Par Corinne Evens, Présidente de la fondation Evens et de l'Association Européenne du Musée d'Histoire des Juifs de Pologne.
source : Lemonde.fr
Nombreux sont les politiques et les intellectuels qui ont vu dans l'élection en juin dernier du nouveau président Bronislaw Komorowski une confirmation de l'engagement européen de la Pologne, "un pays qui voit son avenir dans l'Union européenne, un pays de démocratie et de pluralisme", selon l'ancien dissident Adam Michnik.
Dans cette perspective, il faut souligner que le travail réel et très constructif sur son passé engagé par la Pologne depuis quelques années – alors que s'ouvre cette semaine à Varsovie le festival Singer – est un prisme très important quant aux valeurs éthiques et culturelles de l'Europe.
A l'heure où l'on parle de crise en Europe, un certain nombre d'Européens continuent inlassablement de tisser du lien entre des peuples pour qui le "vivre ensemble" a longtemps été un rêve hors d'atteinte. Soixante-cinq ans après la deuxième guerre mondiale, vingt et un ans après la chute du mur de Berlin, il est temps de restituer à l'Europe son sens originel : celui d'une communauté de nations capables de mettre en place des valeurs communes.
Certes, une Europe économiquement forte est nécessaire ainsi que l'organisation de sa défense. Mais le facteur humain, ce que l'homme peut espérer de lui-même tant collectivement qu'individuellement est au cœur de cette union dans le projet ambitieux d'une Europe solidaire, responsable, respectée et exemplaire.
Si les travailleurs, les entrepreneurs, les agriculteurs, les artistes et intellectuels n'ont ni vision ni espoir sur l'avenir quel sera leur environnement futur ?
Dans cette perspective, on se doit de souligner que la ville de Varsovie et le gouvernement polonais ont contribué à financer en commun le projet de construction du musée juif de Varsovie.
En 2012, l'ouverture à Varsovie du musée d'histoire des Juifs de Pologne rappellera ce que fut le rayonnement de la vie juive en Europe centrale pendant plusieurs siècles.
Le gouvernement allemand, s'est lui engagé pour 5 millions d'euros. Et le Congrès américain a été également sollicité.
L'histoire des juifs de Pologne concerne tous les pays et citoyens européens, même les nouveaux immigrés. Nous n'aimerions pas que se reproduise la destruction massive d'une culture qui s'est développée durant 1 000 ans qui a été un des socles de la culture européenne.
DONNER VIE ET SENS À UNE FRATERNITÉ EUROPÉENNE
Mais trop d'Européens et parmi eux de juifs d'origine polonaise restent indifférents à une telle réalisation. C'est que, pour beaucoup, le silence et l'indifférence des Etats européens durant la Shoah, reste une fissure dans l'âme. Pourtant, ce musée devrait donner raison à la mémoire contre l'oubli, à la parole contre le silence, à la solidarité contre les tentations antisémites encore ancrées dans les sociétés européennes portant de plus en plus multi et interculturelles.
L'âme européenne ne passe-t-elle pas par une archéologie de la mémoire, par la réunion des savoirs, et la réalisation de projets portés en commun ? C'est alors que la solidarité européenne
cessera d'être un vain mot. Il faut savoir penser, nous disait Levinas, et savoir nous écouter penser. "La pensée universelle est un 'je pense'. Alors, l'existence, par delà sa dimension
individuelle, "consiste à retrouver son identité à travers tout ce qui lui arrive."
Tel est le merveilleux d'une identité qui n'est étrangère ni à soi ni aux autres qu'elle nous autorise à concevoir un musée juif au cœur même de ce qui a été le ghetto de Varsovie. Ceci est bien. Bien pour le présent. Bien pour le futur : que seraient en effet nos enfants si le passé ne leur était pas transmis dans sa vérité - fut-elle faite de sang et de cendres. D'ailleurs il y eut aussi des siècles lumineux dans un royaume de Pologne qui fut en son temps l'un des plus tolérants d'Europe.
Pourtant on peut regretter qu'un projet aussi fort pour le travail de mémoire afin de mieux construire notre avenir européen n'ait pas l'impact médiatique qu'il devrait avoir.
Cette réalisation devra contribuer à donner vie et sens à une fraternité européenne dont nous parlait déjà en son temps Victor Hugo. Et cette fraternité concrète, c'est aussi la promesse pour nous, citoyens de l'Europe, que les guerres sont pour toujours derrière nous.