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Obscurité (47)

Publié le 09 septembre 2010 par Feuilly

Quand ils se réveillèrent, le lendemain matin, le temps avait encore changé et de lourds nuages encombraient le ciel, poussés par un vent violent. Durant la nuit, déjà, ils s’étaient réveillés plusieurs fois, inquiétés par les bourrasques qui secouaient les tentes. Décidément, le mois d’août n’était plus le mois d’août et chacun sentait que  l’automne approchait. On s’habilla un peu plus chaudement mais en réalité, à part un KW à enfiler, ils ne possédaient pas grand-chose. Il faudrait veiller à faire des achats un de ces jours, mais sans trop compromettre l’équilibre budgétaire car l’argent était désormais compté. Pour le petit déjeuner, ils durent se contenter de quelques biscuits secs car il n’y avait plus de pain. Pour compenser l’aspect quelque peu frugal du repas, l’enfant se mit à presser des oranges pour en faire du jus. Ce n’était pas bien facile, car il ne disposait pas de l’appareil adéquat, mais il y parvint quand même, en écrasant dans ses mains les fruits préalablement coupés en deux. A vrai dire, après les biscuits secs, ce jus d’oranges fut apprécié par tout le monde.

On mit un peu d’ordre dans les tentes, on se débarbouilla comme on put avec l’eau d’un bidon qui traînait dans le coffre de la voiture, puis on prit la direction de l’océan. Une fois arrivés sur la plage, ils crurent qu’ils allaient s’envoler, tant le vent était fort. La mer, elle, était vraiment en furie, avec des vagues gigantesques, qui se retournaient dans un fracas assourdissant. Ils sentaient déjà sur leurs lèvres le goût salé des embruns alors qu’ils étaient bien à deux cents  mètres du rivage. Ils se rapprochèrent prudemment et restèrent là à admirer la nature en colère. C’était tout à fait impressionnant ! Ils marchèrent un bon moment en longeant les flots écumants et parvinrent à un endroit où des rochers formaient un petit promontoire. Là, le  spectacle était carrément grandiose, il n’y avait pas à dire. Les vagues venaient se fracasser  contre ce promontoire avec une force inimaginable. Des gerbes d’eau de dix à quinze mètres montaient en l’air avant de retomber dans un bruit de fin du monde. Mais à peine une vague avait-elle échoué à renverser cet obstacle naturel qu’une autre arrivait et recommençait le combat. Et c’étaient de nouvelles gerbes d’écume et toujours ce bruit incroyable, qui couvrait jusqu’à leurs voix. Les rouleaux, on les voyait venir  de loin, depuis le bout de l’horizon. Ils arrivaient en rangs serrés, bien alignés, mais de simples ondulations qu’ils étaient au départ, ils devenaient bientôt monstrueux et menaçants en approchant du bord. Alors, au moment où ils entraient en contact avec les rochers, ils se transformaient en véritables bêtes écumantes et rageuses et se lançaient à l’assaut de l’obstacle avec une frénésie inimaginable.

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Notre trio demeura là une bonne heure, complètement fasciné par ce combat de titans. Comme la marée montait, ils devaient parfois reculer de quelques mètres, afin de ne pas se faire emporter par les vagues les plus grosses, qui retombaient souvent beaucoup plus loin qu’on n’aurait pu l’imaginer. Pour ce qui était d’être mouillés, il était trop tard et il y avait déjà un bon moment qu’ils étaient trempés, aussi, quand il se mit à pleuvoir, c’est à peine s’ils le remarquèrent. Ils continuèrent au contraire à admirer la colère de l’océan et restèrent là, subjugués par ce spectacle. C’était une sorte de jeu, en fait. Il fallait fixer une vague qui arrivait et deviner si elle allait se montrer redoutable ou non. Certaines qui, de loin, paraissaient bien méchantes, se détournaient finalement de l’obstacle et venaient mourir paisiblement sur la grève, tandis que d’autres, qu’on aurait crues inoffensives, montaient à l’assaut du promontoire rocheux avec une vigueur qu’on n’aurait pas soupçonnée. A chaque fois, c’était comme une sorte de pari. On ne savait jamais ce qui allait arriver et le hasard, seul, décidait de la tournure qu’allaient prendre les événements. L’enfant, en contemplant ce spectacle, se disait que c’était la même chose que dans la vie, où, finalement, on ne pouvait jamais prévoir ce qui allait se passer.

A la fin, ils décidèrent de revenir vers les tentes car la pluie redoublait et ils commençaient à se sentir transpercés par toute cette humidité. Le chemin de terre, dans la forêt, s’était transformé en rivière de boue et ils marchèrent finalement à côté de celui-ci, se frayant comme ils pouvaient un passage entre les troncs couchés sur le sol et les branches basses qui faisaient tomber sur eux toute l’eau dont elles étaient chargées. C’est donc trempés et boueux qu’ils arrivèrent enfin à destination. Mais là, ce fut pour constater un bien triste spectacle. Sous l’action du vent qui soufflait maintenant en rafales, les tentes avaient été emportées avec tout leur contenu quelques dizaines de mètres plus loin. Manifestement, les petits piquets métalliques qui les retenaient n’avaient été d’aucune utilité une fois que le sol sablonneux avait été mouillé. Ils allèrent donc récupérer leur bien, tout en maugréant contre cette tempête qui s’acharnait maintenant contre eux. Mais s’ils s’étaient d’abord réjouis en voyant que les tentes ne s’étaient pas envolées trop loin, ils désenchantèrent vite. En effet, une des deux avaient été prise dans des ronces et elle était toute déchirée.

Sous l’averse qui redoublait, ils replantèrent donc comme ils purent celle qui était encore intacte, en utilisant tous les piquets dont ils disposaient et en tendant les cordes au maximum. Ensuite, ils allèrent reprendre dans la deuxième les vêtements et le Camping-Gaz avant de se réfugier, comme des animaux blessés, dans le seul abri qu’il leur restait. Ils avaient froid et étaient complètement trempés. Dehors, la bourrasque faisait rage et la pluie tombait abondamment. On aurait dit une averse d’orage, si ce n’est que celle-ci durait depuis une bonne heure déjà et qu’elle ne semblait pas devoir s’interrompre un jour. Cela ressemblait plus à une tornade tropicale qu’à une ondée du mois d’août. C’était à se demander  si on était bien en Aquitaine.

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Plus les heures passaient et plus la situation devenait pénible. Ils continuaient à avoir froid, bien qu’ils eussent changé de vêtements. Il faut dire qu’il n’y avait plus grand chose de sec. Tout était moite et humide et la tente elle-même commençait à percer sous la violence des précipitations. En plus, le fait de se retrouver à trois dans un espace aussi réduit, qui n’était finalement prévu que pour dormir à deux, était vraiment pénible. Il était tout simplement impossible de bouger et ils devaient soit rester couchés, soit rester accroupis ou agenouillés. Ils avaient tous des fourmis dans les jambes et ne savaient plus quelle position adopter. Il ne fallait pas non plus songer à cuisiner avec le Camping-Gaz, c’eût été de l’inconscience, d’autant que la toile de la tente bougeait dans tous les sens. Elle bougeait même tellement qu’ils avaient l’impression qu’ils allaient être emportés avec elle.

Quand il pleuvait un tout petit peu moins, la mère sortait en vitesse afin de tendre de nouveau toutes les cordes et de s’assurer que les piquets restaient bien plantés dans le sol, ce qui n’était pas toujours le cas. Alors, elle les enfonçait comme elle pouvait, mais elle devait recommencer lors de la sortie suivante, car la terre sablonneuse était tellement trempée que plus rien ne tenait. Elle finit par mettre de grosses pierres aux coins de la tente, dans l’espoir d’amarrer le tout, mais sous les secousses du vent, la toile de nylon, qui était lisse, finissait par glisser tout en se déchirant. Il fallut donc enlever les pierres afin de limiter les dégâts.

Vers treize heures, alors que les enfants commençaient à avoir faim, elle constata que l’endroit où ils se trouvaient se remplissait d’eau. Sans le remarquer, ils avaient installé la tente dans une espèce de cuvette et celle-ci était en train de se transformer lentement mais sûrement en étang.  Il fallut donc lever le camp. On emporta les sacs de vêtements et de nourriture et on alla se réfugier dans la voiture. Une nouvelle fois, on se contenta de biscuits secs et d’une tomate fraîche que l’on mangea comme cela, sans même l’assaisonner.

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Heureusement, à partir de quinze heures, le vent commença à perdre de sa force et la pluie devint moins violente. A la radio, on parlait d’un ouragan tropical qu avait traversé l’Atlantique et qui était venu mourir sur nos côtes et plus particulièrement sur celles de Guyenne. Cela n’arrivait qu’une fois tous les dix ans avait assuré le présentateur. Pas de chance. Pour une fois qu’ils venaient voir l’océan, ils avaient été servis !

Quand le soleil fut enfin revenu, on se mit aussitôt à tout sécher, ce qui revint à étaler les vêtements un peu partout sur les troncs d’arbre couchés à terre. A vrai dire, il y en avait un peu partout, devant la tente, à gauche, à droite, tout à fait derrière et même jusqu’au bord du chemin. Bref, autant leur présence avait discrète la veille au soir, autant elle était bien visible maintenant, car les shorts rouges de Pauline et les Tee-shirts jaunes de la mère ressortaient tellement dans la verdure ambiante qu’on ne voyait plus qu’eux. La chaleur commençait à se faire sentir et ils étaient enfin rassurés. La bonne humeur revenait et la vie reprenait tout doucement le dessus. Ils étaient en train de préparer le repas du soir tout en bavardant et en plaisantant quand soudain un gros quatre-quatre surgit sur la route. On ne distinguait pas bien de loin, mais ce qui était certain, c’était qu’un sigle officiel était peint sur la portière avant. Aïe ! Voilà assurément qui n’annonçait rien de bon. Et en effet, le conducteur avait arrêté son véhicule dès qu’il les avait aperçus et déjà il manœuvrait pour prendre le petit chemin de terre et se diriger vers eux. Il s’arrêta à leur hauteur et sans même les saluer, il leur demanda d’un ton hargneux : « Qu’est-ce que vous faites-là ? Le camping sauvage est interdit, vous ne le savez pas ? »

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