Beaucoup de romans sont inspirés de faits divers (j'emploie à regret cette expression bien commode, tout en sachant qu'elle recouvre parfois des drames humains qui sont d'une terrible importance).
Je pense inévitablement à mon cher Stendhal qui a puisé dans un tel fait l'inspiration de son roman Le rouge et le noir.
Tout récemment j'ai fait une recension sur ce blog de Canines, roman écrit par Janus ici. Mais, dans ce dernier cas, hormis le personnage du détective, qui est à l'évidence fortement romancé, l'auteur, plutôt que de littéralement s'inspirer du fait, en a comblé les lacunes, si on peut appeler "lacunes" les pans d'ombre entiers laissés volontairement de côté par une enquête judiciaire ... qui n'était pas au-dessus de tout soupçon.
La veuve du Christ , paru chez Fayard ici, d'Anne-Sylvie Sprenger relève du procédé stendhalien et non pas de l'investigation janusienne. L'auteur s'est visiblement inspiré de la terrible histoire de Natasha Kampusch qui vient justement de publier son autographie cette semaine sous le titre 3096 Tage, comme le nombre de jours de sa captivité.
Comme Natascha, Lena a été enlevée par un homme qui l'a sequestrée pendant de nombreuses années, huit ans dans le premier cas, environ dix ans dans le second. Les deux enfants, puis jeunes femmes, ont subi des violences physiques de la part de leur geôlier.
Natascha a été confinée dans une cave, Lena dans une buanderie. Par moments l'une comme l'autre pouvait déambuler dans le reste du logement de leur ravisseur. Elles ont même fait sur le tard des escapades à l'extérieur en sa compagnie.
Les deux histoires diffèrent cependant. Natascha s'est enfuie et Wolfgang, son ravisseur, s'est suicidé après son évasion. Lena n'a pas cherché à s'enfuir et n'a été retrouvée qu'après le suicide du sien, prénommé Victor, dont le sort a fini par inquiéter son employeur. Natascha dénie s'être fâchée avec ses parents. Lena ne voudra pas les revoir après sa "libération".
Natascha n'a pas voulu évoquer de détails intimes sur elle et Wolgang. Anne-Sylvie Sprenger, au contraire, ne nous cache rien des rapports sexuels entre Lena et Victor. C'est même la matière essentielle de son roman, dont le titre, à première vue, sans l'avoir lu, peut paraître provocateur... et l'est peut-être au fond.
En l'occurrence le Christ c'est Victor, un homme dont les singuliers parents lui ont inculqué une conception très XIXème siècle de la religion, qui, dans ses manifestations, relève davantage de la singerie du Christ que de son imitation et où le sexe prend une place trouble et dévoyée, qui en fausse l'exercice et lui donne une tournure vicieuse sous prétexte de pureté.
Un jour, ce qui devait arriver, après tant d'années passées ensemble, arrive. Lena et Victor deviennent amants. Leur histoire, qui aurait pu prendre un heureux tournant, en dépit des circonstances pénibles, préalables à la naissance de leur authentique amour, aura un dénouement épouvantable. Car Victor, par peur, refusera de changer les conditions de leur cohabitation.
Acculés dans une impasse Lena et Victor n'envisagent plus que la fuite en avant. Mais Victor reculera :
"L'enlèvement, la séquestration, les coups, tout. Elle aurait tout accepté de lui. Mais pas ça. Pas ça. Lena ne lui pardonnera jamais d'être un lâche."
Victor devait l'avoir compris puisqu'il choisira l'issue fatale, en solitaire, pour échapper à ses responsabilités pressenties.
Une fois "libérée" Lena sera prise en charge dans un établisssement hospitalier. Le moins qu'on puisse dire est que le personnel, à l'instar des parents, ne comprend rien à ce qui est arrivé à Lena et qu'il aura tout faux à son sujet, sur toute la ligne, ce qui conduira à un véritable désastre, que confirme d'ailleurs l'épilogue équivoque.
On reçoit ce livre comme un coup de poing, bien ajusté. Il est court, mais ne vous laisse pas indemne, parce qu'il est malheureusement crédible. Je ne suis pas sûr qu'un homme aurait parlé avec autant de psychologie du sort tragique de cette enfant, devenue jeune femme au fil du roman. Anne-Sylvie Sprenger a bien réussi son coup... dans une langue qui ne laisse aucune place à l'esquive.
Francis Richard