Le ministre de la Santé Roselyne Bachelot a dévoilé les grandes lignes de son projet de révision des lois votées en 2004. Jamais, une telle loi n’avait suscité autant d’intérêt dans la population et il faut saluer l’initiative du gouvernement d’avoir associé dès 2008 les citoyens français à sa révision. De forum en conférences, ils ont eu l’occasion de mieux en comprendre les enjeux et les difficultés de sa cohérence avec nos principes [1]. L’orientation suivie par le gouvernement mêle satisfaction et inquiétude, n’étant pas remise en cause l’« autonomie » de la loi de bioéthique, comme si l’éthique biomédicale était définitivement sans maître. À la lumière de cette « autonomie » de la loi, nous examinerons les quatre grands sujets qui se dégagent du projet : l’assistance médicale à la procréation (AMP), le DPI ou diagnostic préimplantatoire, la recherche sur l’embryon et le don d’organes.
L’« autonomie » des lois de bioéthique
En premier lieu, nous pouvons déjà noté que la révision sera minime, sans nier la gravité des modifications proposées. Pierre Le Coz, vice-président du Conseil consultatif national d’éthique déclarait au Quotidien du médecin le 6 septembre dernier : « L’esprit de la loi est bien celui de l’autonomie, au sens étymologique du terme, c’est-à-dire de l’autorégulation ou de l’autolimitation… » C’est bien le problème.
Depuis nos premières lois de bioéthique de 1994, celles-ci s’organisent comme un ensemble de normes juridiques indépendantes de notre corpus juridique, oubliant un peu vite que « le principe de dignité de la personne humaine paraît être le principe éthique structurant des lois de bioéthique [2] ». Le législateur de 1994, suite à une décision du Conseil constitutionnel, avait affirmé ce principe pour le fixer dans le Code civil [3].
Cependant, ce principe de valeur constitutionnelle n’avait pas été retenu pour les embryons conçus in vitro, c'est-à-dire, hors du corps de la femme, puisque « seul, il n’a pas le potentiel de devenir une personne [4] ». Autrement dit, la loi qui se protège pour ne pas protéger l’embryon, s’autorisait une première anomalie en oubliant que l’embryon conçu in vitro n’est pas destiné à rester dans une coupelle de laboratoire puisqu’il a été conçu pour répondre à une demande parentale.
Le législateur se contentait de fixer des contraintes de procédure comme la limitation de la création d’embryons surnuméraires et l’interdiction de concevoir des embryons à des fins commerciales, industrielles ou pour la recherche.
Le principe de dignité « structurant » toutes nos lois était donc contourné, comme nos principes juridiques fondateurs depuis la Déclaration universelle des droit de l’homme de 1948, la convention d’Oviedo du Conseil de l’Europe sur la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine, et signée par la France le 4 avril 1997 et enfin la Charte européenne des droit de l’homme de 2000 [5].
Par le jeu des exceptions ou des dérogations, l’autonomie des lois de bioéthique s’affranchissait du droit national et international. En d’autres termes, le législateur inventait une éthique du vivant, élaborée par consensus, hors des références de notre corpus juridique. C’est ce que certains députés exprimaient se demandant où mettre le « curseur », c’est-à-dire quel est le point consensuel d’interdiction/dérogation acceptable par la majorité des Français.
Dans ce domaine, comme dans d’autres d’ailleurs, on ne recherche plus à exprimer les principes de dignité et ses conséquences, mais à satisfaire les revendications de certains sans trop s’aliéner leurs opposants par le truchement de principes « autonomes ». Il en est ainsi du maintien d’un principe assorti de dérogations, ou de pratiques exceptionnelles qui sembleraient ne pas abandonner le principe lui-même.
Il était donc a priori utile que les citoyens des états généraux de bioéthique rappellent que « le principe de dignité de la personne humaine paraît être le principe éthique structurant des lois de bioéthique »… Le projet de révision du gouvernement en tient-il compte ?
1/ L’ASSISTANCE MEDICALE A LA PROCREATION (AMP)
L’assistance médicale à la procréation est une technique qui consiste, soit par insémination artificielle, soit par fécondation in vitro à pallier, sans les traiter, les défaillances de la nature chez un couple, jusqu’à recourir, éventuellement, à un donneur anonyme de gamètes (ovocyte ou sperme). La procréation se fait par l’intermédiaire d’un tiers, ce qui est loin de satisfaire les couples puisque l’acte médical se substitue à l’acte conjugal. Le procréateur n’est plus le couple, mais le médecin. Ainsi, cette technique dissocie l’acte sexuel de la procréation.
Cette technique pose trois questions éthiques :
* la première est la dissociation entre sexualité et procréation par l’intervention d’un tiers, en l’occurrence le médecin, voire le donneur de gamètes ;
* la seconde est le tri embryonnaire lors d’une fécondation in vitro. En effet, pour optimiser les chances de succès d’une technique qui est loin d’être performante, les embryons sont classés selon leur qualité. Les moins performants sont détruits, les plus performants conservés pour une nouvelle tentative de transfert, les autres sont implantés et peuvent donner lieu à un tri embryonnaire en cas de succès d’implantation de tous les embryons (deux ou trois embryons sont implantés). Incontestablement, la fécondation in vitro implique un tri et une destruction d’embryons selon le critère de la vigueur ;
* la troisième correspond au mal-être des enfants conçus à partir de dons de gamètes et qui souffrent de ne pas connaître leur géniteur. Souffrance liée à la dissociation entre les composantes de la parenté, en particulier, la parenté biologique et la parenté intentionnelle et sociale. Pour remédier à cette souffrance, Irène Théry propose la reconnaissance d’une pluri-parentalité au sein de laquelle on pourrait définir le rôle de chaque parent. Cette formulation risque de brouiller encore davantage les repères de l’enfant.
Ce qui pourrait changer
* Pour les couples pacsés : ces couples pourraient, comme les couples mariés ou non, avoir accès aux techniques de l’AMP, à condition que le couple soit hétérosexuel. La loi de 2004 précise que l’AMP est « destinée à répondre à la demande parentale d’un couple » ; « l’homme et la femme doivent être vivants, en âge de procréer, mariés ou en mesure d’apporter la preuve d’une vie commune d’au moins deux ans ». Or le Pacs, contrairement au mariage est un contrat patrimonial (gestion en commun des biens matériels). Cependant, le PaCS est devenu au fil des années, un contrat qui se rapproche de plus en plus de l’institution du mariage : pension de réversion, avantages fiscaux et sociaux…Cette évolution contredit les conclusions du rapport Pécresse de 2006 de la mission parlementaire sur la famille et les droits des enfants : « Seul le mariage fonde la famille. »
Le PaCS, substitut au mariage sans les garanties de protection des époux, en particulier le plus fragile, deviendrait un lieu de création de la filiation comme le mariage. En revanche, les femmes célibataires et les couples pacsés homosexuels seraient exclus du dispositif. Ainsi, le gouvernement refuse la création d’une filiation en dehors de la double filiation maternelle et paternelle.
* Levée de l’anonymat. En France, 1300 naissances par an sont concernées par les dons de gamètes. Le ministre tient à rappeler pour l’enfant le « droit irréfragable de savoir d’où l’on est issu ». Ce qui devrait conduire à la levée totale et générale de l’anonymat des donneurs de gamètes. Or telle n’est pas son intention. Cette levée de l’anonymat serait partielle et conditionnelle : accès aux « données non identifiantes » et à l’identité du donneur selon sa volonté. Mme Bachelot justifie cette levée de l’anonymat par son souci de « responsabiliser le don ». En effet, comment un homme ou une femme peuvent ils accepter de donner leurs gamètes sans savoir de qui ils seront père ou mère ? Certains prétendent que la filiation biologique est secondaire par rapport à la filiation sociale ou intentionnelle. Il n’en demeure pas moins que c’est elle qui fonde la filiation juridique (donner le nom) et la filiation sociale (éducation).
2/ LE DPI OU DIAGNOSTIC PREIMPLANTATOIRE
Le recours au DPI est autorisé par la loi pour éviter qu’un couple atteint d’une maladie d’une particulière gravité, ne transmette leur maladie à leurs enfants. Dans ce cas, le recours à la fécondation in vitro est suivi d’un DPI. Cette technique de dépistage de la maladie repérée chez les parents entraîne un tri embryonnaire entre ceux qui sont porteurs de la maladie et ceux qui en sont indemnes et qui seront transférés dans l’utérus de la mère. Cette technique concerne 40 naissances annuelles.
Le CCNE [6] suivi par le rapport Leonetti [7], avait suggéré d’étendre le DPI à la trisomie 21. Indignés par cette nouvelle stigmatisation, de nombreux parents et d’associations de parents d’enfants atteints de trisomie 21 se sont regroupés dans le collectif Les amis d’Eléonore [8] du nom de cette jeune fille de 24 ans, heureuse de vivre et parfaitement bien intégrée dans la société et dans le monde du travail. Eléonore est ainsi devenue le porte-parole de personnes qui ne sont jamais consultées et qui pourtant ont tant de chose à nous apprendre sur leur vie. De conférences de presse en rencontres avec des politiques, le Collectif a martelé, comme les citoyens des états généraux de bioéthique de Marseille l’ont répété, que « la solution au handicap passe exclusivement par la recherche et non par l’élimination [9] ».
Manifestement, le Collectif a été entendu puisque le ministre de la Santé n’a pas souhaité retenir la proposition du CCNE et du rapport Leonetti. Cette victoire, cependant, ne doit pas nous faire oublier la traque de la trisomie dans les premières semaines de grossesse, puisque son dépistage est systématique et que 96 % des cas détectés entraînent l’élimination des embryons ou fœtus atteints [10]. Il est possible que le projet de loi rende obligatoire pour le médecin l’information de toute femme enceinte sur ce dépistage et ouvre aux sages-femmes la possibilité de prescrire les marqueurs sériques maternels qui permettent de détecter la maladie chez l‘enfant.
Nous pouvons espérer que le gouvernement reprenne la suggestion du CCNE et du rapport Leonetti d’informer les parents sur la maladie et sa prise en charge comme alternative à l’élimination quasi systématique de l’enfant qui en serait atteint.
3/ LA RECHERCHE SUR L’EMBRYON
La grande question sur ce point était de savoir si la nouvelle loi conserverait ou non le principe d’interdiction de la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires. Le rapport Leonetti, en effet, dans ses propositions 41 et 42, ne laissait pas d’étonner : « Le maintien du principe d’interdiction est plus conforme à notre droit » et « il a été reconnu que les deux options [interdiction ou non, Nda] devaient conduire aux mêmes résultats ». Dès lors, il est évident que le maintien du principe d’interdiction est purement formel.
Il est très probable que le nouveau texte remplace finalité thérapeutique par finalité médicale, ce qui ouvrirait de nouvelles justifications aux travaux de recherche sur l’embryon. En 2004, les partisans de cette recherche vantaient l’hypothétique potentialité thérapeutique des cellules souches embryonnaires pour justifier les dérogations ; aujourd’hui, ils ne tirent aucune leçon de l’échec des résultats depuis vingt ans.
Par ailleurs, les clauses dérogatoires de la loi de 2004 sont devenues extrêmement contraignantes aujourd’hui. Rappelons ces conditions : finalité thérapeutique et absence d’alternative dans l’état actuel des connaissances scientifiques. À peine le décret d’application signé, en février 2006, l’Agence de biomédecine (ABM) donnait des autorisations de recherche qui avaient bien peu de lien avec la recherche d’une thérapie. Les recours administratifs devant cet abus de pouvoir n’ont pas abouti pour l’instant.
En outre, en 2004, peu de travaux de recherche sur des cellules souches alternatives (adultes, sang de cordon, IPS…) avaient donné des résultats satisfaisants. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Si bien qu’au moment où des alternatives sérieuses existent, la France choisirait de libéraliser un peu plus la recherche sur l’embryon alors que la médecine n’en a plus besoin. La finalité thérapeutique n‘est plus du côté des embryons. La thérapie cellulaire n’a plus besoin de cellules souches embryonnaires. Les alternatives existent. Elles sont plus efficaces et respectueuses de nos principes juridiques qui exigent de maintenir l’interdiction de la recherche sur l’embryon, telle que le demande Mme Bachelot.
Mais quel est le sens du maintien d’un principe si les dérogations successives vident ce principe de sa substance?
4/ LE DON D’ORGANES ET DE CELLULES
* Don d’organes. La nouveauté annoncée serait le recours à un don croisé d’organes, notamment pour le rein. Il n’est pas toujours possible de trouver au sein d’une fratrie un couple donneur/receveur histocompatible. Il serait alors possible de trouver un autre couple donneur/receveur se trouvant dans la même situation d’incompatibilité rendant impossible la greffe. Cette nouveauté ne changerait en rien les dispositions existantes pour le prélèvement d’organe sur une personne vivante.
* Don de cellules ou thérapie cellulaire. La nouveauté concerne les cellules du sang de cordon considérées jusqu’à maintenant comme des déchets. Ce sang entrerait dans la catégorie des tissus, cellules, produits du corps humain et ses dérivés. Le ministre de la Santé reste attaché au principe de l’anonymat du don pour un usage allogénique et exclut la création de banques privées pour une conservation autologue.
Pierre le Coz, lors de son interview au Quotidien du médecin, déplorait que l’orientation du projet de loi ne soit pas plus audacieuse pour améliorer la médecine régénérative à partir des cellules du sang de cordon, notamment pour traiter les maladies hématopoïétiques. Pour lui, la réponse passe par « la voie de la conservation autologue de sang de cordon ». C’est l’esprit de la proposition de loi du député du Doubs Damiens Meslot qui propose la création de banques privées mixtes où des parents pourraient conserver à des fins autologues le sang de leur enfant tout en acceptant de le céder à un enfant histocompatible en cas de besoin.
En effet, les besoins de la France sont estimés à 40 000 unités de sang de cordon et elle n’a en réserve que 8 500 unités. Malgré l’engagement de l’Agence de biomédecine, après l’excellent rapport de Marie-Thérèse Hermange, sénateur de Paris, en novembre 2008, de porter à 15 000 unités pour la fin 2010, force est de constater que nous sommes loin de l’objectif et qu’aucune campagne n’est organisée pour inciter les parents à conserver le cordon de leur enfant. Ce qui n’empêche pas d’ailleurs les services hospitaliers de thérapie cellulaire à obtenir auprès de banques privées étrangères des greffons pour un montant compris entre 15 000 et 25 000 €.
La révision des lois de bioéthique pourraient être l’occasion, comme l’exprime Pierre le Coz « de trouver un système qui puisse permettre de poursuivre la recherche sur cette potentialité thérapeutique et protéger les citoyens d’une dérive autocentrée [11] ».
Inquiétude et satisfaction
Nous sommes donc devant un projet de loi qui innove peu, certes, mais dont les nouveautés ne sont pas sans conséquences, en particulier en ce qui concerne la recherche sur l’embryon, le recours à l’AMP pour les couples pacsés hétérosexuels et la levée de l’anonymat en cas de don de gamètes. Dans ces conditions, comment interpréter l’expression de Jean-Yves Nau, journaliste compétent : « Une loi pour rien [12] » ?
Le projet de loi innove si peu qu’il considère qu’une révision est presque inutile. Notre lecture est différente. Est-ce dû à l’intérêt sans précédent des Français sur les questions bioéthiques ou à une prise de conscience que les transgressions répétitives ne répondent pas à la quête de vérité sur l’homme ? Si le projet de loi, tel qu’on en entrevoit les grandes lignes, est peu innovant, il a au moins le mérite de prendre en compte, en partie, les avis des citoyens exprimés lors des états généraux de bioéthique.
Ils avaient noté les dérives eugénistes du tri embryonnaire et de l’élimination des embryons et fœtus en cas de malformation [13]. Ils avaient déploré l’impasse de notre loi sur la fécondation in vitro qui conduit à produire des embryons qui seront à jamais abandonnés à la recherche ou détruits, signe d’une conception utilitariste de l’être humain au début de son développement.
Enfin, ils avaient tenu à rappeler l’intérêt de l’enfant dans toutes les décisions et le principe premier de toute loi bioéthique, le principe de dignité de la personne humaine, rappelant qu’aucune circonstance ne pouvait contredire ce principe : « La dignité, en effet, ne décline pas avec nos forces. Ni la maladie, ni le handicap n’altèrent notre humanité [14]. »
Le responsable politique ne peut pas satisfaire tous les désirs, les fantasmes, les revendications. Il doit garder à l’esprit le bien commun comme finalité de sa décision.
Bien commun, fondé sur le principe matriciel de toute organisation sociale et politique : la dignité de tout être humain, principe inviolable et garantie contre toute utilisation ou manipulation de la vie humaine.
La prochaine révision des lois de bioéthique sera-t-elle l’occasion de le rappeler et de l’exprimer dans le texte ?
*Élizabeth Montfort est ancien député européen, administrateur de l’association pour la Fondation de Service politique, présidente de l’Alliance pour un Nouveau Féminisme européen.
Élisabeth Montfort
libertepolitique.com
[1] Sur ce sujet, voir Pierre-Olivier Arduin, Conférences de citoyens : une procédure en trompe-l’œil, Libertepolitique.com, 10 sept. 2010.
[2] Bilan des Etats généraux de Bioéthique, Alain Graf, juin 2009
[3] Art. 16 : « le respect de l’ être humain dès le commencement de la vie »
[4] Décisions du Conseil Constitutionnel, juillet 1994.
[5] Art. 1 : « La dignité est inviolable. Elle doit être respectée et protégée »
[6] CCNE, avis n° 107
[7] Rapport Leonetti de la mission d’information parlementaire sur la bioéthique, janvier 2010.
[8] www.lesamisdeleonnore.com
[9] Bilan des Etats généraux de bioéthique, page 40.
[10] Etude du Conseil d’Etat, juin 2009, page 32.
[11] article cité dans le Quotidien du médecin, le 6 septembre 2010
[12] www.slate.fr
[13] Bilan des Etats généraux de bioéthique, page 40.
[14] Bilan des Etats généraux de Bioéthique, rapporteur Alain Graff, juillet 2009