Pardon de commencer un peu comme la majorité : mais oui, l’attente fut longue. Parce que jamais je n’avais autant attendu la suite de la discographie d’un groupe. Depuis l’énormissime claque reçue en 2003, je le voulais, ce disque. Enfin.
Évidemment, avoir attendu à ce point augmente d’autant, et même plus encore, les espoirs en ce nouveau Massive Attack. Et quand on parle d’attente et d’espoirs, les mots déception et satisfaction arrivent tous deux, sans qu’il soit possible de savoir lequel va l’emporter. Il n’y a pas de match nul, mais bel et bien une double victoire : les deux, à divers niveaux, viennent gêner la première écoute, ainsi que les suivantes.
Faire une pause : voilà la solution pour ne pas s’imposer un avis ou un sentiment totalement bouleversé par l’empressement que l’on a de vouloir aimer ou détester l’album.
C’est chose faite, moins de deux mois après les premières écoutes, la coupure imposée, et la réécoute d’anciens morceaux (« Live with me » ou « False flags »), de Mezzanine et, surtout, de 100th Window, puis à nouveau d’Heligoland.
Le bilan ? Le voici.
Mon unique déception pourrait être qualifiée de mathématique : oui, les chiffres. 7 ans d’attentes pour (seulement) dix titres, alors même que le groupe en a enregistrés près du double. Peut-être davantage.
Vous l’avez compris : Heligoland répond alors et en tout point à vos espérances. C’est-à-dire, aussi paradoxal que cela soit, que jamais le groupe n’allait revenir avec un disque tel que nous l’aurions imaginé. Car il y en a pour chacun, pour tous les goûts (enfin, je parle uniquement de ceux qui s’étaient retrouvés dans l’un ou plusieurs des quatre premiers albums).
Tout le monde est d’accord que le retour de Grant ’Daddy G’ Marshal apporte de la chaleur au désormais duo, même si Horace Andy n’a jamais délaissé le micro sur aucun des cinq opus. J’y pense ici : Mushroom est parti, manque, mais réussit tout de même à se faire oublier de par la qualité et le nombre des artistes présents. Malgré tout, un éventuel retour serait à coup sûr la meilleure nouvelle que l’on puisse apprendre sur le groupe.
L’EP sorti en amont avait permis de patienter un peu, mais à quel prix : deux des dix titres déjà dévoilés, ainsi que deux remixes en dévoilant deux autres. Était-ce là une envie de la maison de disque ? De toute façon, seuls cent petits veinards ont la chance de posséder le fameux vinyl.
Heligoland : je tourne autour depuis un moment. Loin d’être un bijou à mes yeux ou à mes oreilles, certains titres sont cependant de vraies pépites.
« Pray for rain » et « Splitting the atom ». Le premier, parce qu’il ouvre très joliment le disque, sur une musique calme et à l’ascension lente, avant de retomber sur ses pieds. Le second, parce que c’est un titre assez léger aux premiers abords, mais qui convainc ensuite de par la sagesse dont il est emprunt.
« Girl I love you » et « Paradise circus ». Deux titres absolument dans la lignée de ce que l’on a pu entendre ici ou là chez Massive Attack entre 1991 et 2003. Dans la lignée, mais avec une production encore plus dépouillée, plus fluide, plus maîtrisée : comme pour la majorité des titres d’Heligoland, Massive Attack s’accroche à ses propres racines pour mieux grandir le son qui en fait un groupe unique et inimitable. Bien que « Paradise circus » soit immédiatement appréciable, c’est « Girl I love you » qui déchire littéralement le disque dès le premier quart d’heure.
« Babel » et « Psyche ». Martina Topley-Bird, qu’on ne présentera pas, pose sa voix. Ou plutôt, la prête. C’est ce dont on se rend compte quand on entend « Psyche » où celle-ci (la voix ou Martina?) est toute trafiquée, presque déshumanisée, sur cette musique faite de sons qui tournent, se bouclent, mais avancent tout de même vers un but, un horizon, horizon dont on a réellement l’impression de s’approcher…
« Flat of the blade », ou le morceau que tout le monde espérait, car personne ne l’attendait. C’est déroutant, trop calme, la voix semble surnager le tout. Cela demande des efforts. La formule semble la même que dans « Pray for rain », pour ce qui est de la composition… Mais l’ambiance, les impressions sortent de nulle part. Et nous laisse quelque part, mais où ?
Le morceau le moins évident s’enchaîne à celui qui semble avoir été fait pour ravir ceux qui ne connaîtront d’Heligoland que « Paradise circus », ou découvriront l’album grâce à ce certes magnifique mais tellement commercial morceau (impossible pour moi de ne pas anticiper sa future utilisation forcément irrévérencieuse). Ce morceau est trop parfait, trop beau : il en deviendrait presque futile.
La fin du disque est tout aussi mouvementée : Rush minute nous offre un sublime écho à « False flags » et à 100th Window. « Saturday come slow » permet à Damon Albarn de se faire entendre, alors qu’on ne pouvait que deviner la présence de sa voix en 2003 sur « Small time shot away ». Ne vous laissez pas tromper : musicalement, c’est bien du Massive Attack ; mais cette voix colle trop à ses groupes dont notamment Gorillaz, et la présence de guitare rajoute à cette ambiguïté. Poussez un peu sur les basses, et vous entendrez que Massive Attack fait du Massive Attack, quel que soit l’artiste qui l’accompagne.
« Atlas air » clôt le tout de par sa langueur, et nous laisse entendre un titre de ceux qui ont été interprétés par le groupe lors de leur tournée pré-Weather Underground… hmm, pré-Heligoland. Et, comme pour faire taire tous ceux qui ont médit et maudit 100th Window, c’est Robert ’3D’ Del Naja qui semble finir seul l’album, sur le morceau le plus long, le seul à dépasser les sept minutes (d’ailleurs, je suis certain qu’il rentrerait parfaitement sur 100th Window, en ultime position).
Voilà. Tout ça pour ça. Un album qui n’a pas encore vécu assez pour être un chef-d’œuvre. Il ne le sera peut-être jamais. Une chose est sure, il répond parfaitement, non pas à nos attentes, mais à celles du groupe : oui, on dirait bien que ces gars-là n’en font qu’à leur tête. Et s’il y a une chose dont presque tout le monde pouvait douter, c’était d’un tel retour en force. Pourtant, les concerts donnés depuis plus de cinq ans nous l’annonçaient. Pire encore : la suite pourrait être encore plus terrible. Qui dit mieux ? Personne.
2010. Heligoland. Massive Attack.