L'Etat est le garant du Bonheur individuel. Il peut avoir recours à tous les moyens, y compris les plus définitifs, pour en faire bénéficier les citoyens.
Article 3 de la Constitution
Pour la plupart des analystes, le sentiment amoureux pour un parhumain est à placer sur le même plan que les pratiques fétichistes. On l'interprète généralement comme un signe d'immaturité. Le sujet, inapte; à diriger son désir sur un être réel, le projette sur un objet qui imite et contrefait l'humain et dont la charge fantasmatique est, à ce titre, considérable. Cette confusion – éminemment pathologique – entre l'original et sa copie doit être l'objet de toute l'attention du praticien et suppose une thérapie adaptée.
Traité de psychiatrie clinique, Dr Alain Cardon, Editions des GMR
Alors, quand je vous disais que ce monde là avait tout pour plaire ! Seulement, cet avis ne fait pas l'unanimité : un scientifique s'est amusé à jouer à Dieu le Père en trafiquant la dernière génération de parhumain, les Delta 5. La fonction de ces derniers était à la base de se transformer en Père Noël et de faire une surprise de choc à nos chères têtes blondes en passant par la cheminée ou tout autre passage un peu... étroit. Dorénavant, libérés de leurs mouchards, dotés de capacités physiques incroyables et à même de se transformer en ce que bon leur semble, l'équilibre des Grandes Nations est mis en péril. Heureusement, le ministère de la Sûreté intérieure qui a pour charge de veiller par tous les moyens à la préservation du Bonheur, dispose d'un agent redoutable, Alexis Decked. Ses états de service parlent pour lui. Il ne faut donc pas s'inquiéter.
Faites tourner, faites passer. C'est l'envie que l'on a en refermant ce livre qui mériterait une bonne tartine de superlatifs. Il me faudra pourtant résister à les utiliser car ils risqueraient alors de perdre de leur impact. Aussi je ne vais m'attarder que sur la mécanique de Felicidad, l'un des romans inaugurant la nouvelle collection poche pour ados des éditions Gallimard jeunesse, Pôle fiction (le livre étant initialement paru ici).
Il n'y a aucune difficulté à immerger dans la société dépeinte par Jean Molla. Le saut dans le futur qu'il exécute n'est pas vertigineux et les éléments qu'il apporte pour familiariser le lecteur avec celui-ci évoluent de concert avec l'histoire elle-même. De fait, je n'ai jamais eu l'impression d'avoir à subir une construction trop hachée, avec un discours descriptif d'un côté et, de l'autre, la fiction. Tous ces éléments s'imbriquent aisément, de manière à vous emporter très vite. Où ? Je ne vous l'ai pas dit ? Dans un monde mervei... effroyable – je reprends mes esprits - qui n'est pas sans rappeler ces dictatures où, pour le bien du Peuple, on a pu l'endormir puis véhiculer, voire appliquer, les idéologies les plus nauséabondes. Ici, les Bonheur à vous, lancés de manière mécanique résonnent comme des saluts d'un autre temps et dans lesquels résonnaient l'omnipotence d'un Pouvoir. Le Pouvoir, la marche du Pouvoir, ses rouages, ses dérives, la place de chacun dans la société, la vision de l'autre et l'accpetation de ses différences, Jean Molla aborde toutes ces thématiques sans céder à la simplicité ou à l'angélisme. Sous couvert de polar science-fictif, qui bien sûr fait penser à Blade runner (mais aussi, en ce qui me concerne à un vieux jeu sur amiga dont je ne parviens plus à me souvenir du nom...), l'auteur décrit un monde sous lequel on devine l'impact du passé, la marche du présent et une interrogation légitime pour un futur en gestation. Qui plus est, il le fait avec une histoire bien ficelée et des personnages aux apparences... trompeuses. Comme quoi, il faut toujours se méfier de tout, non ?
Merci une fois de plus à Brize pour m'avoir fait découvrir ce livre. Sa chronique est par là.
Faites passer, faites tourner !