Par Zineb Dryef - http://rue89.com/
La condamnation des Français à huit ans de travaux forcés est souvent présentée comme une victoire sur le colonialisme.
Le verdict est tombé: les six membres français de L'Arche de Zoé ont été condamnés ce mercredi à huit ans de travaux forcés par la Cour criminelle de N'Djaména pour "enlèvement d'enfants". Une affaire qui a soulevé de virulentes critiques de la part de la presse et de la blogosphère africaines.
Vu du Mali, la conclusion de l’affaire fait figure de victoire contre le colonialisme:
"Si ce feuilleton socio-politico-juridique, qui a mis en exergue une résistance certaine de la justice tchadienne aux intimidations de Paris, est loin d’avoir pris fin, il consacre inéluctablement une victoire du peuple tchadien et par conséquent une défaite de Nicolas Sarkozy."
Le journaliste rappelle la promesse du président français de ramener tous les membres de l’association quoi qu’ils aient fait et en conclut que la tenue du procès au Tchad s’inscrit dans une démarche de résistance:
"Certes, des arrangements sont en vue pour faire gracier par Idriss Déby Itno les Français accusés de 'tentative d’enlèvement de mineurs et escroquerie' ou pour leur faire purger leur peine en France. Toutefois, c’est déjà un point positif pour les Tchadiens que leur justice ait conduit ce procès sur le sol tchadien. Pour la postérité, l’action de la Justice, et dans une certaine mesure celle des dirigeants tchadiens, est à saluer. Preuve que les Africains sont en mesure de résister aux injonctions de l’ex-puissance coloniale."
Un blog tchadien indépendant revient sur les dessous de l’affaire, à savoir les coups de téléphone entre Nicolas Sarkozye et son homologue tchadien, Idriss Déby. Y voyant une humiliation, le blogueur crie à la trahison:
"Ce n’est pas un secret qu’Idriss Deby doit son maintien au pouvoir à l’Etat français et surtout à son armée. (…) Politiquement donc, un deal semble avoir été passé entre les deux Etats. Pour maintenir les apparences, la justice au Tchad va rendre un verdict mais il va immédiatement pouvoir être aménagé par la France."
Sur le calendrier, un calcul subtil:
"Mercredi 19 et jeudi 20 décembre sont les deux jours de fête musulmane la plus importante du Tchad. Il n’était donc pas question que le procès se déroule ce jour-là. D’autre part, les catholiques ne voulaient pas que le procès ait lieu le jour de Noël. Il fallait donc un procès entre ces deux dates, avec le verdict le 26. Par ailleurs, il était important pour le président tchadien que le procès ait lieu avant le début de l’année 2008. Hervé Morin, le ministre français de la Défense, effectue une visite au Tchad le 30 décembre, Nicolas Sarkozy en février. Il fallait qu’ils puissent se rendre à N’Djamena sans que les Français y soient détenus."
Pour l’Alliance nationale de la Résistance du Tchad, opposée à Idriss Déby, tout est "faussé" et "grotesque" dans le procès de l’assocation menée par Eric Bretteau. L’ANR accuse le pouvoir, sans publication de preuves, d’avoir payé les témoins:
"Beaucoup sont surpris que les parents des victimes aient eu les moyens de se déplacer et de se loger à N'Djaména. Interrogés, beaucoup de 'parents' ont avoué. Ils n’on aucun lien de parenté avec les enfants, d’ailleurs aucune confrontation enfants/parents n’a eu lieu de manière formelle. On les a payés pour venir témoigner, enfin pas tous. En effet, les sbires de Deby profitent de tout, ils n’ont payé qu’une partie de ce qui était dû. Le reste sera donné 'en fonction de la manière convaincante dont les supposés parents parleront'."
"Mascarade à Ndjamena?" Tchadvision s’interroge sur les rapports de la France à ses anciennes colonies:
"Il est une vérité qu’il faut souligner, l’Afrique n’est pas le continent où on peut faire atterrir un avion, réunir des centaines d’enfants sous le prétexte des les sortir de la misère."
Le journal s’émeut de la condescendance des Européens à l’égard de l’Afrique, avant de s’attaquer aux familles des enfants tchadiens, notamment sur les sommes réclamées en indemnisation du préjudice subi:
"C’est à peine imaginable de nos jours, c’est avoir un mépris pour un autre peuple, car, même pour alimenter un zoo en France avec des animaux de la savane africaine, il faut prévenir les autorités locales pour avoir une autorisation de sortie des dits animaux (...). Ce qui ne jouera pas en leur faveur est le fait que les familles des enfants n’avoueront plus qu’ils ont accepté (pour les quelques uns qui l’ont fait) de laisser partir leur enfant pour la France, parce qu’ils espèrent maintenant une indemnisation du préjudice, un million d’euros par enfant, il ne faut tout de même pas exagérer, là flâne l’ombre d’un enrichissement sur la tête des enfants, car ces hommes et femmes, qui vivent dans la misère inimaginable, ont longtemps attendu, du père Noël, un si beau cadeau, de l’Arche de Zoé."
Au Congo, après l'affaire de l'Arche de Zoé, les procédures d'adoption internationale ont été suspendues sur tout le territoire. Au mois de novembre, des opposants au président Denis Sassou Nguesso analysaient l’affaire à l’aune de leurs propres préoccupations:
"Sassou Nguesso aurait-il agi comme Déby? Aurait-il eu le courage de juger les Français? Nous pensons qu'il aurait cédé à la volonté du maître sans passer par la justice congolaise (…) La France a un rang de grande puissance à tenir. Aussi s'efforce-t-elle de toujours tirer ses ressortissants d'un mauvais pas à l'étranger. Surtout en Afrique, a fortiori dans les ex-colonies ! Hélas, cette fois-ci, l'Afrique, par le Tchad, montre que le complexe d'infériorité ou le complexe du colonisé s'estompe quelque peu et que la souveraineté des pays africains n'est pas un vain mot et qu'à l'avenir, la France devra faire avec."
Dans une très longue tribune publié par le quotidien congolais La conscience, Nicolas Serge Nzi, directeur du Centre africain d'études stratégiques, dissèque un siècle de politique africaine française et… autant de mensonges. Ben Barka, Rwanda, Côte d’Ivoire, Algérie… A l’occasion du procès de l’Arche de Zoé, le chercheur condamne:
"Pourquoi tant de mensonges, de reniements de la parole donnée, d'aboiements, d'hurlements et de gesticulations pour nier ce qui est évident? La France peut-elle prétendre être une grande Nation en niant tous les massacres qu'elle a infligés aux autres peuples? Le devoir de vérité est un impératif, en particulier envers les vivants qui portent le poids du passé encore présent. Les Harkis, les Bamiléké, les Malgaches, les Algériens, les Guinéens. Les Ivoiriens, les Rwandais et les Tchadiens, sont la meilleure illustration de ce devoir de vérité. Le devoir de vérité envers toutes les victimes, quelle que soit leur origine, car le devoir de vérité est juste et moralement légitime."
Paris attend désormais une réponse positive à sa demande de transfert des six condamnés en France.
LES COMMENTAIRES (1)
posté le 28 décembre à 23:44
Qu'ils purgent leur peine au Tchad. Au XIX eme siècle la colonisation a été faite avec les mêmes bons sentiments humanistes "Allons apporter la civisation aux pauvres malheureux africains"...On voit aujourd'hui que l'enfer est pavé des bonnes intentions de ceux qui s'autoproclament sauveurs de l'humanité. http://www.historia-nostra.com/index.php?option=com_content&task=view&id=685&Itemid=60