Mercredi 8 septembre, au lendemain d'une journée
sociale réussie et 2,5 millions de manifestants dans les rues de France, Nicolas Sarkozy a pris sa plume pour faire une déclaration lors du Conseil des ministres. L'affaire était jouée d'avance.
Depuis des mois, l'Elysée a manipulé les enjeux, le débat et le calendrier, avec un réel talent. Son objectif désormais est de capitaliser sur cette fausse victoire pour la campagne
présidentielle de 2012
La réforme injuste du Président des riches
Mercredi matin, Sarkozy a voulu clôturer le débat avec quelques « ajustements » attendus et une fermeté sans
surprise. Son secrétaire d'Etat à la Fonction Publique, George Tron, s'est empressé de préciser que l'effort représentait environ un milliard d'euros. Quelle générosité ! Pour le reste, le
président de l'UMP a rappelé combien sa réforme était « essentielle » et qu'elle ne changerait pas sur le fond: sur le recul de l'âge de départ, « cet âge sera progressivement
augmenté, de 4 mois par an, pour atteindre 62 ans en 2018 tandis que l'âge d'annulation de la décote sera relevé au même rythme d'ici 2023. Il n'est pas question de revenir sur ce point». Il
paraît que cet effort est juste. Le recul d'âge est un non-effort pour certains, dramatique pour d'autres. Sarkozy évoque les trois alternatives : baisser les pensions ? Il s'y
refuse, mais il le fait par le biais mécanique de l'allongement. Augmenter les impôts ? Il s'y refuse aussi. pas touche au capital. La justice sarkozyenne est de classe. Savez vous de combien est
la hausse des fameux prélèvements sur divers revenus dits du capital prévus par cette réforme : un petit point de pourcentage. Quelle belle affaire ! Reste, évidemment, une seule et unique
solution : travailler plus longtemps. Ou être au chômage plus longtemps. A vous de (ne pas) choisir !
Théâtralisant au mieux son propos, il a débuté son annonce par quelques phrases lénifiantes : «j'assume
mes responsabilités. Le devoir du Chef de l'Etat n'est pas d'ignorer les difficultés ou de laisser à ses successeurs le soin de les régler. C'est au contraire de regarder la situation en face et
d'y apporter des réponses durables et justes.» Après l'échec du « travailler plus pour gagner plus », l'abandon de la défiscalisation des intérêts d'emprunts, la progression
constante des violences aux personnes, Nicolas Sarkozy se cherche un « marqueur » idéologique autre que le bouclier fiscal pour achever son mandat. Pourrait-on lui rappeler ses
propres propos ?
En 1993, un (encore) jeune Sarkozy expliquait qu'il avait voté pour la retraite à 60 ans. Le 22 janvier
2007, dans un entretien (certes) de campagne présidentielle, Sarkozy expliquait que la retraite à 60 ans devait demeurer. Le 2 mai 2007, le candidat Sarkozy expliquait encore, lors du débat de
second tour contre Ségolène Royal, que « le financement des retraites est équilibré jusqu'à l'horizon 2020. » En 2008 (il y a deux ans !), Sarkozy expliquait encore qu'il ne reviendrait
pas sur la retraite à 60 ans, pour une raison simple : « parce que je n'en ai pas parlé pendant ma campagne présidentielle. » Les promesses n'engagent que ceux qui les croient.
Relisons le propos présidentiel du 8 septembre 2010 : « Le devoir du Chef de l'Etat n'est pas d'ignorer les difficultés. » Après autant de mensonges, reniements ou approximations
électoralistes, est-on en droit de lui répondre, sans risquer un procès pour outrage, : « ta gueule ! » ?
Première fausse ouverture de ce mercredi 8 septembre, l'extension du dispositif carrières longues : on a
beaucoup critiqué les effets de seuils de la proposition initiale d'Eric Woerth pour celles et ceux qui travaillent depuis l'âge de 16 à 18 ans : ils pouvaient certes partir plus tôt, mais après
une durée de cotisations défavorable, excédent largement les 41 annuités qui deviendront la norme dès 2012. Mercredi, Sarkozy a annoncé que « tous ceux qui sont rentrés très jeunes sur le
marché du travail, c'est-à-dire avant 18 ans, et qui ont toutes les années de cotisations requises, pourront continuer à partir à 60 ans, voire avant. » Il chiffre cet effort à 350 millions
d'euros par an. »
Autre sujet, l'assouplissement des critères de pénibilité. Le projet initial prévoyait comme seul critère
pour partir dès 60 ans (au lieu de 62 ans) la preuve d'une invalidité professionnelle d'au moins 20%, une mesure servie comme un « épouvantail » pour mieux cristalliser les oppositions :
« Nous pouvons aller plus loin. » écrit Sarkozy. Il suggère d'abaisser le seuil à 10%. Sarkozy propose aussi la création d'un fond public pour financer des aménagement de la fin de
carrière (temps partiel ou tutorat) pour les « salariés exposés à des facteurs de pénibilité ». Ce fond serait réservé aux entreprises ou aux branches ayant négocié un accord sur le
sujet. En l'état, aucune dotation du futur fond n'a été mentionnée. Enfin, le chef de l'UMP propose une nième commission, scientifique cette fois, pour « progresser rapidement dans notre
connaissance des effets de certains facteurs de pénibilité à impacts dits différés de manière à ce que nous puissions en tirer toutes les conséquences.»
Il y a beaucoup de métiers pénibles qui n'entraînent aucune incapacité. Mais cet abus de langage n'est pas
la seule des manipulations à l'oeuvre depuis l'ouverture du « débat » sur les retraites.
Manipulation du calendrier
Le gouvernement répète à l'envi qu'il a laissé place à la concertation, que les syndicats étaient obtus, que la France
souffre de ne pouvoir débattre sereinement de tels sujets d'intérêt général. Tout ceci n'est que mensonges. La manipulation du calendrier de la réforme des retraites est
évidente.
En janvier dernier, Nicolas Sarkozy annonce que la modification du régime des retraites sera sa réforme majeure de l'année,
avant la mise en place d'un gouvernement de combat en vue de sa réélection en mai 2012. Après l'échec des élections régionales, Sarkozy nomme son fidèle Eric Woerth au ministère du Travail.
Pendant 3 mois, le trésorier de l'UMP joue au chat et à la souris avec les organisations syndicales. Il fait d'abord publier des rapports alarmistes du Conseil d'Orientation des Retraites. Tout
le monde a bien conscience que le régime des retraites est mal financé, mais il faut marquer un peu plus les esprits. Woerth multiplie également les réunions, sans relevé de conclusions ni
constats partagés. A la presse, et à la presse seulement, Eric Woerth ou Raymond Soubie font fuiter des idées, sur le recul de l'âge de départ, la pénibilité individuelle (et non plus par
métier), ou l'imposition d'un nouveau prélèvement écornant le bouclier fiscal. Mais en public, le même Eric Woerth dément que les arbitrages aient été rendus.
Cette mise en scène se poursuit jusqu'au 15 juin. Ce soir-là, Sarkozy « arbitre » enfin. Depuis
mars, il se cache. Le 16 juin au matin, alors qu'Eric Woerth dévoile enfin le projet présidentiel, le Monarque préfère recevoir quelques patrons de journaux à l'Elysée pour leur confier combien
cette réforme était difficile mais nécessaire. Le même jour, le Woerthgate démarre, à la suite de la publication d'enregistrements pirates de conversations entre la milliardaire Liliane
Bettencourt et son gestionnaire de fortune. A droite, on crie au complot mais la réforme des retraites est déjà « gagnée » : le projet est adopté en conseil des
ministres un mois plus tard, le mardi 13 juillet, une date soigneusement choisie en plein pont du 14 juillet. Puis la commission sociale de l'Assemblée a à peine trois jours, fin juillet, pour
digérer quelques centaines d'amendements. Les Français sont en vacances. Le tour est joué. Le gouvernement cale l'examen parlementaire au 7 septembre, et ne prévoit soixante-quinze heures de
débat et pas une de plus. Dès le mois de juin, puis à nouveau le 12 juillet lors de son intervention télévisée, Sarkozy laisse entendre qu'il fera des ouvertures sur quelques sujets bien ciblés
(pénibilité, poly-pensionnés), mais sans en dévoiler la teneur. Malgré ce calendrier volontairement très serré, il attend mercredi 8 septembre au matin pour annoncer ses amendements
gouvernementaux. Les députés doivent voter le projet le 15 septembre.
Mercredi matin, les propositions de Nicolas Sarkozy étaient évidemment décevantes, et la mise en scène ne fait plus
illusion. Sarkozy fait semblant de monter au créneau pour lâcher quelques avancées sans surprise. Le recul de l'âge de la retraite est un trophée auquel il ne pouvait renoncer, et
l'argumentaire général reste le même : ce serait une réforme certes impopulaire mais nécessaire. la manipulation continue.
Manipulation du débat
Sur son projet lui-même, le gouvernement Sarkozy a multiplié les abus sémantiques.
Il espère que les Français ont la mémoire courte. Prenez la pénibilité. Fillon (lundi), Woerth (mardi) ou
Sarkozy (mercredi) ont abusivement répété le caractère inédit de la prise en compte de la pénibilité dans leur réforme. C'est faux. Il faut en effet rappeler que le gouvernement a quasiment
enterré la prise en compte collective de la pénibilité en réformant les régimes spéciaux à
l'automne 2007. A leur création, ces derniers étaient censés épargner certains métiers (pas tous) jugés pénibles d'une carrière trop longue, comme la conduite des trains. On aurait pu en
débattre, en négocier des modifications, comme exclure certaines professions moins pénibles qu'avant, et en inclure d'autres, dont les conditions de travail restent évidemment douloureuses
(maçons ? agriculteurs ? mineurs ? etc).
Sarkozy a préféré rompre l'un des éléments du pacte social des retraites, la reconnaissance de la pénibilité
collective de certaines activités, au profit d'une prise en compte exclusivement individuelle. Jusqu'en septembre 2007, il s'est acharné à traiter les régimes spéciaux d'anomalies du monde
moderne, pour mieux nous faire croire, début 2010, que sa réforme prenait en compte cette même pénibilité pour la première fois dans le monde occidental ! Ultime démonstration de cette
forfaiture, Sarkozy, mercredi, proposait de recréer un régime spécial, mais pour une cible électorale particulièrement choyée depuis le printemps, les agriculteurs, à qui ils promet, sans
condition individuelle, de bénéficier d'une retraite anticipée. En Sarkofrance, le mensonge et l'audace n'ont pas de limite.
Sur les carrières longues, Sarkozy joue également aux généreux. Faudrait-il lui rappeler que nos pays voisins tels
l'Allemagne ou même l'Italie de Berlusconi ont maintenu des régimes spéciaux pour tenir compte de la pénibilité de certains métiers ? L'espérance de vie d'un ouvrier est en France de 7 ans
inférieure à celle d'un cadre. La réforme sarkozyenne change tout pour les uns, rien pour les autres. Qui a parlé de réforme « juste » ? La bande du Fouquet's ?
Autre manipulation sémantique, les comparaisons internationales sur l'âge de la retraite. Il est facile de
comparer les âges d'un pays à l'autre quand rien d'autre n'est comparable, et d'oublier les structures d'activité, de salaire, les durées de cotisations, ou les modes de retraites. Prenez
l'Italie, le COR avait pourtant expliqué, en mai dernier, que la système par répartition avait été remplacé par un système
contributif en fonction des cotisations versées dès 1995.
Manipulation des enjeux
Autre manipulation, la mise en scène des enjeux : Sarkozy et ses proches ont joué plusieurs cartes, le tout avec 7 millions
d'euros de campagnes publicitaires dans les médias : le débat de société (« travailler plus longtemps »), l'effort raisonnable (« deux ans de travail pour financer 15 ans de vie en
plus »), la comparaison internationale (« notre système reste le plus favorable d'Europe » ou « tous les autres gouvernements européens conduisent des réformes similaires »)
ou la menace de faillite (« une pension sur dix est financée par de la dette »).
D'un revers de main, Nicolas Sarkozy a balayé, depuis le début, la question des ressources. Pourtant, cet
homme, avec une poignée de mesures tantôt injustes tantôt inefficaces, a grillé près de 23 milliards d'euros de recettes fiscales et de cotisations sociales en l'espace de deux ans, et sans
rapport avec le plan de relance ou les effets de la crise : défiscalisation des heures supplémentaires, des intérêts d'emprunt et des droits de succession, renforcement du bouclier fiscal,
réduction de la TVA sur la restauration, etc.
D'un même revers de main, Sarkozy a évacué l'impact de la crise sur l'emploi, et donc les recettes des
régimes de retraite. L'une des exceptions française est son faible taux d'activité réel : seule une petite moitié des actifs travaillent. Près de 6 millions de Français sont soit au chômage total
ou partiel, soit au temps partiel contraint, d'après les propres statistiques gouvernementales révélées cet été. Depuis que les pré-retraites ont été, certes timidement, découragées, le taux de
chômage des seniors a progressé alors qu'il résistait mieux, auparavant, aux récessions.
Au final, l'ampleur de la manipulation paraît incroyable : négliger la crise, surjouer l'effet
démographique, tronquer les comparaisons internationales, évacuer l'injustice des prélèvements, détruire sans retour les régimes spéciaux, et manipuler le calendrier, Sarkozy a tout fait.
L'urgence à préparer sa réélection est incroyable, l'ambition pour le pays, pitoyable.
Avec cette réforme, Sarkozy croit donc tenir son unique trophée pour sa réélection. Il devait aussi coûte
que coûte rassurer ceux qui, à l'étranger, observent avec inquiétude notre endettement et nos déficits publics : les agences de notation (cf. la menace de dégradation de la note de crédit de la
France par Moody's en plein mois d'août), la commission européenne (qui critique nos prévisions de croissance), ou les marchés financiers. Mauvaise nouvelle, la réforme ne résout pas nos
problèmes de financement. Non seulement elle laisse un trou de 15 milliards d'euros annuels en 2018 mais en plus, elle se base sur des scenarii fantaisistes de
plein emploi d'ici 15 ans. Demain, on rase gratis !
Dès mardi, les députés (UMP) ont adopté
leurs premiers amendements : ô surprise, ils visaient tous à faciliter les mécanismes de retraites ... par capitalisation: la moitié des sommes perçues par un salarié au titre de la participation
aux résultats de l'entreprise sera, sauf avis contraire, automatiquement versé aux plans d'épargne retraite entreprise (Perco, Pere et Perp); autre amendement, 20 à 30% de ces plans pourront être
libérés, à leur échéance, sous forme de capital et non plus seulement de rente viagère.
Ami sarkozyste, quand partiras-tu à la retraite ?
Sarkofrance