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« Le rôle du politique : fermer sa gueule »

Publié le 10 septembre 2010 par Ruddy V / Ernst Calafol

« Le rôle du politique : fermer sa gueule »Dans Le Monde du 5 septembre, le sociologue Alain Touraine hausse le ton pour fustiger la classe politique et son mépris du peuple.

Sous le titre Nous sommes à l’heure de la « mini-politique », Olivier Schmitt, journaliste au Monde, a questionné le sociologue Alain Touraine. L’occasion de tracer, à grands traits, le portrait d’une démocratie française à côté de ses pompes.

Il signale tout particulièrement l’atmosphère irréelle dans laquelle baigne ce qu’on appelle le « débat public ». « Les manifestations anti-Sarkozy comme les agitations de Nicolas Sarkozy lui-même se déroulent dans un décor tout à fait étranger aux grandes catastrophes que nous traversons. La vie semble reprendre, mais en dehors de toute réflexion sur ce qui se passe vraiment. » Les gouvernants seraient donc, au même titre que les manifestants, frappés d’autisme : les principales convulsions de l’histoire seraient reléguées au second plan, au profit d’un débat superficiel agité par les représentants de l’ancien régime (syndicats, classe politique, système médiatique…).

« On nous dit que tout va s’arranger, mais on n’en sait rien »

Pour preuve, Alain Touraine rappelle que « personne n’a vu arriver les grandes crises économiques. Quand elles surviennent, on nous dit toujours que ça va s’arranger. Ça veut dire qu’on n’y comprend rien, qu’on ne sait pas. C’est ça qui m’impressionne : ce silence de plus en plus profond sur ce qui s’est passé. [...] Le gouvernement est parvenu à créer un assourdissant silence sur le fond. Il n’y a pas d’idées, il n’y a pas de mots ».

La droite au pouvoir semble encourager la déréalisation du débat politique, mais la gauche ne ferait pas mieux, selon le sociologue, pour qui l’ensemble du corps social est contaminé. « Nous vivons sur des idées, des catégories d’analyses et d’action devenues insignifiantes. Nous sommes à l’heure de la « mini-politique ». Comme dans ces familles où l’on évite les sujets qui fâchent. »

« La seule tendance d’opinion forte, la xénophobie »

Les peuples européens souffriraient donc d’une névrose sévère. Comme on le sait, les névroses mal traitées finissent souvent par des drames. « La seule tendance d’opinion forte aujourd’hui dans toute l’Europe, sauf en Allemagne pour des raisons évidentes, c’est la xénophobie. On flatte ce qu’il y a de plus bas. »

Au lieu de s’épuiser inutilement dans des combats d’arrière-garde, et réveiller ainsi des instincts délétères, que faudrait-il penser ? Le bouleversement principal, selon Touraine, la mondialisation et les secousses qu’elle implique à l’identité nationale – comme on dit. « Le social s’est cassé en morceaux. D’un côté, vous avez du communautarisme défensif et agressif ; de l’autre, un individualisme de consommation, de désocialisation. Et au milieu une politique qui est devenue purement médiatique. » (Impossible de ne pas songer ici aux théories de Guy Debord.)

L’avenir est à l’écologie et aux femmes

Face à cette déstructuration de l’ancienne société, que peut-on espérer ? D’où viendra le message fédérateur ? D’un retour au premier plan d’idéaux enracinés dans l’esprit français, mais actuellement négligés au profit de la politique-spectacle. « Nous avons en France suffisamment d’éducation et de traditions, qu’elles soient celles du mouvement ouvrier ou celles du christianisme. En tenant ce discours, vous pouvez mobiliser les gens, les ressources, alors que si vous employez un langage politique, vous n’accrochez pas. »

C’est par le Web que pourrait venir le salut, selon le sociologue, dans un mouvement international et apolitique en faveur des droits de l’homme. Mouvement lié à deux tendances de fond : le développement de l’écologie et la féminisation du monde. Deux mouvements qui tirent leur énergie de la base, et dont le contrôle échappe par définition à la classe dirigeante, qui se voit ainsi privée des principaux leviers d’actions et de fédération.

C’est pourquoi, conclue Alain Touraine,« le rôle du politique, c’est de fermer sa gueule et d’écouter ce qui se passe en bas ».

(Propos recueillis par Olivier Schmitt dans Le Monde du 5 septembre 2010)

Crédit photo : UOC_Universitat / Flickr



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