Ca ne pouvait plus durer : d'un côté, un état rachitique, rikiki et minimaliste, vivant chichement des maigres prélèvements faiblement grattés à la surface des richesses produites dans le pays. De l'autre, une industrie en pleine jungle où aucune loi n'existe, aucune régulation n'a cours, à l'opulence quasi-scandaleuse, aux profits qui frisent le pornographique, grâce à la vente de produits et de services à des prix douteusement bas. Il fallait agir !
Et c'est ainsi que les prix pratiqués dans le domaine de l'accès à Internet vont enfin permettre de juguler l'extension de ces technologies qui se répandaient dangereusement dans toute la population en raison de ses tarifs “démocratiques” (et un peu scandaleux, hein).
En gros, l'État veut augmenter la TVA sur les accès internet triple-play (télé, téléphone, internet) : il veut en passer une partie, actuellement à 5.5%, à 19.6%.
Pour arriver à relever le prix d'un ensemble de produits et de services, l'État va donc courageusement ponctionner le moutontribuable producteur de richesse (il est un peu plus dodu que les autres).
Au passage, on supposera que l'idée est, très probablement, d'assurer une partie des promesses de campagne du candidat Sarkozy, qui se voulait le Président du Pouvoir d'Achat : lorsque tout les prix sont bas, tout le monde peut acheter tout et n'importe quoi ; et quand tout le monde peut faire quelque chose, il ne s'agit pas d'un Pouvoir, mais de la morne et agaçante banalité. Pas très bandant.
Mais en augmentant ainsi les prix, en les rendant progressivement stratosphérique, en éloignant les biens et services de la plèbe bête et pauvre, il permet à ceux qui ont un peu ou beaucoup d'argent d'avoir, réellement, un Pouvoir d'Achat. C'est très malin.
On comprendra aussi pourquoi certain clowns à roulettes pardon ministre, propulsé par la même logique d'airain, entament l'hymne humide au protectionnisme : si ça peut augmenter furieusement les prix, allons-y !
Oui certes certes effectivement, j'entends dans les fonds les commentaires outrés de certains qui essaient de bien me faire comprendre qu'en réalité, le gouvernement ne fait qu'appliquer une mise en demeure de la Commission, sapristi !
Effectivement, l'argumentum ad commissionarum est devenu une spécialité des joueurs de pipeau professionnels qui nous gouvernent, nous ponctionnent et se foutent de notre gueule avec notre argent et l'aval de ceux qui votent (y'en a encore, j'ai des noms !).
Cet argument est relativement simple : dès que vous mettez en place une disposition dont vous savez pertinemment qu'elle va faire râler (par exemple, quand vous prenez un nouveau sabot pour une tonte plus courte), vous dites en substance : “C'est pas moi, c'est Bruxelles” ou “C'est la Commission kiladi“. Que celle-ci ait, effectivement, une part de responsabilité dans la nouvelle disposition de la tonte ou pas du tout, peu importe : l'argumentum ad commissionarum est très généralement employé pour faire diversion. Et ça marche.
En pratique, bel et bien exsangue d'avoir tant distribué sur ceux qui n'en produisent pas des richesses ponctionnées avec le tact qu'on lui connaît sur tous ceux qui en produisent, l'État se devait de les faire cracher encore un peu plus au bassinet des Danaïdes dont il a la charge depuis des décennies.
Et pour le cas qui nous occupe, il est nécessaire de rappeler que la Commission, puisqu'elle est maintenant impliquée dans l'affaire, n'avait en réalité effectué qu'une mise en demeure d'explication de la part de l'État français sur cette partie de TVA à 5.5% .
Cette procédure de mise en demeure n'est pas le début d'une ouverture de dossier d'infraction à la Cour de justice européenne, mais elle est une étape pré-contentieuse, simplement censée amener l'État membre à faire part à la Commission, dans un délai déterminé, de ses observations sur un problème d'application du droit communautaire identifié.
La Commission n'y formule pas une accusation mais offre une possibilité à l'État membre de s'expliquer dans un délai donné (2 mois).
Dans le cas qui nous occupe, le gouvernement français a donc choisi tout de suite, fort bizarrement on en conviendra, de ne pas proposer de réponse, d'outrepasser le délai, et d'aller directement vers une augmentation de la TVA, parce que bon, hein, chez nous, à l'Etat Fraônçais, on est bien respectueux des règles et on fait tout bien dans les clous comme il faut c'est bien connu tip top parfait le petit doigt sur la couture du pantalon.
La rigueur française, en matière de respect des lois communautaires, ou de rapidité de transposition des directives, est réputée de par le monde ! A côté, l'ordre teuton ou la précision helvétique font figure d'approximation alcoolisée pour septuagénaires atteint d'Alzheimer.
Et puis, je le rappelle, non seulement ça permet de conserver l'image française d'excellence en matière de respect des lois, traités et directives, mais en plus, ça augmente le Pouvoir d'Achat (voir ci-dessus, calmement), et petit bonus négligeable mais boh, sachons vivre, ça va ramener quelques petits sous dans la caissette (mais n'insistons pas, c'est trois fois rien, juste un petit mauvais moment à passer, rien de grave, respirez un bon coup).
En tout cas, vu de loin, tout ceci sent bon : augmentation de la TVA par ci, réduction des niches fiscales par là, rabotage des zacquis sociaux, disparition d'un bouclier fiscal de toute façon chimérique, diminution voire disparition des prestations sociales, plus de cotisation pour moins de remboursement, explosion de la dette, avalanche de taxes nouvelles et inventives, augmentation des prélèvements exotiques, tout en conservant, tout de même, de luxueux postes pour les paillettes et les petits fours, vraiment, je pense que la France va dans la bonne direction.
L'anusectomie des contribuables du secteur marchand continue donc dans l'odeur revigorante des merguez grillées par les salariés du secteur non marchand, sous les applaudissements des uns et des autres, tous persuadés qu'à la prochaine élection – si on y arrive vivant – on va pouvoir régler tout ça dans un reshuffling magique des têtes de zouaves.
Il y aura beaucoup de déçus.
Sur le web : Internet trop bon marché : l'état intervient enfin !