Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’on n’attendait pas Xavier Beauvois, réalisateur du Petit Lieutenant, dans les recoins d’un monastère. En adaptant librement les dernières années de la vie de moines cisterciens établis en Algérie dans les années 1990, le cinéaste surprend tout le monde. Loin d’une quelconque critique de la post-colonisation, aux antipodes d’une reconstitution chiante de la vie monastique, Des Hommes et des Dieux est simplement un grand film, justement récompensé par le Grand Prix du Jury au Festival de Cannes…
1993. Sept moines français installés dans un monastère reculé, au fin fond du Maghreb, vivent en paix avec les musulmans. Jusqu’au jour où un groupe islamiste provoque la terreur dans la région. Partir ou rester ? Autour de cette hésitation qui s’impose bientôt à Christian (Lambert Wilson) et ses frères, le réalisateur Xavier Beauvois contourne d’emblée la leçon d’Histoire. Décrit avec justesse dans les premières scènes du film, le contexte historique n’est qu’un point de départ vers une réflexion beaucoup plus universelle – à l’image du titre du film. Entre les murs austères du monastère, dans la pureté intemporelle des chants cisterciens, Des Hommes et des Dieux dépasse la problématique religieuse (on notera les pluriels respectifs). Le dilemme est avant tout moral. Politique. Humain.
Il est ici question de vie sociale, bien plus que de vie religieuse. Xavier Beauvois se concentre à la fois sur le rapport des moines entre eux et sur celui des moines avec la population maghrébine. Les personnages de Christian, leader de la communauté monastique, et de Luc (Michael Lonsdale), médecin du village, rassemblent autour d’eux les enjeux de fraternités soulevés. Qu’est-ce qu’une communauté ? Comment puis-je me construire dans ma relation avec autrui ?
Autour des acteurs, la mise en scène, lente et austère, se départit de tout artifice narratif. Empruntant tant au western pour les plans larges extérieurs sur les paysages de l’Atlas qu’à l’iconographique chrétienne, le film s’éloigne du réel en voyant ses plans construits comme des tableaux. L’image joue sur les symétries, les équilibres, les éclairages naturels. Essentiellement contemplatif, le film trouve avant tout sa force à l’image.
Le talent de Xavier Beauvois s’impose ainsi dans quelques magnifiques idées de montage, conjuguant simplicité et puissance dramatique. Parmi elles, une séquence éloquente, qui confronte le bruit tumultueux d’un hélicoptère et le chant liturgique des moines. Ou encore la scène du « dernier repas », d’une grande intensité, dans laquelle la musique extraite du Lac des Cygnes (profane !) remplit une fonction émotionnelle inattendue. Sans oublier les dernières images du film dans la neige et le brouillard, d’une rare audace, à la fois suggestive et métaphorique.
Jamais démonstratif, lyrique tout en restant sobre, Des Hommes et des Dieux est un film aussi juste dans son propos qu’audacieux dans sa démarche artistique.
En salles le 8 septembre 2010
Crédits photos : © Mars Distribution