Affaire Logistep: l'adresse IP fait bien partie en Suisse de la sphère privée

Publié le 11 septembre 2010 par Francisrichard @francisrichard

Le Tribunal fédéral a rendu son verdict le 8 septembre dernier : la société Logistep n'avait aucun droit de recueillir de façon automatisée des adresses IP d'internautes présumés coupables d'infractions aux droits d'auteurs via des réseaux Peer to Peer, P2P [pair à pair].

Logistep ici est une société suisse basée à Steinhausen, dans le canton de Zug. Elle est spécialisée dans les solutions contre le piratage des données. Le hic est qu'elle emploie des méthodes dignes de celles qu'elle prétend combattre.

En effet, à leur insu, avec ou sans mandat d'ayants-droit, Logistep recueille les adresses IP de présumés coupables de téléchargements (qu'ils partageraient avec d'autres internautes), en utilisant des logiciels de son invention. Une fois constitués ces listings, elle les vend aux titulaires de droits d'auteurs. Le package comprend une lettre-type de règlement amiable et l'adresse d'un cabinet d'avocats complaisant, et menaçant.

Des milliers de mises en demeure ont ainsi été envoyées en France et en Allemagne à des internautes. Un grand nombre d'entre eux ont préféré payer quelques centaines d'euros plutôt que de risquer de se retrouver devant la justice et de devoir acquitter des dédommagements de plusieurs milliers d'euros. Appliquant, par ignorance, l'adage : "Mieux vaut un mauvais arrangement qu'un bon procès".

Seulement Logistep, ce faisant, a enfreint la loi helvétique actuelle. En avril 2007 l'association suisse Razorback ici, qui dirigeait le plus gros serveur P2P au monde, représentée par l'avocat valaisan Sébastien Fanti,[dont la photo provient de son site ici] a demandé au Préposé fédéral à la protection des données ici de se pencher sur les activités de ladite société [voir mon article "Alcatraz numérique", de Sébastien Fanti ].

En janvier 2008, le Préposé fédéral, Hanspeter Thür, dans une recommandation, demandait à Logistep de mettre fin à ses recherches dans les réseaux P2P "tant que le législateur n'aurait pas élaboré une base légale pertinente". Comme Logistep a refusé de suivre cette recommandation, le Préposé fédéral l'a poursuivie devant le Tribunal fédéral administratif. Curieusement, le 27 mai 2009, ce dernier donnait raison à Logistep ici :

"Le TAF considère toutefois que la fin justifie les moyens. Car il n'y a guère d'autres possibilités permettant de lutter contre cette forme de piratage. Il ne serait pas acceptable de fermer les yeux et de permettre aux internautes coupables d'actes de piratage d'éviter toute action en justice." [Le Matin du 4 juin 2009].

Le Préposé fédéral a alors fait recours devant le Tribunal fédéralLa veille des délibérations de celui-ci, le 7 septembre 2010, on apprenait que Logistep était défendue par la future Préposée à la protection des données du canton du Valais, Ursula Sury, qui entrera en fonction en 2011 ici. Ce qui, à juste titre, faisait bondir Sébastien Fanti :

"Ce mélange des genres est scandaleux. Cette femme est, incontestablement, sous influence. Elle prétend, contre tous les spécialistes du domaine, que l'adresse IP n'est pas une donnée personnelle. Elle est en porte-à-faux avec son homologue fédéral."

Le Tribunal fédéral a donné raison au Préposé fédéral et à Sébastien Fanti ici :

"Dans son arrêt du 08.09.2010, le Tribunal fédéral à Lausanne a admis que les adresses IP constituaient des données personnelles et relevaient, comme telles, de la loi sur la protection des données. Il a également considéré, à la majorité de ses membres, que les recherches effectuées secrètement par des entreprises privées afin de collecter des adresses IP étaient illicites, aucun motif suffisant ne justifiant une telle pratique. Le jugement fait interdiction immédiate à la société Logistep SA de collecter et de transmettre des données personnelles ; elle doit donc mettre fin à tout traitement de données dans le domaine du droit d'auteur."

Cela ne doit pas être considéré comme un encouragement aux téléchargements illicites :

"Le Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence souligne que l'arrêt de ce jour n'entend pas protéger les auteurs d'infractions. Il faut assurément pouvoir réprimer les violations des droits d'auteur sur Internet. La loi sur la protection des données n'assure aucune protection contre les actions illégales. Cependant, la poursuite doit être conforme à la loi et le présent arrêt du Tribunal fédéral pose une limite précise à la recherche arbitraire de données relevant de la sphère privée sur Internet."



N'en déplaise au Tribunal fédéral administratif, la fin ne justifie pas les moyens dans un Etat de droit.

Logistep est susceptible maintenant de poursuites pénales... et devrait déménager en Allemagne ou à Dubaï.

Francis Richard