Ce second passage de L’Enfant de Noé met l’accent sur l’un des personnages secondaires, ami du narrateur, gamin mal poussé qui souffre de ne plus avoir de parents et qui parle souvent de sa mère, belle et plantureuse pianiste, comme les autres, déportée...
A la fin du roman, Rudy retrouve enfin la « grande femme souveraine, à la poitrine majestueuse, aux prunelles bleu acier, aux cheveux noirs interminables, riches et drus »... Elle est devenue une petite femme malingre, affamée, déformée par les mauvais traitements... « Il n’avait plus devant lui sa mère autoritaire mais une fillette qui ne voulait pas lâcher sa gamelle ».
A l’issue de cette scène, Rudy parvient malgré tout à obtenir de sa mère qu’elle lâche son assiette et vienne s’installer au piano : « Elle vacilla, se rattrapa au cadre, puis observa le clavier comme un obstacle qu’elle devait vaincre. Ses mains s’approchèrent, timides, puis s’enfoncèrent délicatement dans l’ivoire ». Et ce moment de grâce au piano décrit comment ce « fantôme de mère » retrouve peu à peu sa chair grâce à la musique.