont des devoirs, figurez-vous. Bilan : trois cadenas achetés en pure perte, 24 € dépensés pour des prunes, des casiers qui ne servent strictement à rien, et un sac d’école qui pèse toujours ses 10 kilos au bas mot. Rapporté au poids d’un adulte, un prof dans le secondaire, par exemple, ça ferait comme s’il se coltinait 20 kilos sur les endosses, sur le chemin de l’école à la maison, matin et soir, entre les cours, dans les escaliers et avant et après la cantine, dans le métro, dans le bus…
Je suis sûr que si on leur demandait de trimballer ça sur le dos une seule journée, les profs et l’administration finiraient par trouver une solution. Mais là, des gamins et des gamines de 11-12 ans… Qu’est-ce qu’on s’en branle ! Ils ont le choix entre 10 kilos dans le sac à dos et une heure de colle, et basta ! Alors oui, que les responsables de cette incurie portent ces sacs plombés une seule journée, pour voir. Quand ils monteront les escaliers pour la 5e fois de la journée, je les attendrai en haut des marches et je les accueillerai d’un sonore : «Muskatnuss, Her Muller ! Verstehen Sie ? Muskatnuss !». Je me comprends.


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