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Je suis un cyborg : une histoire d'amour dans un asile

Par Julien Peltier

Internée dans un asile psychiatrique suite à une tentative de suicide pour le moins saugrenue, Young-Goon est intimement persuadée d’être un cyborg. Cherchant à entretenir des dialogues avec les machines à café et autres néons lumineux, elle refuse de s’alimenter normalement, préférant sucer des piles pour recharger ses batteries. Ne sachant pas dans quel but elle a été conçue, elle cherche à éliminer le personnel médical pour s’enfuir de cet asile et retrouver sa grand-mère également internée quelque part et dont elle ne garde qu’un unique souvenir : son dentier, grâce auquel elle communique avec les machines…
Egalement interné, Park II-Soon se cache constamment sous différents masques et possède selon lui la capacité de voler les pouvoirs et habilités des gens, façon détournée de dissimuler sa plus grande peur, celle de rapetisser et disparaître. Tombé désespérément amoureux de Young-goon, il va tenter de tant bien que mal de la raisonner et de la forcer à s’alimenter normalement, car cette dernière met sa vie en danger en refusant de manger.
Entre ces deux êtres réunis par une douce folie, une étrange histoire d’amour va naître…
La petite histoire voudrait que Park Chan-Wook, auteur, producteur et réalisateur du film, aurait imaginé cette histoire dans un de ses rêves. On croit cette anecdote sur parole tant Je suis un Cyborg s’apparente à l’écran comme une douce folie onirique. Contrastant dès les premières minutes avec les précédents films sombres et austères qui l’ont précédé, Je suis un cyborg se place dans la lignée d’un film de Tim Burton, à l’univers coloré et gentiment déluré, pourtant parsemé de questionnements existentiels. Le ton est en effet donné dès la première scène, où le réalisateur met en scène un atelier de travail à la chaîne entièrement remplies de femme pareillement vêtue, sur une musique enjouée et enfantine. La caméra se balade dans cette salle avant de se fixer sur Young-Goon qui sur les ordres de sa radio se taille les veines pour y brancher le courant avant de tomber évanouie et électrocutée. L’ambiance unique, mélangeant onirisme et cruauté, burlesque et poésie se rapproche ainsi de très de l’univers de Burton, aspect totalement revendiqué et assumé par Park Chan-Wook.
Plaçant son histoire dans un asile psychiatrique, Park Chan-Wook a su entourer ses protagonistes d’une multitude de personnages secondaires pour le moins délurés : une chanteuses déchue se regardant constamment dans un miroir, un homme retenu sans cesse par un élastique, une mythomane délirante ou encore une obèse accro à l’électrostatisme. Entourés de cet étrange environnement, Young-Goon et II-Soon ne font pourtant pas exception à la règle, et sont chacun habités d’une étrange et délirante folie. Se prenant pour un cyborg, Young-Goon suce des piles en guise de repas, porte le dentier de sa grand-mère pour discuter avec la machine à café, reçoit ses instructions d’une radio à l’antenne étrangement disproportionnée et cache en elle une puissance de feu redoutable lorsque ses batteries sont pleines. De son coté, II-Soon n’est pas en reste puisqu’il vole tout ce qu’il trouve, de la petite culotte aux caractères et habilités des gens qui l’entourent, tout en se cachant derrière un masque de lapin en carton. C’est pourtant une véritable histoire d’amour sincère et généreuse qui va naître entre ces deux personnages pour le moins peu orthodoxes.
Je suis un cyborg oscille donc sans cesse entre la plus pure comédie délirante et des instants d’émotions plus intimistes. Park Chan-Wook se délecte à mélanger les styles, créant à l’écran une sorte de fantasmagorie onirique et déjantée, allant de la scène de massacre du personnel soignant par Young-goon filmé tel un jeu de pac-man, à la scène touchante et pleine d’émotion où II-Soon tente de réparer la jeune fille et lui réapprendre à manger. Jonglant sans cesse entre le burlesque et l’intimiste, la plus pure folie et l’amour véritable, Park Chan-Wook créé un univers unique et déroutant, coloré et désespérément inclassable.
Pour interpréter ses deux personnages principaux, Park Chan-Wook voulut miser d’abord sur le talent de la jeunesse coréenne. Le personnage de II-Soon est ainsi interpréter par Jung Ji-Oon, plus connu sous le pseudonyme de Rain, puisqu’il est une véritable star de la musique RN’B et pop en Corée. Après quelques apparitions à la télévision, il connaît avec Je suis un cyborg son premier véritable rôle au cinéma. Au visage souriant et niais surmonté de bouclettes maniérées, Jung Ji-Oon s’impose littéralement comme une valeur sure du cinéma coréen et casse son image de star pour adolescente pour celui d’un fou amoureux dont la plus grande peur est de disparaître ; une façon détournée sans nul doute de la part de Park Chan-Wook de représenter la peur inhérente de la mort tapis en chacun de nous.
Mais la véritable révélation de ce film demeure sans conteste Lim Soo-jung, découverte dans le film Deux Sœurs, qui semble tout simplement habitée par le rôle pourtant difficile de cette fille aux sourcils blonds et à la chevelure improbable tourmentée par sa condition de cyborg. Tantôt triste et tourmentée, tantôt radieuse et émerveillée, elle ne cesse de fasciner par son jeu d’une profondeur et d’une sincérité déroutante.
Parsemé de scènes et d’instants farfelus et saugrenus, Je suis un cyborg s’impose comme une œuvre à la créativité sans bornes. Laissant cours à tous ses délires de réalisateur et d’auteur, Park Chan-Wook livre un film déroutant et unique, parfois confus mais jamais bancal. Mettant en scène des personnages totalement fous mais désespérément attachants, le réalisateur se place ici dans la plus pure lignée d’un Tim Burton, avec un univers visuel et musical coloré et enfantin d’une créativité déroutante unique.
Une histoire d’amour romantique…à la folie !
Je suis un cyborg
Titre original : Saibogujiman kwenchana
Réalisé par Park Chan-Wook
Avec Lim Soo-Jung, Jung Ji-Hoon, Choi Hee-jin…
Année de production : 2006
Durée : 1h45
Distribué en France par Wild Side
Film lauréat du Prix Alfred Bauer lors du 57e Festival International du Film de Berlin, récompensant le film le plus novateur de la sélection
Plus d’infos sur le site officiel, avec notamment l’OST écoutable gratuitement en ligne :
http://www.jesuisuncyborg-lefilm.com/
Spiky
Avec Lady Vengeance en 2005, le réalisateur sud-coréen Park Chan-Wook clôt magistralement sa trilogie de la vengeance entreprise depuis 2002 avec successivement Sympathy for Mr Vengeance et le désormais culte Old Boy pour lequel il obtient le Grand Prix du Festival de Cannes. Bénéficiant désormais d’une reconnaissance international pour ses talents d’auteur et de réalisateur, Park Chan-Wook entreprend avec son dernier film un virage total avec le reste de son œuvre. Finies les intrigues sinueuses et les quêtes vengeresses macabres, places désormais à la plus pure fantaisie et à la douce folie avec Je suis un cyborg.

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